Mgr Robert Miranda, du diocèse de Gulbarga, en Inde, est l'invité de la campagne Missio 2017. (Photo: Raphaël Zbinden)
Suisse

Mgr Miranda: «En Inde, l'Eglise est appréciée, car au service de tous»

Mgr Robert Miranda est à la tête du diocèse de Gulbarga, au sud-ouest de l’Inde, qui compte 8’000 catholiques, au sein d’une population de 7 millions d’hindous, musulmans et autres. Invité en Suisse romande dans le cadre du mois de la Mission universelle, il témoigne d’une Eglise indienne pleinement engagée dans le dialogue interreligieux et au service de l’ensemble de la population.

Mgr Miranda est l’invité de la campagne Missio 2017. L’œuvre d’entraide catholique invite chaque année une personnalité d’un endroit du monde où elle est active, afin de témoigner de l’importance de la mission pour l’Eglise. Le prélat indien a concélébré, dimanche 1er octobre, la messe d’ouverture du mois de la Mission universelle à l’église du Christ-Roi à Fribourg. Il a aussi prononcé l’homélie de la messe radiodiffusée du Bouveret (VS) le 8 octobre.

De passage, le 5 octobre, dans les locaux de cath.ch, à Lausanne, l’évêque de Gulbarga a raconté son expérience particulière.

Vous êtes à la tête du diocèse de Gulbarga, créé seulement en 2005. Comment s’est déroulée cette aventure?
Nous sommes pratiquement partis de zéro. En 1982, alors que j’étais prêtre depuis quatre ans, j’ai été envoyé par l’évêque de Mangalore pour fonder une communauté catholique à Gulbarga, dans le nord du Karnataka. L’endroit a été choisi car il était censé n’abriter aucun chrétien.

Je suis arrivé sur place avec l’évêque et deux séminaristes. J’étais alors très jeune et n’avait aucune expérience de la mission. Nous étions dans une toute petite chambre sans mobilier.Nous dormions par terre, y compris l’évêque, qui est resté trois jours avec nous. Nous ne connaissions personne et ne faisions que prier dans la journée.

Dans quelles circonstances les premières communautés catholiques ont-elles vu le jour?
Nous avons commencé à rencontrer des gens, nous nous sommes faits des amis. Puis nous avons entendu parler de chrétiens qui habitaient dans la ville. Il y avait en fait des catholiques, mais seulement trois familles. Il y avait plus de méthodistes. Ils ont été très bons avec nous. Ils nous ont invités chez eux et très bien traités.

Certaines de nos connaissances nous ont présentés à des personnes des villages alentour qui s’intéressaient à la foi chrétienne. Nous sommes venus régulièrement chez eux pour leur réciter l’Evangile. Deux ou trois ans plus tard, ils se sont fait baptiser.

«Nos actions pour le bien de tous sont le meilleur témoignage de l’Evangile»

Ces personnes étaient des Dalits, des membres des castes inférieures. Il faut savoir qu’une grande majorité des chrétiens indiens se trouvent dans cette catégorie de population. Comme les Dalits sont mal considérés dans la religion hindouiste, ils sont plus enclins à venir au christianisme. Ils forment à vrai dire la grande majorité des fidèles du diocèse.

Les villageois devenus catholiques ont ensuite exprimé leur foi autour d’eux et ont amené d’autres personnes à s’y intéresser. Ce qui a fait petit à petit grandir notre communauté. Et nous sommes aujourd’hui 8’000 catholiques dans le diocèse. Ce dernier a été fondé en 2005, lorsque la population de fidèles a été jugée suffisante.

A part les Dalits, d’où viennent les fidèles du diocèse?
Un petit nombre de convertis sont également issu des peuples indigènes. De manière générale, beaucoup de représentants de ces populations sont devenus chrétiens. Nous avons très peu de convertis venant des castes hindouistes supérieures. Cela est plus fréquent dans les Etats où les chrétiens constituent une plus forte minorité, tels que le Kerala ou le Tamil Nadu.

Comment expliquez-vous la forte croissance de la communauté catholique?
Dans la mentalité indienne, les gens ont tendance à adopter les croyances de leurs dirigeants. Ainsi, lorsque les chefs des villages dalits se sont convertis, beaucoup d’habitants ont suivi. C’est certainement juste une question de temps avant que tous ne viennent à la foi chrétienne.

«Notre travail se passe à 75% avec les autres religions»

C’est aussi dû au fait que nous comprenons la mission pas seulement comme un travail d’évangélisation, mais surtout comme une œuvre de développement de la communauté dans son ensemble. Pour nous, l’Evangile doit se traduire en action. Nous ne faisons ainsi pas de prosélytisme. Tous peuvent entendre l’Evangile, tous sont libres d’y venir ou non. Mais nous travaillons pour tous. Nos actions pour le bien de tous sont le meilleur témoignage de l’Evangile.

Quels sont vos principaux domaines d’engagement?
Nous sommes en particulier engagés dans l’éducation de la population. Nous le faisons pour la population globale, pas seulement pour les chrétiens. Dans la trentaine d’écoles que nous avons fondées, les chrétiens ne représentent pas plus de 2% des élèves. Nous cherchons à former principalement les femmes pauvres, parce qu’elles sont le principal moteur de développement de la famille.

Nous avons également créé des «groupes de développement», où des personnes de différentes religions collaborent pour améliorer leurs conditions de vie. Ils agissent notamment conjointement pour faire valoir leurs droits auprès des autorités. Nous leur apprenons comment gérer leur argent et à être moins dépendants des pouvoirs publics.

La foi fleurit dans le diocèse de Gulbarga (Photo: Missio)

Beaucoup d’amitiés se créent entre les membres de ces groupes. Quand je vois une femme d’une caste élevée assise à côté d’une autre de basse caste, en train de discuter, pour moi c’est la réalisation de l’Evangile. Cela ne serait pas possible sans les groupes de développement. Une nouvelle culture et de nouvelles valeurs sont donc crées. C’est un type de programme que l’Eglise catholique mène partout en Inde, et qui est une grande réussite, autant au plan matériel que spirituel.

Vous entretenez donc de bonnes relations avec les autres communautés religieuses…
A Gulbarga, il y a une très bonne entente entre les communautés religieuses et très peu de fondamentalisme. Nous essayons de construire tous ensemble une communauté humaine d’amour, réunissant toutes les religions et toutes les castes. Notre travail à Gulbarga se passe à vrai dire à 75% avec les autres religions.

Nous célébrons les fêtes religieuses hindoues et musulmanes et eux participent à nos fêtes, bien sûr pas au niveau liturgique. L’évêché conseille également à tous les prêtres du diocèse d’inviter les autres religions à nos grands événements.

C’est un enrichissement mutuel, nous nous aidons les uns les autres à grandir dans la foi.

Mais il existe aussi des tensions entre communautés dans le pays…
Les choses se passent très bien dans la plus grande partie de l’Inde. Ces dernières années, la situation s’est toutefois dégradée à certains endroits. Les partisans de «l’Hindutva» (hindouité) tentent de diviser les communautés. Ils sont notamment représentés par le «Rashtriya Swayamsevak Sangh» (RSS), dont l’aile politique est le BJP, le parti du Premier ministre Narendra Modi.

«L’Europe a apporté la foi chrétienne à l’Inde et nous l’en remercions»

Les nationalistes pensent que le pays doit être complètement hindou, avec une religion et une culture. Pour eux, les représentants des autres religions doivent soit partir, soit accepter d’être des citoyens de seconde classe. Avec l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir, en 2014, les choses ont empiré. Cela a coïncidé avec une insécurité grandissante pour les chrétiens et les musulmans. Nous ne ressentons pas vraiment cela à Gulbarga, mais nous entendons par les médias ce qui se passe ailleurs en Inde, où des églises, des religieux ou des religieuses sont attaqués.

Avez-vous tout de même de l’espoir?
Oui, beaucoup de gens sont déçus par le BJP, et il n’est pas sûr qu’il puisse rester longtemps au pouvoir. Narendra Modi n’a tenu aucune de ses promesses et les conditions de vie des personnes ne se sont pas améliorées. De toute façon, la tolérance est une qualité fondamentale du peuple indien, et je sais qu’un jour elle prévaudra.

Les nationalistes hindous parlent de conversions forcées de la part des chrétiens…
Le RSS ment. Il n’y a pas de conversions forcées de la part des chrétiens. Les nationalistes n’ont pas pu apporter la moindre preuve d’un tel cas. Ils continuent cependant de mentir et parfois ils arrivent à convaincre les hindouistes peu éduqués.

De leur côté, les nationalistes hindous tentent de reconvertir les anciens hindous qui se sont tournés vers le christianisme, principalement dans l’Etat du Madya Pradesh (centre). Parfois, ils leur donnent de l’argent pour cela ou leur font miroiter les meilleures conditions de vie qu’ils auraient en tant qu’hindouistes. Mais cela ne fonctionne guère, car la foi est plus forte.

Qu’est-ce que votre expérience de mission peut apporter à l’Eglise en Suisse?
En Europe, vous avez des problèmes différents. Vous êtes touchés par le matérialisme, la sécularisation, l’individualisme. En Inde, pratiquement tout le monde croit fortement en Dieu, quel que soit sa religion et presque tout le monde est pratiquant.

L’Europe a apporté la foi chrétienne à l’Inde et nous l’en remercions. Aujourd’hui, cette foi se développe là-bas, d’une manière particulièrement vibrante. Je souhaite que cette ferveur inspire les Suisses et les Européens.

Nous remercions aussi de l’aide apportée par des organisations européennes telles que Missio. Elle couvre 75% des coûts de financement de notre diocèse. Sans cette aide, nous ne pourrions pas travailler.

Nous voulons surtout témoigner de cette expérience de solidarité humaine que nous vivons à Gulbarga. Le but de la mission est de créer une communauté humaine d’amour et de respect mutuel, pas de faire prévaloir sa propre foi. Le but est de faire vivre l’Evangile par nos actions pour le bien de tous. Ce que cela provoque, c’est ensuite le travail de Dieu. (cath.ch/rz)

Mgr Robert Miranda, du diocèse de Gulbarga, en Inde, est l'invité de la campagne Missio 2017.
9 octobre 2017 | 07:43
par Raphaël Zbinden
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