Mgr Pierre Bürcher optimiste sur l'avenir de l'Eglise catholique en Islande
Mgr Pierre Bürcher optimiste sur l’avenir de l’Eglise catholique en Islande
Reykjavik, 4 mai 2015 (Apic) Mgr Pierre Bürcher quittera Reykjavik, la capitale de l’Islande, dont il est l’évêque depuis décembre 2007, «quand le pape François le décidera». En raison de problèmes respiratoires causées par les conditions climatiques d’Islande, l’évêque originaire du Haut-Valais, âgé de 69 ans, a rendu publique sa renonciation le 9 janvier dernier. Andrea Krogmann, de passage en Islande, l’a interrogé sur ses plans d’avenir et sur la réalité du catholicisme en Islande.
«Sur plusieurs conseils médicaux, j’ai présenté au pape François ma démission comme évêque de Reykjavik, souligne-t-il. Après vingt ans d’épiscopat en Suisse et en Islande, je regrette de quitter pour raisons de santé un beau pays ainsi qu’un diocèse jeune et en pleine expansion. J’ai accepté d’être nommé évêque de Reykjavik par obéissance au pape Benoît XVI, je repars par obéissance au pape François et au corps médical».
Le moment venu, en tant qu’évêque émérite, Mgr Bürcher va servir l’Eglise autrement. «En décembre 2014, je suis entré dans ma septantième année. D’entente avec le patriarche latin de Jérusalem, j’ai choisi de prendre ma retraite, pour une première période, lorsque les circonstances s’y prêteront, en Terre Sainte. Je m’y adonnerai à la prière et librement, selon mes possibilités, je serai à disposition pour animer des retraites spirituelles et des pèlerinages afin de soutenir les chrétiens de Terre Sainte, comme dès les débuts de mon ministère. L’autre partie de l’année, je résiderai en Suisse, au Monastère des Dominicaines à Schwyz. Pour l’instant, je reste en charge du diocèse de Reykjavik et ceci jusqu’à la décision du pape François».
Apic: En quel état avez-vous trouvé le diocèse lors de votre arrivée en 2007 ?
Mgr Pierre Bürcher: Ce diocèse est jeune puisqu’il a fêté son 40e anniversaire en 2008. J’en suis le sixième évêque depuis la Réforme. J’ai découvert nombre de réalisations apostoliques édifiantes, notamment les nombreuses conversions, la catholicité de ce peuple, les premiers hôpitaux en Islande construits et dirigés par des religieuses. En même temps, j’ai vu beaucoup de misères: une catéchèse rudimentaire, une vie liturgique généreuse mais souvent encore préconciliaire, le primat de la sacramentalisation sur l’évangélisation et surtout un diocèse dans les chiffres rouges… Je me suis engagé corps et âme dans tous ces domaines.
Apic: A l’exception de Mgr Johannes Gunnarsson (1942-1967), aucun évêque du jeune diocèse de Reykjavik n’était un Islandais. Est-ce que la barrière de langue est un handicap pour le travail pastoral en Islande ?
PB: C’est certainement un obstacle au plan pastoral. En fait, il n’y a pas beaucoup de prêtres islandais. Sur les 18 prêtres de mon diocèse, dont la moyenne d’âge tourne autour des 48 ans, un seul est Islandais. Il s’agit de l’abbé Hjalti Thorkelsson et il est plus âgé que moi… D’un autre côté, c’est aussi l’expression de la dimension universelle de l’Eglise. Nous ne sommes pas une Eglise nationale, mais une seule Eglise, qui se déploie dans le monde entier. Et finalement, les Islandais sont une minorité parmi les 13’000 catholiques vivant au sein d’une population de quelque 325’000 habitants. La grande majorité de nos fidèles sont des immigrés polonais et philippins, ainsi que des Lituaniens et autres, travaillant principalement dans la construction, le tourisme ou la pêche.
Leur nombre a triplé en 10 ans, et ce sont surtout des familles, de jeunes foyers. Si l’on part de ce point de vue, il faudrait plutôt un évêque polonais, qui sache parler islandais.
Apic: Si l’on considère la nouvelle évangélisation ou la mission en Islande, des connaissances approfondies de la langue islandaise serait certainement utiles…
PB: Pour le travail pastoral, la connaissance de la langue de l’Islande, de son histoire et de sa culture est essentielle. Comme il n’y a pas de prêtres islandais, ce sont seulement les prêtres qui ont vécu dans ce pays qui remplissent ces critères. Du simple point de vue de la langue, par exemple, il n’y aucune similarité avec le danois ou le norvégien.
Nous sommes ainsi fortement limités. Si j’avais voulu apprendre suffisamment la langue, j’aurais dû passer au moins deux ans à l’étudier à l’Université, et m’y consacrer à plein temps! C’est ce que font nos jeunes prêtres. Comme je ne pouvais pas le faire, mon premier but était de pouvoir lire en islandais, pour comprendre l’essentiel, afin de pouvoir célébrer la messe en islandais et prêcher dans cette langue. Mais je dois faire traduire mes textes.
Mais ce dont nous avons besoin, ce sont des vocations pour le sacerdoce et la vie religieuse. Car parmi les religieuses vivant en Islande, aucune n’est Islandaise. Nous n’avons pas non plus des théologiens laïcs à plein temps dans l’Eglise islandaise, avant tout pour des raisons financières.
Apic: Quelques mois après votre arrivée, la crise financière frappait l’île de plein fouet…
PB: Une grande partie des ménages avait contracté des emprunts en devises étrangères pour financer une maison, son agrandissement ou encore une voiture. Avec la crise, la devise du pays, la couronne islandaise, s’est effondrée. La majorité de nos catholiques travaillaient alors dans les ports de pêche et sur les chantiers de construction qui ont été arrêtés net.
Beaucoup de Polonais sont alors rentrés chez eux. Mais il leur est apparu rapidement que la condition de chômeur en Islande était plus avantageuse qu’en Pologne. Alors, la majorité d’entre eux sont revenus. Les problèmes éthiques liés au chômage sont devenus ainsi une préoccupation sociale et pastorale pour nous.
Apic: La crise est désormais passée ?
PB: La sortie de crise a été laborieuse et il y a encore des grèves nationales. Cela veut dire qu’il faudra du temps pour rétablir la situation, même si la faiblesse de la couronne islandaise a entraîné un véritable boom dans le tourisme. De son côté, la population catholique islandaise est, elle aussi, en pleine expansion. Elle a augmenté depuis l’an 2000 en moyenne de plus de 20% chaque année. Du reste, nous enregistrons en Islande le plus haut pourcentage de catholiques de tous les pays nordiques, à savoir 3,6 %.
Apic: Dans quel état allez-vous laisser le diocèse en 2015 ?
PB: J’espère que je quitte l’Islande en un meilleur état que je l’ai trouvée, du moins en ce qui concerne l’Eglise catholique qui se développe dans ce diocèse le plus nordique du monde. Ce pays plein de contrastes et de diversités m’a fasciné. J’ai aussi fait mon examen de conscience. Ce que j’ai pu faire en collaboration étroite avec nos prêtres, nos 31 religieuses et nos nombreux laïcs, est clair. Au cours de mes huit ans de présence ici, le diocèse de Reykjavik a vu s’ouvrir la voie du diaconat permanent.
J’ai eu la grâce de pouvoir innover dans le domaine de la formation, de la catéchèse et de la liturgie, notamment en publiant plusieurs ouvrages, dont le Missel Romain en islandais, désormais employé dans toutes les églises catholiques du pays.
Un contexte souvent sécularisé et hostile aux vraies valeurs chrétiennes
Nous avons organisé des Triduums de prière et d’adoration eucharistique. A l’instar des derniers papes, il a fallu s’investir pour clarifier dans le diocèse la question des abus sexuels et surtout pour intensifier la prévention. La pastorale des familles en Islande doit continuer à se développer dans un contexte souvent sécularisé et hostile aux vraies valeurs chrétiennes.
Comme évêque de toute l’Islande, j’ai cherché à intensifier les relations œcuméniques, spécialement avec l’Eglise évangélique-luthérienne d’Islande, qui est l’Eglise nationale, et l’Eglise orthodoxe russe. A Reykjavik, j’ai aussi eu à cœur de développer l’attention aux pauvres avec la collaboration notamment d’une communauté très engagée des Sœurs de Mère Teresa de Calcutta.
Je ne regrette nullement d’avoir pu servir sur cette île deux fois et demie plus grande que la Suisse et d’avoir aussi pu découvrir les pays nordiques dans toute leur diversité. En même temps, je sais qu’il reste encore beaucoup à faire… Heureusement pour mes successeurs !
Apic: Quels ont été les plus grands défis pendant votre ministère en Islande ?
PB: Dans un contexte socio-économique difficile, avec la collaboration de beaucoup de personnes, j’ai essayé de consolider dans la foi celles et ceux qui m’étaient confiés. Ces dernières années, par exemple, nous avons pu avoir dix fois plus de baptêmes que de funérailles. En effet, c’est là notamment l’occasion d’une évangélisation et d’une catéchèse indispensables. C’est réjouissant et plein d’espérance ! Dès mon arrivée en Islande, j’ai tenu aussi à assainir et consolider les finances et les infrastructures diocésaines. Nous avons ainsi pu acquérir plusieurs terrains et biens immobiliers, grâce à de nombreux bienfaiteurs d’Allemagne et de Suisse.
Ainsi, il m’a été possible d’acquérir, consacrer et bénir trois nouvelles églises et deux nouvelles chapelles. Elles sont actuellement 18 dans tout le pays. Deux nouvelles églises doivent encore être construites d’urgence, et deux autres agrandies. Sept maisons ou appartements ont pu être acquis pour le diocèse depuis 2007. Récemment, il m’a été donné d’ouvrir un nouveau chantier important et unique pour la formation chrétienne des catholiques en Islande: un Centre de formation et de retraites spirituelles, à Stykkisholmur, dans les fjords de l’Ouest islandais.
C’est dans ces mêmes fjords que se situe Mariulind, vers lequel j’ai pu lancer en 2011 un pèlerinage marial diocésain devenu maintenant annuel. Selon les sagas islandaises, la Vierge Marie y est apparue en 1230 à l’un de mes prédécesseurs, l’évêque Guðmundur Arason le Bon. Non loin de Reykjavik, je projette encore d’installer un monastère pour lequel tout est prêt dans l’attente d’une nouvelle Communauté contemplative. Ce sont là des défis de taille pour la nouvelle évangélisation en Islande. (apic/ak/be)
Encadré
Le diocèse de Reykjavik dépend de financements extérieurs
Mgr Bürcher est un évêque dont le diocèse dépend de l’extérieur pour le financement. Le diocèse de Reykjavik, qui s’étend sur une superficie de 103’000 km2, est aidé par le ’Bonifatiuswerk’ des catholiques allemands, qui soutient les catholiques partout où ils vivent en situation de diaspora extrême, par l’Ansgar-Werk, une fondation épiscopale allemande des diocèses d’Osnabrück et Hambourg, ainsi que par l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED). «Nous sommes aussi très soutenus par ‘l’Association St-Jean-Marie Vianney Lausanne’. En effet, au contraire de l’Eglise luthérienne, où les pasteurs sont payés par l’Etat, ce n’est pas le cas pour les catholiques, qui sont une communauté ecclésiale reconnue, mais ne bénéficiant pas d’un statut étatique. Nous ne recevons aucune aide pour les salaires, ni aucun subside pour les constructions». (apic/ak/be)