Mgr Jean-Paul Vesco: «Ce qui sera bon pour l’Algérie sera bon pour l’Eglise»
L’évêque d’Oran, Mgr Jean-Paul Vesco, apporte pour la première fois son témoignage sur les événements en cours en Algérie. «Ce qui sortira de cette confrontation sera bon pour l’Algérie», estime-t-il, confiant. Entretien.
Vous occupez un poste important au sein de l’Eglise catholique d’Algérie. Comment percevez-vous le mouvement actuel?
Je peux témoigner que le mouvement actuel est celui d’un peuple qui veut prendre son destin en mains. Je vois autour de moi, à travers les gens qui y participent qu’il s’agit d’un mouvement pacifique, familial, déterminé. Il refuse les incitations à la violence. Il refuse aussi de se laisser effrayer par les menaces de retour à la guerre civile ou les tentatives de récupération par des partis politiques. A ce sujet, il est intéressant d’écouter le vocabulaire utilisé: les personnes ne sortent pas pour manifester mais pour marcher, et dans leur appel à une seconde république, on peut entendre un désir profond d’une réappropriation de l’espérance née de l’indépendance.
Le départ du président va-t-il arrêter le mouvement?
Les Algériens attribuent à juste titre cette démission à la force de leurs marches. C’est une première victoire et je doute qu’elle marque le terme de la marche d’un peuple qui fait preuve d’une réelle maturité politique.
Ce mouvement est-il comparable au mouvement tunisien qui a fait partie de ce qu’on appelle le printemps arabe?
Chaque pays a son histoire dans la région. L’Algérie n’a pas bougé lors des mouvements que l’on a appelés «printemps arabes», parce qu’il était facile d’effrayer le peuple algérien en agitant la peur d’un retour à la guerre civile. Cela a fonctionné encore ces dernières années. Mais soudain, il y a eu un basculement: le mouvement est parti du rejet de la candidature à un cinquième mandat de la part du président Abdelaziz Bouteflika pour s’ouvrir sur une demande beaucoup plus vaste dans laquelle on sent une aspiration profonde à vivre.
«L’Eglise catholique a à cœur de participer à la promotion d’une société civile qui assume pleinement sa vocation à la citoyenneté».
L’origine est-elle économique?
Je ne le pense pas. C’est la dignité qui a été touchée. Ce n’est pas tant la personne du président Bouteflika en elle-même que le fait de devoir voter pour un candidat trop manifestement dans l’incapacité physique d’assumer une fonction présidentielle qui a blessé la dignité des Algériens. Il n’y a pas seulement des jeunes qui manifestent, mais également des personnes âgées, des mères de famille, des avocats, des magistrats… Nous sommes au delà de la question économique. Ce n’est pas une révolte qu’on peut éteindre en achetant la paix.
Quel est le rôle de l’église catholique d’Algérie dans ce mouvement?
Bien que considérée comme une entité étrangère, même si elle fait partie de l’histoire de l’Algérie indépendante, l’Eglise catholique a à cœur de participer à la promotion d’une société civile qui assume pleinement sa vocation à la citoyenneté. Mais dès lors qu’il est question de l’avenir politique du pays, l’Eglise en tant qu’institution ne se sent pas légitime à prendre position. Pourquoi? Le champs politique est un espace sacré qui ne peut être foulé que par les Algériens eux-mêmes.
La décennie noire a touché l’église d’Algérie. L’un de vos prédécesseurs, Mgr Pierre Claverie a été assassiné le 1er août 1996, dans l’explosion d’une bombe déposée devant son évêché. C’était quelques heures après la visite en Algérie du ministre français des affaires étrangères, Hervé de Charette, qui s’était rendu sur les tombes des sept moines français de Tibhirine. Pensez-vous qu’une nouvelle vague de violence pourrait viser l’Eglise catholique d’Algérie?
Non. Je n’ai aucune crainte à ce sujet. A l’heure actuelle et tel que le mouvement se déroule, je suis confiant car il me semble que le peuple exprime une profonde et sincère aspiration à un changement et qu’il saura repousser toutes les éventuelles tentatives de récupération. Je ne sais pas comment cela se traduira sur le plan politique, mais ce dont je suis sûr, c’est que ce qui sera bon pour l’Algérie sera bon pour l’Eglise. Et j’ai la conviction que ce qui sortira de cette confrontation sera bon pour l’Algérie. A défaut de participer pas aux marches, je prie pour l’Algérie, ses habitants et ses dirigeants, et je suis plein d’espérance. (cath.ch/cathobel/ldh/gr)