Mgr Gmür: «Je n’ai en aucun cas cherché à protéger un abuseur présumé»
Un article du magazine alémanique Beobachter du 17 août 2023 accuse Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, de «protéger un prêtre» accusé d’abus sexuels sur une jeune fille mineure. Interrogé par cath.ch, Mgr Gmür admet que des erreurs ont été commises dans le traitement de l’affaire, tout en se défendant d’avoir «cherché à protéger» le prêtre.
Beobachter réserve plusieurs pages de son édition du 17 août à l’histoire de Denise Nussbaumer (nom fictif). Cette femme aujourd’hui quadragénaire vit dans le diocèse de Bâle. Affirmant avoir été abusée sexuellement par un prêtre nigérian exerçant dans le diocèse entre 1995 et 1998, elle a signalé le cas aux instances de l’Eglise en 2019. Selon Denise Nussbaumer, l’ecclésiastique aurait abusée d’elle à plusieurs reprises alors qu’elle avait entre 14 et 17 ans. Le journal parle d’attouchements, notamment sur les parties intimes, et de baisers forcés, mais ne spécifie pas exactement l’ensemble des abus.
Plainte non poursuivie
L’article met dans un second temps en évidence les critiques émises par la présumée victime concernant le traitement de cette affaire par le diocèse de Bâle, et en particulier par Mgr Felix Gmür, évêque diocésain depuis 2010. D’après Beobachter, Denise Nussbaumer s’est résolue à signaler son cas à l’évêché en 2019, après avoir reçu en 2018 un appel téléphonique de l’abuseur présumé, qui cherchait à reprendre contact avec elle. Elle a remis alors au diocèse ses notes et des copies de son journal intime dans lequel elle avait consigné ses relations avec le prêtre. La Commission d’indemnisation de la Conférence des évêques suisses (CES) a alors pris une décision rapide, la reconnaissant comme victime d’un «cas grave» et lui versant une indemnité de 15’000 francs.
«Beobachter indique que le prêtre en question travaille depuis des années au Nigeria avec des étudiants»
Suite au signalement, «l’évêque Felix Gmür fait ce que les directives du droit canonique oblige les évêques à faire. Il dépose une plainte pénale», remarque le magazine alémanique. La plainte n’a cependant pas été poursuivie, du fait que les faits remontant aux années 1990 étaient prescrits.
Parallèlement, Mgr Gmür, qui est président de la CES depuis 2019, a ouvert une enquête canonique préliminaire. Mais l’évêque n’a pas engagé de procédure pénale ecclésiastique, constatant, en mai 2020, que «les reproches formulés n’ont pas été confirmés», selon Beobachter.
Les dossiers pas transmis à Rome
Mgr Gmür n’envoie pas non plus les dossiers à Rome, contrairement aux directives émises depuis 2001 par le dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF). L’évêque le fera finalement en juillet 2023. Il aurait pris la décision de ne pas poursuivre la procédure après notamment que l’auteur présumé ait nié les faits «dans une affirmation d’innocence assermentée». Les notes du journal de la victime n’auraient pas non plus été prises en compte dans l’évaluation du cas par le diocèse. «Dans le cadre de l’enquête préliminaire, il n’a pas été possible d’exclure complètement que les accusations de la victime présumée soient une calomnie», aurait écrit Mgr Gmür dans une prise de position au Beobachter.
D’autres griefs sont mentionnés par le magazine. L’évêché aurait notamment reproché à Denise Nussbaumer de n’avoir pas signé les documents remis. Cela lui avait été demandé en mars 2020. La victime présumée a expliqué qu’elle n’a pas pu se rendre sur place à cause de la situation de confinement dû à la pandémie et qu’elle ne disposait pas d’un scanner et d’une imprimante. Deux mois plus tard, l’évêché a en conséquence clos le dossier.
Notes de la victime envoyées à l’abuseur présumé
Mgr Gmür est en outre accusé d’avoir envoyé au prêtre incriminé, au Nigeria, les notes du journal de Denise Nussbaumer ainsi que son numéro de téléphone, son adressse e-mail et postale. Beobachter cite un avocat zurichois assurant qu’il s’agit là «d’une violation flagrante du code pénal. Le secret professionnel ne s’applique pas seulement aux médecins ou aux notaires, mais aussi aux ecclésiastiques.»
Le journal relève une «série d’incohérences», notamment le fait que l’évêque ait en même temps «disculpé» le prêtre tout en décrétant une «ordonnance urgente» lui interdisant le contact avec la victime et ses proches et d’exercer un quelconque ministère dans le diocèse de Bâle.
Beobachter indique que le prêtre en question travaille depuis des années au Nigeria avec des étudiants.
Face à ces accusations, cath.ch a posé une série de questions à Mgr Gmür, auxquelles il a répondu par écrit.
Beobachter relève plusieurs contradictions dans le traitement du dossier: la Commission d’indemnisation de la Conférence des évêques a reconnu Denise Nussbaumer comme victime et lui a versé 15’000 francs. Vous avez cependant affirmé que «les accusations portées n’ont pas été confirmées» et que «dans le cadre de l’enquête, il n’a pas pu être totalement exclu que les accusations de la victime présumée soient une calomnie». La commission se serait-elle donc trompée en indemnisant Denise Nussbaumer?
Mgr Felix Gmür: La commission d’indemnisation fait un examen de plausibilité, et l’évêché procède à un examen juridique. Les deux procédures suivent des règles très différentes et ne sont pas directement comparables. Je reconnais toutefois que des erreurs de procédure ont été commises à l’époque, ce qui a conduit à ne pas ouvrir de procédure pénale de droit canonique.
Comment êtes-vous parvenu à la conclusion que la calomnie «ne peut être exclue»?
J’ai suivi les recommandations de mon conseiller juridique de l’époque. Je le regrette aujourd’hui, car celles-ci se sont révélées erronées par la suite.
«Le responsable de l’enquête préliminaire était convaincu que toutes les preuves devaient déjà être présentées à l’accusé»
Est-il vrai que les notes du journal de la victime présumée, les échanges de courriels avec l’évêché et les souvenirs écrits n’ont pas été pris en compte dans l’évaluation?
Les notes ont bien été prises en compte, mais du point de vue actuel, elles ont été mal évaluées.
Si les accusations portées n’ont pas été confirmées, pourquoi une ordonnance d’urgence a-t-elle été émise, interdisant au prêtre d’entrer en contact avec la victime et d’exercer son activité dans le diocèse?
L’interdiction d’activité et de contact pour le prêtre incriminé a été prononcée deux semaines avant le début de l’enquête préliminaire. Cette mesure de précaution a été édictée afin de protéger la personne concernée de toute influence de l’accusé.
Beobachter affirme que vous n’avez pas envoyé le dossier à Rome comme le prévoit la procédure (ou alors très tardivement). Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait?
L’enquêteur préliminaire de l’époque estimait qu’il n’y avait pas suffisamment d’indices et partait à tort du principe que l’évêché n’avait pas à envoyer le dossier à Rome.
Denise Nussbaumer affirme qu’elle n’a pas pu signer les documents en raison de la situation de confinement au printemps 2020. Pourquoi ne lui a-t-on pas laissé plus de temps pour signer les documents?
C’était une erreur de demander à la personne concernée de signer des documents au stade de l’enquête préliminaire.
«Des erreurs de procédure ont été commises, ce qui a causé un préjudice supplémentaire à la personne concernée»
D’après Beobachter, vous avez transmis à l’accusé le journal et les coordonnées de la victime. Est-ce effectivement le cas? Si oui, pourquoi?
Le responsable de l’enquête préliminaire de l’époque a appliqué à tort des critères valables pour une procédure pénale ecclésiastique déjà à la phase de l’enquête préliminaire. Il était convaincu que toutes les preuves devaient déjà être présentées à l’accusé pour l’enquête préliminaire afin que celui-ci puisse se défendre de manière adéquate. Cela n’est effectivement pas correct du point de vue de la procédure.
Le prêtre accusé travaille actuellement avec des jeunes au Nigeria. Ne serait-il pas judicieux, par mesure de précaution, de le tenir éloigné des jeunes?
Ce serait judicieux, mais cela relève de la responsabilité de l’évêque compétent au Nigeria.
Avez-vous ainsi informé de l’affaire l’évêque responsable du prêtre?
Oui. J’ai transmis le dossier à l’évêque compétent et j’ai reçu un accusé de réception.
Pensez-vous finalement avoir agi conformément à l’appel du pape à la «tolérance zéro» en matière d’abus?
Des erreurs de procédure ont été commises, ce qui a causé un préjudice supplémentaire à la personne concernée. Je le regrette profondément. Le cas est actuellement examiné à Rome afin que justice soit rendue à la personne concernée.
Pensez-vous, comme l’affirme Beobachter, avoir «protégé» le prêtre en question ou l’avoir favorisé par rapport à la victime?
Je ne voulais en aucun cas protéger un auteur d’abus présumé. En témoigne le fait que j’ai immédiatement déposé une plainte pénale, émis une interdiction d’activité et de contact et ouvert une enquête préliminaire canonique.
Savez-vous si les accusations de Beobachter font partie des résultats de l’enquête sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique qui sera publiée le 12 septembre prochain? Si oui, s’agit-il d’une «fuite» d’informations? Et d’où pourrait-elle provenir?
Beobachter suit l’affaire depuis un certain temps déjà. Je n’ai pas connaissance du contenu du rapport de recherche.
(cath.ch/beobachter/rz)
Le diocèse de Bâle a diffusé un communiqué sur l’affaire dans la matinée du 18 août 2023. Le texte admet effectivement qu’un certain nombre d’erreurs ont été commises. Il explique notamment que «le responsable de l’enquête préliminaire de l’époque (…) partait à tort du principe que la personne concernée devait signer les documents présentés pour que ceux-ci soient pris en compte dans la procédure».
«Le cas aurait dû être transmis avec l’ensemble du dossier à l’autorité compétente à Rome, sans tenir compte de l’obligation d’informer», admet également le diocèse.
Il confirme que l’évêque a réexaminé le dossier, vérifié, corrigé l’erreur et envoyé tous les dossiers à Rome le 4 juillet 2023. «Le fait de ne pas avoir réussi à mettre en œuvre les démarches correctes est reconnu par l’évêque comme un échec qui ne doit pas se reproduire, affirme le communiqué. Ces erreurs de procédure ont causé un préjudice supplémentaire à la personne concernée. L’évêque le regrette vivement, tout comme le fait que le droit de la personne concernée n’ait pas été respecté».
Le cas est actuellement examiné à Rome afin que justice soit rendue à la personne concernée, conclut le diocèse de Bâle. RZ