"Le sens fondamental du mot [conversion] est plus profond: il désigne un engagement total de l’existence", estime Mgr Doré | © Bernard Litzler
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Mgr Joseph Doré: «Se convertir, une tâche urgente pour l’Église»

Mgr Joseph Doré, ancien doyen de la Faculté de théologie de la Catho de Paris et archevêque émérite de Strasbourg, soutient résolument la démarche synodale engagée dans l’Église. Témoin, son dernier livre Le salut de l’Eglise est dans sa propre conversion (Editions Salvator). Entretien avec un pasteur stimulant.

Bernard Litzler pour cath.ch

C’est au Séminaire St-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux, au sud de Paris, que reçoit le théologien Joseph Doré. Il a quitté l’archevêché de Strasbourg en 2007, mais son temps reste largement consacré à la réflexion et à l’écriture. Avec un souci permanent: témoigner de la foi chrétienne, et pour cela tirer les leçons du passé et proposer des pistes pour l’avenir. En ce sens, le livre Le salut de l’Église est dans sa propre conversion constitue un modèle: le constat de la gravité de la situation de l’Église n’obère pas sa capacité de toujours rebondir, dans un monde en constante mutation.

Dans votre livre, vous constatez que l’Église va mal. Et vous appelez à une conversion, au niveau individuel et au niveau institutionnel…
Mgr Joseph Doré: Jusqu’à une époque récente, on appliquait le mot conversion à des non-chrétiens, ou bien à d’anciens chrétiens qu’il faudrait ramener à la foi. En réalité, le sens fondamental du mot est plus profond: il désigne un engagement total de l’existence, en réponse à des questions vitales.

Les chrétiens sont concernés par une conversion ainsi conçue, dans la mesure où il s’agit précisément de s’engager toujours davantage dans le sens de leur vocation propre, qui est double. Premier aspect: faire place à l’autre, aimer les autres – or ce n’est pas spontanément qu’on est porté à le faire! Second aspect: faire place à ce grand mystère que Dieu est et reste toujours pour ceux auxquels Jésus le révèle comme rien de moins que «la Vie de leur vie» – et donc, osons-le dire, comme leur salut… Or ce n’est pas évident!

C’est en fonction de cela que vous écrivez que l’Église a besoin de conversion?
Oui! L’Église n’est pas parfaite. Et si elle est appelée à la sainteté, c’est un fait qu’elle n’est jamais suffisamment convertie, ni aux autres, ni à Dieu. Elle est continuellement invitée à reconnaître ses nombreuses limites, ainsi que ses parfois si graves manquements, d’hier et d’aujourd’hui. Elle a donc sans cesse à y remédier – c’est-à-dire: à se tourner toujours aussi bien vers les autres pour les aimer en vérité, que vers Dieu afin de le servir précisément en aimant les frères et les sœurs qu’il ne cesse de nous donner. Qui pourrait nier qu’une vraie conversion est pour l’ Église non seulement essentielle, mais plus urgente que jamais?

«Oui! L’Église n’est pas parfaite. Et si elle est appelée à la sainteté, c’est un fait qu’elle n’est jamais suffisamment convertie.»

Quels sont alors les axes principaux de votre pensée à ce sujet dans ce livre?
Principalement, j’expose qu’il s’agit pour l’Église: d’abord, de revenir au cœur de la foi chrétienne en la pensant davantage pour la proposer mieux; et ensuite, de remettre l’amour chrétien au centre de tout en le vivant davantage pour y inviter mieux.

Cette conversion a avant tout une dimension intérieure, personnelle, qui concerne chaque chrétien, qu’il soit commençant ou «confirmé», ministre de l’Église ou acteur de sa vie à un titre ou à un autre.

C’est ce qui a amené le pape François à appeler tous les chrétiens – et pas seulement les responsables institutionnels –: d’abord, à s’impliquer davantage dans la vie de leur Église; et à s’engager dans une démarche qu’il qualifie de synodale.

Quel est la portée exacte de cette invitation du pape?
Syn veut dire «avec» et odos, «chemin». Il faut comprendre que tous les chrétiens catholiques se trouvent invités à se rencontrer, à échanger, à dialoguer et à débattre ensemble pour aider toute l’Église à se recentrer sur son appel et sa mission… Et, par là, à lui permettre de mettre au point, dans l’Esprit Saint, les modalités de la conversion à laquelle elle est appelée tout entière.

«Le dernier mot n’est pas dit pour l’Église, et qu’il vaut donc la peine de se mettre – ou plutôt de se remettre – à l’ouvrage tous ensemble.»

Votre livre qui milite en faveur de cette démarche nouvelle de l’Église se fonde sur votre vécu «de croyant, de pasteur et de théologien». Est-ce une forme de testament spirituel?
Il y a dans cet ouvrage un aspect biographique marqué. Mon itinéraire personnel n’a pas comporté que des facilités et des succès. Comme tout le monde, j’ai connu des hésitations et des doutes, et j’ai rencontré des objections et des résistances. Tout cela m’a évidemment secoué, mais a aussi contribué à ma propre conversion! Car je dois le reconnaître: grâce à Dieu, le témoignage et le soutien de frères et sœurs de l’Église d’hier et d’aujourd’hui m’ont permis de ressortir vivant de toute cette aventure.

J’en ai retiré la conviction que le dernier mot n’est pas dit pour l’Église, et qu’il vaut donc la peine de se mettre – ou plutôt de se remettre – à l’ouvrage tous ensemble. De là résulte mon engagement résolu pour le Synode qui vient de s’ouvrir. Il me paraît représenter une opportunité providentielle qu’il ne faudrait pas laisser passer.

«Je ne crois pas du tout que le mot «salut» ne parlerait plus à nos contemporains.» | © Bernard Litzler

Quelles questions vous semblent les plus urgentes dans ce processus lancé par le pape François?
L’enjeu de la démarche synodale est, me semble-t-il, la démarche elle-même. Allons-nous pouvoir mobiliser un assez grand nombre de chrétiens autour de ce chantier qu’on peut définir ainsi: comment nous réunir, réfléchir, débattre et décider en Église, pour devenir encore mieux l’Église de Jésus Christ? Non pas une institution qui voudrait retrouver les «privilèges», les «splendeurs» ou «les bonnes habitudes» d’antan. Mais une communauté plus croyante et mieux engagée, qui puisse être plus fidèle à sa double mission: revenir au cœur de la foi chrétienne, et la pratiquer dans ce monde où il s’agit toujours de vivre davantage la charité du Christ.

L’Église sera-t-elle capable de se mobiliser, à votre avis?
J’ai été assez positivement impressionné, en ce sens, par les réactions des chrétiens de France à la suite de la publication du rapport Sauvé. Dans une grande proportion, ils se sont dit et ils ont dit: notre Église, ce n’est pas cela; elle ne peut et ne doit pas être cela! Les responsables ecclésiaux doivent pouvoir tabler là-dessus. Cela veut dire: inviter les fidèles de leur diocèse à une participation effective, la rendre réalistement possible, l’organiser, et la conduire avec méthode; et, ensuite, être résolus à y donner suite.

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Quant aux personnes qui participent à cette démarche synodale, que leur faut-il avoir à l’esprit?
Il s’agit pour elles de venir à la réflexion synodale en mesurant ce que représentent pour elles-mêmes la foi chrétienne et l’Église. Et avec le souci de préciser à quelles conditions cela peut présenter de l’intérêt pour le monde tel qu’il est… pour en venir aux transformations ecclésiales que cela pourrait rendre nécessaire.

Je dirais qu’il peut y avoir là une opportune voie de «salut» pour l’Église. Etant bien entendu que le salut de l’Église ne peut être que de s’efforcer de servir celui que Dieu lui-même propose au monde en Jésus, le Christ!

Mais le mot salut n’est-il pas à la fois galvaudé et dévalué aujourd’hui?
Une catéchiste me rapportait récemment qu’à un enfant qui lui parlait de son papa gravement malade, et peut-être «perdu», elle a eu le réflexe de demander: «Le contraire de perdu, ce serait quoi?». «Mais sauvé, voyons!», a répondu l’enfant.

Je ne crois pas du tout que le mot «salut» ne parlerait plus à nos contemporains. Je crois en revanche qu’ils sont de plus en plus nombreux à ne pas (ou plus) voir où il pourrait leur en être crédiblement proposé un… Mais cela ne veut pas du tout dire qu’ils auraient trouvé ailleurs mieux que ce que leur propose le message évangélique! A l’Église, alors, de se mobiliser. Telle doit être la motivation profonde de la conversion qui lui est demandée. Et tel est le sens du Synode auquel le pape François nous convie. (cath.ch/bl)

Vibrant plaidoyer
A cause de Jésus (Plon, 2011) ou Jésus. L’encyclopédie (Albin Michel, 2017): les productions récentes de Joseph Doré disent son attachement à la personne du Christ. Qu’il écrive lui-même ou qu’il dirige des collections, l’archevêque émérite de Strasbourg (en 1997-2007) reste une figure de référence. Ancien président de l’Académie internationale de Sciences religieuses (à Bruxelles), ancien membre de la Commission théologique internationale (à Rome), il a beaucoup travaillé avec le cardinal Joseph Ratzinger – Benoît XVI. Il milite pour une foi incarnée, confrontée aux sciences humaines tout en étant soucieuse des enjeux de notre époque. Promoteur des avancées du concile Vatican II, Mgr Doré estime que celui-ci «n’a pas encore porté tous ses fruits». Le Synode des évêques en 2023 est appelé à en recueillir et promouvoir à la fois l’esprit et l’élan.
Son dernier ouvrage Le salut de l’Église est dans sa propre conversion (Salvator, 2021) constitue un plaidoyer vibrant. Fort de son expérience de pasteur et avec la vigueur de sa pensée théologique, il appelle à réformer la curie romaine, les ministères ordonnés et institués, et à repenser la place des femmes. Un livre stimulant qui arrive au moment où la démarche synodale se déploie dans l’ensemble de l’Église. BL

«Le sens fondamental du mot [conversion] est plus profond: il désigne un engagement total de l’existence», estime Mgr Doré | © Bernard Litzler
30 janvier 2022 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 6  min.
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