Mgr Carlassare: «La visite du pape au Soudan du Sud est attendue»
Trois mois avant la visite du pape François au Soudan du Sud, prévue du 5 au 7 juillet 2022, Mgr Christian Carlassare, évêque de Rumbek, a présenté le 21 avril la situation de ce pays engagé dans un processus de paix très complexe après la guerre civile qui l’a déchiré entre 2013 et 2018.
Dans une conférence en ligne organisée par l’université romaine de la Sainte-Croix, le missionnaire combonien a relevé que la visite du pape François est attendue avec une grande joie par les catholiques mais aussi par les protestants, qui saluent cette «belle initiative» d’un voyage conjoint avec le primat anglican et le modérateur des presbytériens. Elle s’inscrit en cohérence avec l’action commune des Églises en faveur de la réconciliation nationale. Les musulmans du pays, qui représentent environ 8% de la population, considèrent aussi le pape comme «une figure qui appelle à la paix et à l’unité» et qui parle «au nom de tous et pour tous», a assuré Mgr Carlassare.
Le geste fort du pape le 11 avril 2019, lorsqu’il avait reçu au Vatican les responsables politiques du pays et leur avait embrassé les pieds, est resté dans les mémoires, mais le pape est conscient de la nécessité du «temps long» pour «encourager la poursuite du processus», a insisté Mgr Carlassare. Parmi les grands enjeux figure la question du désarmement, qui nécessite une méthodologie précise, car «il est plus facile d’armer que de désarmer», a averti l’évêque.
La contribution du pape peut notamment permettre de faire en sorte que chaque groupe impliqué dans le processus de paix accepte de «recevoir une part du gâteau un peu plus petite». Sa visite sera attendue par tous et aucune inquiétude particulière n’apparaît concernant sa sécurité, le pape étant respecté par tous les partis.
«Nous prions pour que sa santé soit bonne pour ce voyage, je suis confiant dans sa capacité à doser ses énergies», a assuré Mgr Carlassare, qui avait été personnellement reçu par le pape François avant de quitter l’Italie, le 14 mars 2022. Il a reconnu que l’organisation logistique de ce voyage sera difficile pour ce pays encore sous-doté en infrastructures, mais «l’Afrique a déjà prouvé qu’elle peut tout organiser, même avec peu de moyens».
Ce voyage devrait en tout cas permettre à ce pays de gagner en visibilité, après une première décennie d’indépendance marquée par l’instabilité et la guerre. Malgré tous les autres événements internationaux comme la pandémie et la guerre en Ukraine, «Il faut rester attentif à l’Afrique» et «écouter ces pays», a insisté le missionnaire italien.
Pour une justice réparatrice
Gravement blessé aux jambes lors d’une agression à la Kalachnikov le 25 avril 2021, Mgr Carlassare est aussi revenu sur son propre chemin de guérison et de pardon. Cet attentat fut «une blessure non seulement physique mais aussi une blessure du cœur», a reconnu le jeune évêque de Rumbek, qui a 44 ans – dont 17 ans de mission au Soudan du Sud. Il a expliqué avoir progressivement retrouvé l’usage de ses jambes après de longs soins au Kenya puis en Italie. Un procès est en cours pour cet attentat attribué à plusieurs prêtres de son diocèse, dans le cadre d’un règlement de compte lié à des conflits internes au clergé local.
Finalement installé dans sa charge épiscopale le 25 mars 2022, plus d’un an après sa nomination, Mgr Carlassare aborde cet évènement douloureux avec magnanimité et sang-froid, insistant sur le «besoin d’écoute et de réconciliation» dans son diocèse. «Les personnes qui m’ont blessé sont aussi blessées pour d’autres raisons personnelles», a-t-il expliqué.
Sa priorité est maintenant de «rencontrer les agents pastoraux, comprendre ce qui a blessé ce diocèse, recommencer un chemin ensemble sans fermer les yeux sur ce qui s’est passé», dans une dynamique de «justice réparatrice» et non de «justice punitive» qui n’aiderait pas à la recherche de la paix et de la vérité, a expliqué l’évêque.
Une paix encore fragile
Sur le plan politique, Mgr Carlassare a salué un «moment de stabilisation pour le gouvernement», en remarquant que «l’accord de paix signé en 2018 prend forme». Il faut donc «croire aux signes d’espérance sans crier victoire trop vite», car «comme partout en Afrique, les processus de paix sont lents et fragiles». L’un des enjeux essentiels sera le retour des réfugiés dans leur territoire d’origine, qui reste difficile à envisager pour des villes comme Malakal, rasée à 80%. Une partie de ceux qui se sont installés dans des pays plus stables, comme l’Ouganda, voudront probablement y rester.
Un pas décisif vers la stabilisation du pays vient d’être accompli avec la constitution d’une armée nationale, formée à 60% de militaires loyalistes proches du président Salva Kiir, et à 40% d’ex-rebelles, dont certains proches de son ancien rival Riek Machar, qui se verront proposés des grades militaires. Mais le gouvernement d’union nationale n’intègre pas toutes les forces de l’opposition. Sant’Egidio maintient le contact avec certains groupes et partis extérieurs au gouvernement afin de limiter le risque d’une reprise des hostilités.
«On ne peut pas encore parler d’une vraie pacification», a néanmoins regretté Mgr Carlassare, qui a souligné que le nombre d’armes en circulation demeure extrêmement élevé. Des attaques sporadiques se poursuivent dans certaines localités, notamment dans des territoires riches en ressources pétrolières comme l’État de l’Unité, où des milices cherchent à contrôler les ressources et à «élargir des espaces pour peser dans la vie politique».
Le changement climatique est également un facteur de vive préoccupation. Les fortes inondations liées à la crue du Nil poussent de nombreux éleveurs et agriculteurs à partir à la recherche de nouvelles terres, ce qui augmente le risque de conflits internes.
Une Église engagée dans l’éducation
Les services publics demeurent très faibles, et les gouverneurs locaux travaillent souvent sans budget. Les projets liés au développement, à la santé et à l’éducation dépendent donc souvent de l’aide de la communauté internationale et des Églises. L’Église catholique du pays compte sept diocèses, et forme une conférence épiscopale unique avec les trois diocèses du Soudan, dont les fidèles sont, pour la plupart, originaires du Sud. Cette «Église samaritaine proche des gens» tente «d’agir pour l’unité, la paix, la réconciliation», a expliqué Mgr Carlassare.
Le missionnaire combonien, présent au Soudan du Sud depuis 2005, s’est référé au Synode sur l’Afrique organisé en 2009 au Vatican lors duquel les pères synodaux avaient affirmé que «la réconciliation est le nouveau nom de l’évangélisation». La place de l’éducation est essentielle et vaut à l’Église une forte reconnaissance sociale, à tel point que, dans le langage courant, les écoles sont appelées des «Comboni», en référence aux missionnaires comboniens qui en ont fondé une grande partie.
Dans son diocèse de Rumbek, l’Église administre 21 écoles primaires et une dizaine d’écoles secondaires. Des cours pour adultes sont également organisés pour rattraper certains retards d’alphabétisation, avec des cycles sur quatre années. Les progrès de l’éducation «donnent une grande espérance à la communauté», a expliqué Mgr Carlassare, soulignant que les défis demeurent nombreux : les mariages forcés, la polygamie, les violences domestiques ou encore les conflits de voisinage sont des phénomènes courants. L’Église cherche à encourager une «transformation sociale et culturelle, pour développer la dignité humaine», notamment en promouvant l’émancipation des jeunes filles, a insisté l’évêque de Rumbek. (cath.ch/imedia/cv/mp)