Mgr Kmetec témoigne du «petit troupeau» catholique en Turquie
«Sur ce territoire des premiers Conciles, nous sommes héritiers d’une grande richesse de la foi chrétienne. Nous avons une dette envers tous les martyrs des premiers siècles jusqu’au XXe siècle», confie Mgr Martin Kmetec, évêque d’Izmir, en Turquie.
Jacques Berset, ACN
Dans cette grande métropole sur la Mer Egée, qui compte plus de 4 millions d’habitants, les chrétiens ne sont plus qu’une infime minorité, vivant dans un contexte pas toujours facile.
Invité par «Aide à l’Eglise en Détresse – ACN», Mgr Martin Kmetec témoigne de la réalité du «petit troupeau» catholique vivant en Turquie, du 19 au 27 mars 2022, dans les paroisses de Suisse alémanique et du Tessin.
Un vaste diocèse et une poignée de catholiques
Mgr Martin Kmetec
Martin Kmetec est né en 1956 dans la région de Maribor, en Slovénie. Membre des frères mineurs conventuels, ordonné prêtre en 1983, il est spécialiste du dialogue interreligieux. Il a exercé son ministère au Liban de 1990 à 2001, avant de poursuivre sa mission en Turquie. Il est archevêque d’Izmir depuis 2021. JB
A la tête d’un vaste archidiocèse de plus de 100’000 km2 peuplé d’une vingtaine de millions d’habitants, les catholiques ne sont qu’une infime minorité, soit quelque 5’000 âmes. Ce sont des «Levantins» d’origine européenne – Italiens, Français, Hollandais, Autrichiens, installés dans ce qui était l’Empire ottoman – mais aussi des immigrés plus récents venus d’Afrique ou d’Asie, notamment des Philippines.
Des convertis
«Nous avons également quelque 5% de convertis, la conversion étant possible, car la loi de l’État turc n’interdit pas de changer de religion… La Constitution turque de 1982 réaffirme la nature laïque de l’État. Elle garantit la liberté religieuse et limite l’exercice du culte aux édifices religieux. L’activité missionnaire n’est pas interdite. Mais les difficultés proviennent de la société, des attitudes culturelles, avec un climat qui s’est détérioré ces dernières années», relève Mgr Kmetec.
L’évêque d’origine slovène, qui parle turc, affirme ne pas ressentir personnellement de problèmes de sécurité. Il ne veut pas parler de persécution religieuse aujourd’hui en Turquie, tout en rappelant les massacres de chrétiens à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle visant les communautés arméniennes, assyro-chaldéennes-syriaques et grecques.
Une Église sans statut juridique
A l’heure actuelle, ce qui préoccupe au premier chef l’archevêque d’Izmir, c’est le fait que l’Église catholique, contrairement aux grecs-orthodoxes ou aux arméniens et chaldéens, n’a pas de statut juridique. L’Église catholique latine, bien que présente en Turquie de très longue date, ne dispose pas du statut de fondation pieuse et reste considérée comme une personnalité étrangère.
«L’Église catholique ne peut pas se présenter comme corps social face à l’État. Moi-même, je ne peux pas ouvrir un compte en banque en tant qu’Église, ou acheter des biens immobiliers en tant qu’Église et les faire enregistrer!», souligne Mgr Kmetec.
Selon les lois turques, les biens des Églises sont gérés par des fondations pieuses ou des associations, administrées par des laïcs, qui n’ont pas vraiment de comptes à rendre aux autorités ecclésiales. »Il n’y a pas de transparence et il y a de grands risques de corruption!»
Aucun contrôle sur les associations qui gèrent les biens immobiliers
Ainsi, déplore Mgr Kmetec, «je n’ai aucun contrôle sur le grand sanctuaire marial de Notre-Dame d’Ephèse, Meryem Ana, la ‘Maison de Marie’, où selon la tradition, la Vierge aurait vécu les dernières années de sa vie». Située à Selçuk, à une cinquantaine de km au sud d’Izmir, le sanctuaire est un lieu œcuménique et de dialogue avec les musulmans.
«L’association qui gère ce lieu, visité par des nombreux pèlerins, et qui génère beaucoup d’argent, ne rend aucun compte à l’Église locale, et son président, en place depuis 25 ans, est inamovible. Cette situation empêche l’Église de développer des activités de retraites et un projet de spiritualité mariale, le président considérant ce lieu comme sa propriété privée». L’archevêque d’Izmir s’en est ouvert au Vatican, mais ceux qui sont en charge de ces associations profitent de la faiblesse de l’Église en Turquie, déplore Mgr Kmetec.
Une Église fragile
Face à cette relative faiblesse, l’archevêque est conscient que la communauté chrétienne ne va pas vraiment grandir: maints catholiques ne le sont plus que par tradition et par appartenance culturelle. De nombreux jeunes ont tendance à s’assimiler, notamment en raison des mariages mixtes avec des partenaires musulmans. «Mais nous serons toujours là, à maintenir une présence. L’Église latine a plus de chance de survivre, car il y aura toujours des migrants qui s’établissent en Turquie, et l’Église latine n’est pas liée à une appartenance ethnique. Nous voulons être dans ce pays un signe vivant de la foi que nous avons reçue!» (cath.ch/jb/acn)
Une chrétienté des premiers siècles
La ville d’Izmir, anciennement dénommée Smyrne, fut une des cités grecques les plus illustres d’Asie Mineure avant d’être en grande partie détruite en septembre 1922, lors de la guerre gréco-turque qui entraîna la mort et l’exil de dizaines de milliers de chrétiens anatoliens. Smyrne abritait également une des premières églises de la chrétienté. Saint Polycarpe (photo), disciple de Jean, fut le premier évêque de la cité et y mourut en martyr. La communauté chrétienne, issue d’une colonie juive, avait reçu l’Évangile de bonne heure, car elle était proche d’Ephèse où l’apôtre Paul exerça son ministère de 52 à 54. JB
Des prêtres martyrs
Dans une époque récente, des prêtres ont été victimes d’attaques, comme le Père Andrea Santoro, prêtre catholique italien âgé de 61 ans assassiné à Trébizonde (Trabzon), dans le nord-est du pays, sur la mer Noire, en février 2006.
Le 3 juin 2010, Mgr Luigi Padovese, président de la Conférence épiscopale turque et vicaire apostolique d’Anatolie, a été tué dans sa maison d’Iskenderun. JB