Mgr Alain de Raemy, l'évêque des jeunes, ici aux JMJ de Pologne, se dit stimulé par le document qu'on donné les jeunes. | © Pierre Pistoletti
Suisse

Mgr Alain de Raemy: «L’interpellation des jeunes du pré-synode me réjouit»

Mgr Alain de Raemy, évêque des jeunes en Suisse, se réjouit de la synthèse que les jeunes ont adressée à l’Eglise le 24 mars 2018 à l’issue du pré-synode ouvert le 19 mars. Les critiques des participants sont selon lui «constructives, le stimulent et l’obligent» à donner une réponse en octobre lors du synode des jeunes.

Il a le projet de mettre sur pied un Conseil des jeunes auprès de la Conférence des évêques suisses après le synode d’octobre.

Les jeunes comparent le document du pré-synode à une «radiographie» de l’Eglise. L’Eglise va-t-elle s’en remettre? C’est grave docteur?
(rires) Oui, elle s’en remet très bien ! Car les infirmiers et infirmières à son chevet étaient jeunes, enthousiastes et heureux d’avoir été interpellés eux-mêmes par l’Eglise. Le pape a suffisamment reproché que non seulement l’Eglise mais aussi la société mettaient les jeunes en sourdine. Il a fustigé le fait qu’ils sont esclaves des modes et des réseaux sociaux.

Un tel document motive-t-il l’évêque des jeunes que vous êtes en vue du synode d’octobre?
Oui, cela me stimule et surtout cela m’oblige parce qu’un travail a été fait et une attente a été exprimée. Cela m’engage et je me réjouis. L’interpellation des jeunes va au-delà des traditionnels questionnaires thématiques de préparation à un synode. C’est plus qu’une consultation. «Que nous répondrez-vous, les vieillards réunis en octobre?» (rires). Je me réjouis aussi que des participants ayant des opinions aussi différentes se reconnaissent pleinement dans ce document. Je n’ai pas jusqu’ici entendu de voix discordante.

Soeur Nathalie Becquart, coordinatrice générale du pré-synode, décrit cette rencontre comme un moment historique. C’est aussi votre avis?
C’est un adjectif que je n’emploie pas trop souvent parce qu’il est galvaudé à force d’être utilisé. Je parlerais d’un événement significatif d’une époque et d’une volonté du pape d’impliquer tout le monde, à commencer par les premiers concernés. Est-ce que ce pré-synode entrera dans l’Histoire? Il est trop tôt pour le dire.

La synodalité est-elle «vraiment la clé de l’évangélisation des jeunes aujourd’hui»?

C’était déjà la vision de Jean Paul II: ne laissons pas seuls les jeunes, qu’ils soient déjà chrétiens ou simplement intrigués par la foi, et qui ont l’impression d’être déconnectés, de vivre dans une société qui n’a plus rien à voir avec la foi et avec l’Eglise. L’idée des Journées mondiales de la jeunesse était de faire naître une conscience, de développer une force nécessaire pour l’Eglise.

Sincèrement, le constat que dressent les jeunes sur l’Eglise actuelle vous a-t-il surpris?
Globalement, non. Je suis toutefois surpris par deux soucis récurrents dans ce document des jeunes: la nécessité d’avoir un lien avec une communauté, de pouvoir s’identifier à une culture, à une famille, d’avoir un lieu de référence, de sécurité, comme le foyer. La deuxième chose qui m’a surpris est l’insistance sur le rôle et la place des femmes en Eglise.

Des critiques vous paraissent-elles injustifiées?
Non, pas du tout. Les jeunes ont bien vu leur Eglise. Autant ils demandent un lieu sécuritaire d’identification autant ils se rendent compte que l’Eglise n’est pas faite pour être un ghetto. Elle doit les rendre forts pour être partout à l’aise.

Quand un jeune critique, c’est qu’il attend une réponse.

Les jeunes critiquent l’Eglise et en même temps lui demandent d’être plus présente dans leur vie. N’est-ce pas paradoxal?
Non, au contraire. Quand un jeune critique, c’est qu’il attend une réponse. Cela montre qu’il n’est pas satisfait des réponses obtenues, ou des exemples qu’il voit. Il veut comprendre et contribuer à changer les choses. J’y vois un très bon signe pour l’Eglise. Je ne verrais rien de pire que des «jeunes vieux» ou blasés qui accepteraient tout, suivraient passivement le mouvement.

Le pape a invité des non-croyants et des représentants d’autres religions.
C’est une excellente initiative. Même si certains sont gênés et pensent qu’il y a assez de catholiques joyeux pour faire le travail sans avoir à faire appel à des athées, aux autres religions, aux sceptiques. Je pense au contraire qu’ils font partie de notre monde où tout est brassé. Jonas et Sandro les deux Suisses (Jonas Feldmann, distancié de l’Eglise, et Sandro Bucher, athée, ndlr) ont été très touchés par cette dynamique qui s’est créée entre les jeunes catholiques et les autres. On peut dire qu’ils ont découvert quelque chose de nouveau pour eux de l’Eglise et de sa foi.

Nous avons trop de chrétiens baptisés passifs.

Les jeunes présentent ce document comme une boussole en vue du synode des évêques qui se tiendra au mois d’octobre. L’Eglise a-t-elle donc perdu les jeunes de vue?
Nous avons trop de chrétiens baptisés passifs. Or ceux qui devraient toucher les jeunes laïcs sont justement ces pratiquants laïcs par leur vie, leur manière d’être. On le voit dans les mouvements où des laïcs interpellent d’autres laïcs sans être payés par l’Eglise pour le faire. D’autre part, les forces pastorales ne sont pas suffisantes. Je suis frappé quand des jeunes s’adressent à moi pour que j’assure leur accompagnement après leur confirmation parce que le prêtre n’a pas le temps. On fait appel à l’évêque pour un accompagnement personnel… c’est dire!

L’Eglise parle de vocation, on réduit souvent ce terme à la vocation sacerdotale ou religieuse. D’où vient le malentendu?
Du mot lui-même. Il a été utilisé pendant très longtemps pour désigner les gens appelés à devenir consacrés, prêtres, etc. Ce mot signifie «appel». Or tout chrétien répond à un appel de Dieu. Il peut se rendre compte qu’en adhérant à Dieu et au Christ, en entrant dans l’évangile, il va sentir des provocations, des défis que Dieu lui adresse et qui l’ébranlent. «Qu’est-ce que je fais de ma vie si je crois en Dieu et si je l’écoute?», c’est aussi cela la vocation.

Les jeunes revendiquent leur place dans l’institution, ils veulent y jouer un rôle actif, à tous les échelons. Un groupe ou une commission représentant les jeunes catholiques à la CES vous paraît-il envisageable?
Le Conseil des jeunes a existé antérieurement, autour de l’évêque des jeunes, puis a été mis en sourdine parce qu’il ne se passait rien de concret. J’ai le projet de le remettre en place, mais j’attends la fin du synode. Il devra être représentatif des différents mouvements de jeunesse et en lien avec tous les styles de jeunes pour être interactif. Je suis en train de réfléchir pour mettre sur pied une structure qui ne soit pas trop lourde.

Il ne sert à rien de jouer au progressiste qui veut casser la baraque bien au chaud à l’intérieur.

Les jeunes demandent à l’Eglise d’être plus proche d’eux dans leur vie quotidienne, de reconnaître ses erreurs, d’être plus authentique. Ils lui reprochent d’être trop lointaine et fermée sur elle-même. Vous partagez cette analyse?
Oui, tout à fait. Je suis agacé de voir, sur certains médias, que tout tourne autour des débats et des disputes internes à propos des positions de certains évêques ou à propos des pouvoirs qu’auraient ou non certains laïcs en Eglise. Cette cuisine interne contre laquelle le pape se bat constamment. Nous devons vraiment sortir de cela…

…Il a d’ailleurs été dit que l’Eglise s’occupait plus d’elle même que des jeunes.
En Suisse, nous avons des structures magnifiques, tout fonctionne. Nous avons des salles et des églises proprettes mais bientôt, on ne saura plus pour quoi ni pour qui. C’est terrible. Il ne sert à rien de jouer au progressiste qui veut casser la baraque bien au chaud à l’intérieur. Et vouloir garder à tout prix le privilège de l’impôt ecclésiastique pour se financer soi-même. Il faut progresser vers les autres et vers Dieu, avoir un rayonnement. Il faut vivre de sa foi, il ne faut pas en avoir peur et la communiquer! Nous n’avons pas besoin d’une révolution interne de plus pour laquelle on se dispute et où plus personne ne parle de foi.

Beaucoup de jeunes se sentent seuls et peu soutenus par l’Eglise. Certains, en Suisse, n’osent pas affirmer leur foi ni qu’ils pratiquent. Comment mieux les soutenir?
Cela reste un sacré défi. Il faudrait que les familles soutiennent ces jeunes et pour cela qu’elles soient soutenues elles aussi. Les parents sont les premiers accompagnateurs des jeunes. La famille est le premier lieu de transmission de la foi, pour les sacrements et la préparation au mariage. Les parents ne doivent pas seulement éduquer les jeunes dans les bonnes manières ni dans des traditions sans explications. Ils doivent avoir le souci de les mettre en contact avec d’autres familles chrétiennes, par exemple, mais sans les couper des autres. Ce qui n’est pas facile.

Les jeunes demandent une Eglise en sortie, dans les stades, les cafés, la rue, etc. Comment faire alors que la sécularisation gagne du terrain un peu partout?
C’est une chance extraordinaire parce qu’il y a une ignorance de l’Eglise. Autrefois les gens connaissaient l›Eglise et la critiquaient ou non en vertu d’une expérience vécue en son sein. Aujourd’hui les gens ne savent plus rien d’elle et ils n’en ont pas l’expérience. Cela induit paradoxalement un aspect de nouveauté. On peut arriver avec notre vieille tradition chrétienne et surprendre par cette nouveauté. C’est notre grande chance!

Contraception, avortement, sexualité, cohabitation, mariage, la jeunesse catholique demeure partagée sur ces thèmes mais veut que l’Eglise assume haut et fort ses positions sur ces sujets. En même temps, les jeunes reprochent à l’Eglise d’être trop moralisatrice. N’est-ce pas contradictoire?
Effectivement, cela m’a frappé. Autant les jeunes sont divisés sur ces thèmes qui concernent la vie privée. Autant ils demandent une explication, un approfondissement sur ces sujets. Ils sentent qu’il y a un héritage qui est mal expliqué et mal transmis.


Un ‘instrumentum laboris’ recomposé

La synthèse du pré-synode est une des parties de l’’instrumentum laboris’ à partir duquel vont travailler les évêques. Quelles sont les autres documents qui vont venir s’ajouter à la synthèse des jeunes?
Trois éléments entreront en ligne de compte. On ne va pas retrouver la synthèse présentée par les jeunes telle quelle. Elle va se fondre dans un nouveau document qui comportera également la synthèse des réponses au questionnaire destiné aux accompagnateurs des jeunes, et celle des réponses au questionnaire destiné aux jeunes mis en ligne par le Vatican. (cath.ch/bh)

Mgr Alain de Raemy, l'évêque des jeunes, ici aux JMJ de Pologne, se dit stimulé par le document qu'on donné les jeunes. | © Pierre Pistoletti
29 mars 2018 | 08:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 7  min.
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