Mgr Peter Henrici, ancien évêque auxiliaire de Coire | © Christophe Wider
Suisse

Mgr Peter Henrici: «En tant que Suisse, on ne peut pas voter pour l'UDC!»

A 90 ans, Mgr Peter Henrici, ancien évêque auxiliaire de Coire, n’a rien perdu de sa vivacité d’esprit ni de sa finesse d’analyse. Réforme à Zurich, intercommunion, politique de l’UDC, élection du nouvel évêque de Coire, le jésuite s’intéresse à tout. Et il ne mâche pas ses mots.

Après son 90e anniversaire, l’éditeur Urban Fink et Mgr Peter Henrici ont rassemblé un recueil d’articles retraçant les diverses étapes de sa vie et de ses engagements*. Ces textes commentés sont un témoignage de sa pensée théologique et son travail pastoral. L’ouvrage a été présenté le 21 janvier 2019, à Zurich. A cette occasion, kath.ch s’est entretenu avec l’évêque auxiliaire émérite.

«Hormis sa Bible zurichoise, Zwingli n’a pas fait beaucoup de choses»

En ce début d’année 2019, Zurich célèbre son réformateur Ulrich Zwingli. Vous êtes un ardent défenseur de l’œcuménisme, comment voyez-vous cette figure?
Zwingli n’était pas un grand oecuméniste. Mon ami réformé Ruedi Reich, président du Conseil de l’Eglise, m’a toujours dit qu’Heinrich Bullinger était beaucoup plus important que Zwingli. Il était un grand théologien et c’est lui qui a propagé dans le monde la Réforme zurichoise. Zwingli s’est plus occupé de petite politique. Hormis sa Bible zurichoise, il n’a pas fait beaucoup de choses. Bullinger a été le promoteur. Il a travaillé très longtemps comme théologien. L’Eglise réformée doit plus à Bullinger qu’à Zwingli qui n’a fait que donner l’impulsion.

L’acteur Max Simonischek incarne Zwingli à l’écran (Capture d’écran YouTube)

Dans la «lettre œcuménique de Zurich» de 1997, reprise dans votre publication, l’unité avec l’Eglise protestante apparaît comme une perspective visible. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la question?
Cette lettre nous avait été en quelque sorte ‘imposée’ par un groupe œcuménique de femmes. A partir de là, il était clair que nous devions faire quelque chose. Dans les deux premières parties, on traite le principe selon lequel les Eglises doivent faire ensemble toutes les choses pratiques. La deuxième revendication était que les enfants des couples mixtes sachent à quelle confession ils appartiennent. Là-dessus, nous nous sommes accordés et cela est valable aujourd’hui comme à l’époque.

Vous dites que cette lettre vous avait été imposée. Que voulez faire comprendre?
Un groupe oecuménique de femmes revendiquait la possibilité d’une double appartenance à l’Eglise catholique et à l’Eglise réformée afin de pouvoir communier dans les deux confessions. Mais d’un point de vue catholique, cette double appartenance n’avait absolument aucun sens.

«D’un point de vue catholique, l’unité de l’Eglise dépend de l’eucharistie»

Qu’en est-il justement de l’intercommunion?
La question de l’eucharistie et de l’intercommunion qui lui est liée est insoluble. Nous avons trouvé une formule justifiable d’un point de vue œcuménique. On doit s’interroger avant la communion et pas seulement s’avancer pour recevoir le sacrement. C’est aussi quelque chose de ‘zwinglien’.

Sur le plan catholique, ne peut-on pas résoudre cette question?
Non. D’un point de vue catholique, l’unité de l’Eglise dépend de l’eucharistie. A la fin du Concile Vatican II, lorsque le représentant du patriarcat œcuménique de Constantinople et le pape se sont embrassés amicalement, une femme qui était à côté de moi a demandé: «Vont-ils maintenant concélébrer?» Je lui ai répondu: «Je ne sais pas, mais s’il concélèbrent l’unité de l’Eglise sera rétablie.» (rires)

La question de l’intercommunion reste au coeur du débat oecuménique | domaine public

Comme évêque auxiliaire, vous vous êtes régulièrement exprimé sur des questions politiques et sociales. Dans une déclaration devenu ‘légendaire’, vous aviez dit notamment qu’un chrétien  ne pouvait voter pour l’UDC en raison de la politique migratoire de ce parti.
Je dirais aujourd’hui la chose tout à fait différemment. En tant que Suisse, on ne peut pas voter pour l’UDC. Parce que ce parti travaille à imposer une démocratie de la majorité alors que la démocratie suisse est celle du compromis. Je pars de l’idée que l’UDC possède un modèle politique erroné.

Mais c’est de la théologie politique!
Non. La démocratie suisse s’est toujours comprise et construite sur le compromis. Je m’exprime ici comme citoyen et comme connaisseur du droit suisse. En comparaison avec le système suisse, toutes les autres démocraties du monde sont des démocraties de majorité.

Qu’est-ce que le système suisse a de si particulier?
Il n’existe nulle part ailleurs un modèle où les sept conseillers fédéraux issus de divers partis forment l’exécutif. C’est une force de la Suisse et nous ne devons pas l’abandonner.

Vous vous êtes aussi occupé des rapports Eglises Etat. Que dites-vous du système dual suisse dans lequel des structures de droit ecclésiastique cohabitent avec les structures canoniques propres à l’Eglise.
Ce système aussi est unique. Mais il convient à la Suisse. Dans ce système, il est important que les partenaires négocient de manière consensuelle. Il s’agit aussi de savoir quel est le rôle de chacun. Nous revenons à l’idée de démocratie de compromis.

«Les évêques suisses figurent certainement parmi les évêques les plus pauvres du monde»

Quel est le rôle de l’Eglise catholique dans ce partenariat?
Ce partenariat concerne la vie de l’Eglise. Avec les corporations ecclésiastiques, la partie financière est remise aux laïcs. Je trouve merveilleux que l’Eglise n’ait pas à s’occuper des finances et soit, dans ce sens, une Eglise pauvre. Les évêques suisses figurent certainement parmi les évêques les plus pauvres du monde.

Au Vatican, l’Eglise en Suisse apparaît souvent comme un cas à part (Sonderfall). Comme évêque, vous avez régulièrement dû négocier avec Rome. Avez-vous ressenti cette incompréhension?
Il est très difficile pour les étrangers de comprendre l’Eglise en Suisse. J’ai pu l’expliquer, parfois dans des discussions de plusieurs heures. Lors de ma dernière audience avec le pape François, nous avons parlé de la situation dans le diocèse de Coire. «La Svizzera è difficile», m’a dit le pape. (rires)

Le diocèse de Coire précisément doit voir cette année l’élection d’un nouvel évêque. Comment envisagez-vous la situation?
Coire est un diocèse composé de trois régions très différentes et deux d’entre elles, Zurich et la Suisse centrale, n’en faisaient pas partie historiquement. Elle ne sont qu’administrées’ par Coire. Il faudrait d’abord résoudre cette question. On a besoin comme évêque de Coire d’une personnalité qui ait l’autorité nécessaire. Les trois parties du diocèse doivent pouvoir se reconnaître en lui. Ensuite, on pourra ouvrir le dialogue entre les trois régions pour trouver une solution. Le chapitre cathédral de Coire (chargé d’élire l’évêque, ndlr) n’est en aucune manière représentatif de l’ensemble. Pratiquement, seuls les Grisons y sont représentés.

Le chapitre de la cathédrale de Coire doit élire l’évêque (Photo: Bernard Bovigny /2014)

Au plan institutionnel, quelle solution pratique voyez-vous?
La solution structurelle était sur la table à la fin de l’épiscopat de Mgr Amédée Grab (en 2007 ndlr), mais les parties concernées n’ont pas voulu aller de l’avant. Il s’agissait d’intégrer formellement les trois régions dans un diocèse de Coire-Zurich avec un évêque auxiliaire résidant à Zurich. Comme c’était le cas avant la Réforme. Ce qui signifierait aussi que Zurich possède une co-cathédrale dans laquelle l’évêque pourrait célébrer et distribuer les sacrements.

Mgr Vitus Huonder, évêque démissionnaire de Coire, a annoncé cette semaine avoir reçu un mandat pour le dialogue avec les traditionalistes de la Fraternité Saint Pie X de Mgr Lefebvre et qu’il s’installera dans un collège de la FSSPX à Wangs (SG). Cela vous étonne-t-il?
Non pas du tout. Mgr Huonder avait déjà ce mandat. Il s’est toujours trouvé bien dans l’ancienne liturgie. Sa proximité avec la FSSPX m’était connue. (cath.ch/kath.ch/cm/mp)

*Peter Henrici, Erlebte Kirche. Von Löwen über Rom nach Zürich, Edition NZN bei TVZ: Zürich 2018.


Peter Henrici, jésuite, professeur et évêque

Mgr Peter Henrici, évêque auxiliaire émérite de Coire (Photo:Georges Scherrer)

Peter Henrici est bourgeois de la ville de Zurich où il est né le 31 mars 1928. Membre de la compagnie de Jésus, il était, avant sa nomination comme évêque auxiliaire de Coire au printemps 1993, professeur à l’Université grégorienne de Rome et doyen de la Faculté de philosophie.

Après son baccalauréat, Peter Henrici entre en 1947 chez les jésuites. Il étudie à Munich, Louvain puis Rome. Il est ordonné prêtre en 1958 à Zoug.

A partir de 1960, le Père Henrici est professeur de philosophie contemporaine à l’Université pontificale grégorienne à Rome. Entre 1972 et 1978, il est doyen de la Faculté de philosophie. Il participe dès 1982 à l’édition et à la rédaction de la revue internationale catholique «Communio». Il est aussi invité à donner des cours à Munich, Innsbruck, San Francisco, Sao Paulo et Kinshasa. Professeur pendant plus de trois décennies, il est resté néanmoins proche des réalités pastorales en travaillant dans une communauté de base à Rome. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de philosophie et de théologie.

En mars 1993, dans le contexte très difficile de l’affaire Haas, Peter Henrici est nommé évêque auxiliaire de Coire. Jusqu’en été 2003, il est vicaire général du diocèse de Coire, avec résidence à Zurich, avant d’être nommé vicaire épiscopal avec la responsabilité de la formation théologique et philosophique. Parvenu à l’âge de 75 ans, il se retire de sa charge en février 2007. (cath.ch/be/mp)

Mgr Peter Henrici, ancien évêque auxiliaire de Coire | © Christophe Wider
29 janvier 2019 | 17:17
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 6  min.
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