Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott, en Suisse  en septembre 2022 à l'invitation d'Aide à l'Eglise en Détresse | ©  Jacques Berset
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Mgr Happe, évêque de Nouakchott: «l’Eglise de Mauritanie est respectée»

«L’Eglise catholique de Mauritanie, c’est un sésame qui ouvre bien des portes», assure Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott, capitale de la République islamique de Mauritanie. «Je me promène dans la rue avec ma croix pectorale, même la nuit. Je me sens protégé, il y a toujours beaucoup de respect», témoigne l’évêque missionnaire en visite en Valais du 10 au 18 septembre à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse ACN (AED-ACN).

Certes, admet l’évêque missionnaire qui fêtera ses 77 ans le 15 novembre prochain, la pression des wahhabites, dopés par l’argent de l’Arabie saoudite, se fait sentir et inquiète les autorités de ce pays de 4 millions d’habitants totalement désertique dans sa partie nord et sahélienne dans sa partie sud. La Mauritanie est frontalière du Sénégal, du Mali, de l’Algérie et du Sahara occidental.

Les autorités luttent contre l’extrémisme

Dans les régions frontalières orientales du pays sévissent des groupes djihadistes tels Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) ou encore le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Les autorités luttent contre l’extrémisme en isolant les djihadistes capturés dans des prisons spéciales, en développant un travail de rééducation concernant les motivations religieuses de leurs actions, en mettant sur pied des unités méharistes du Groupement nomade (GN), qui vont avec leurs chameaux, là où les unités motorisées ne peuvent pénétrer. Le GN protège les populations dans les zones enclavées, assure des soins médicaux et exerce certaines fonctions de police judiciaire.  

«Les gendarmes mauritaniens me félicitaient»

Quand le Paris-Dakar 2008 a été annulé pour des raisons de sécurité et que l’ambassade allemande lui demandait de ne pas sortir de la ville et voulait lui fournir un véhicule blindé, l’évêque a poliment refusé. «Les gendarmes mauritaniens me félicitaient parce que je continuais à voyager à travers le pays !» Les relations avec les musulmans sont en effet empreintes de respect : «Des responsables musulmans, des érudits, viennent régulièrement me voir». La tendance musulmane soufie est généralement tolérante envers les ›gens du Livre’. «Nous entretenons de bonnes relations et nous faisons beaucoup pour la population».

Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott, à Sion avec Emmanuel French, responsable d’Aide à l’Eglise en Détresse pour la Suisse romande | ©  Jacques Berset

Mgr Martin Happe, un «Père Blanc» allemand qui fêtera ses 77 ans le 15 novembre prochain, est depuis 1995 évêque du diocèse de Nouakchott:  «J’ai donné ma démission à l’âge de 75 ans, comme le prescrit le droit canonique, mais le nonce a demandé que je reste, en attendant que le Vatican ait trouvé un successeur. Des fidèles ont plaidé pour que je reste encore. Je joue les prolongations!»

A part Mgr Happe, il n’y plus de prêtres européens en Mauritanie, qui fut une colonie française de 1920 au 28 novembre1960, date de l’indépendance nationale. «Je suis le dernier des Mohicans», plaisante-t-il.

Dans les paroisses, un va-et-vient continuel de fidèles

Son diocèse est composé de la paroisse cathédrale Saint Joseph à Nouakchott, ville peuplée de populations négro-africaines – Soninkés, Toucouleurs et Wolofs – ainsi que de Maures qui parlent le «Hassanya» (dialecte arabe). La paroisse Notre Dame de Mauritanie à Nouadhibou, sur la façade atlantique, est la deuxième paroisse du diocèse avec une communauté chrétienne très mobile: «C’est un va-et-vient continuel. 30% de la communauté se renouvelle chaque année, c’est même 50 % à Nouadhibou, où beaucoup de migrants qui cherchent à partir vers l’Europe sont coincés, car la surveillance maritime de Frontex, avec ses vedettes et ses hélicoptères, en refoule beaucoup. Alors, ils restent sur place, travaillent dans le secteur informel, fondent une famille…» L’Eglise catholique de Mauritanie compte encore les missions d’Atar, de Kaédi, de Rosso, de Tufunde Cive et de Zouerate.

Mauritanie Mgr Martin Happe avec des confirmands | © AED/ACN

Sa dizaine de prêtres sont principalement des religieux africains, mais aussi des prêtres africains diocésains fidei donum. Deux prêtres religieux viennent d’Inde, tandis que différentes congrégations religieuses sont actives dans le pays: les Sœurs de Béthanie, les Sœurs Blanches de Notre Dame d’Afrique, les Filles de la Charité, les Filles du Saint Cœur de Marie, les Franciscaines missionnaires de Marie…

Servir la population, sans distinction

«Nous sommes dans ce pays pour servir la population, sans distinction, mais il n’y a pas de prosélytisme de notre part… Les instructions données à nos collaborateurs sont claires! Notre mission ici n’est pas seulement de servir la petite minorité catholique, c’est avant tout de rendre visible, palpable, l’amour de Dieu pour tous et pour chacun. Mais pas question de convertir des musulmans ! Tous nos fidèles sont des non Mauritaniens».  

Dans des réceptions officielles, des responsables mauritaniens présentent souvent Mgr Happe comme ›notre évêque’ et les relations avec la plupart des autorités religieuses musulmanes sont bonnes.  Dans ce pays à 99,5% musulman – les Mauritaniens sont des musulmans sunnites de l’école de jurisprudence malékite, et nombre d’entre eux appartiennent à des confréries religieuses dont la Qadiriyya et la Tidjaniyya – pas question de faire des conversions.

Selon l’article 306 du Code pénal mauritanien, tout musulman qui renie l’islam, sans se repentir dans un délai de trois jours, est passible de la peine de mort. A côté des catholiques, qui viennent d’une bonne quarantaine de pays, majoritairement des pays africains – Guinée Bissau, Sénégal, Bénin, Togo, Congo, etc.  – on compte également des évangéliques des mêmes régions.

Mauritanie Des femmes en formation dans un atelier tenu par des religieuses | © AED/ACN

Témoigner de l’Evangile par les actes

Même si l’Eglise ne peut pas annoncer ouvertement le Christ dans le pays, les services tels que l’éducation, les soins de santé, le secours et les actes de charité et de justice sont pour elle l’essentiel du témoignage de l’Évangile et de sa présence dans ce milieu.

La présence de l’Eglise est marquée par son action sociale, caritative et éducative, en faveur des plus pauvres, «pour donner une chance à ceux qui n’en auraient pas autrement!» Les religieuses sont actives auprès des enfants des quartiers défavorisés, souvent illettrés ou sans grand bagage scolaire, ayant été très vite déscolarisés.

A la Caritas, où travaillent environ 80 personnes, il n’y a que quatre chrétiens, dont le directeur et le directeur financier. C’est dans ce cadre qu’a été fondé le Centre de formation et d’insertion professionnelle CFIP, à Dar Naïm, dans une banlieue de Nouakchott, une commune dirigée par un maire islamiste. «C’est pourtant la seule commune qui a une convention avec la Caritas. Ce sont eux qui l’ont demandé!»

On y enseigne la mécanique auto, l’électricité auto et bâtiment, la pâtisserie, la couture et la coiffure. «Les filles y sont désormais majoritaires», constate avec satisfaction l’évêque missionnaire. La Caritas est également présente avec ses travailleurs sociaux dans la prison centrale de la capitale et dans d’autres établissements pénitentiaires. «Le chef de projet pour les prisons est un avocat mauritanien». Le diocèse, avec une responsable laïque, dispose du Foyer de l’enfance, qui héberge une trentaine de handicapés lourds. Des médecins offrent des prestations, le travail se fait avec des bénévoles. «L’Eglise a très peu de ressources, c’est un miracle permanent que cette institution survit!»

«Nous ne faisons rien à la place des gens»

A Dar Naïm, l’Eglise développe un travail d’organisation et d’animation avec les jeunes, et apporte son aide aux femmes pour mettre en place des coopératives. «Nous ne faisons rien à la place des gens, ce sont eux qui sont aux manettes…»

Dans les campagnes, suivant la même philosophie, l’Eglise ne fait que répondre à des demandes émanant de la population: adduction d’eau potable, puits pour le bétail, l’irrigation. «Nous ne faisons pas d’assistanat, et les projets sont limités dans le temps. On est là uniquement pour accompagner, mais c’est la population locale qui prend en charge le projet. Nous sommes vaccinés contre les ›projets parachutés’». «Notre rôle est d’être des témoins de l’amour de Dieu dans ce pays islamique, conclut Mgr Happe, comme Jésus l’a été dans son temps au sein de la société juive». (cath.ch/be)

Un Allemand en Afrique
Originaire du Münsterland, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Martin Happe a rejoint les Missionnaires d’Afrique, les «Pères Blancs», et a été ordonné prêtre le 2 juin 1973 en Allemagne. Il a ensuite travaillé comme missionnaire dans le diocèse de Mopti, au Mali, dès 1973, avant d’en être nommé administrateur apostolique en 1988. Le pape Jean Paul II l’a nommé évêque de Nouakchott, en Mauritanie, en 1995. L’évêque s’engage pour les migrants et pour une attitude sans préjugés envers l’islam. Malgré son long engagement en Afrique, il ne pense pas encore à la retraite. De la part de ses collaborateurs, il ne cesse d’entendre que sa présence en Mauritanie est encore nécessaire. JB

Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott, en Suisse en septembre 2022 à l'invitation d'Aide à l'Eglise en Détresse | ©  Jacques Berset
19 septembre 2022 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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