Pour des paroisses tournées vers les périphéries A Ayutla,  Mgr Hector Guerrero Cordova, évêque  de la Prélature de Mixes, dans l'Etat mexicain d'Oaxaca | © Jacques Berset
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Mexique: Les salésiens au pays des indigènes «jamais conquis»

Le gouvernement est absent, il fait des déclarations, mais rien n’est arrivé… Flora Morales Martinez montre sa maison d’adobe, totalement effondrée lors des séismes de septembre dernier qui ont touché les villages des hauts plateaux de la Sierra Mixe, au-dessus de l’isthme de Tehuantepec, au sud du Mexique.

La délégation de l’œuvre d’entraide Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN), qui visite les projets de l’Eglise au Mexique, arrive dans les villages perchés à flanc de coteaux du pays des Mixes, les Ayuuk jeya’ay en langue ayuuk. Ces indigènes, autrefois farouches guerriers, se targuent d’être le seul peuple du Mexique «jamais conquis» par les conquistadores. Leur esprit indomptable faisait dire aux dominicains espagnols envoyés au XVIe siècle pour les évangéliser qu’il était «anormal» que ces «Indiens barbares» préféraient mourir plutôt que d’être conquis et baptisés. Le courage avec lequel ils étaient déterminés à se battre, même sans armes, était ce qui effrayait le plus leurs ennemis.

Mgr Hector Guerrero Cordova à Santa Maria Tiltepec, devant un pan de la montagne qui s’est effondrée | © Jacques Berset

«La montagne s’est effondrée, mais le diocèse est toujours là !»

Mais à Santa Maria Tiltepec, dans la paroisse de Totontepec Villa de Morelos, l’ambiance n’est ni au défi ni à la fête, malgré l’accueil chaleureux réservé à Mgr Hector Guerrero Cordova, évêque de la Prélature de Mixes, dans la zone montagneuse au nord-est de l’Etat d’Oaxaca. La route, serpentant au-dessus de pentes abruptes à plus de 2’000 m d’altitude, est en partie ruinée par les pluies qui ont duré plus d’un mois après les séismes de septembre, rendant le trajet très difficile.

Flora Morales Martinez devant sa maison d’adobe détruite par le tremblement de terre de septembre 2017 | © Jacques Berset

Arrivé d’Ayutla, le chef-lieu qui signifie en langage indigène «terre de fleurs de courges», le prélat âgé de près de 77 ans, visiblement fatigué après des heures de conduite harassante sur des routes sinueuses et dégradées, est accueilli avec joie par les paroissiens. Les fidèles rassemblés sur la place l’attendaient, avec patience, depuis un bon moment. Mgr Hector Guerrero Cordova les rassure: «la montagne s’est effondrée, mais le diocèse est toujours là !»

Flora, une indienne mixe mère de neuf enfants, est hébergée tout à côté, chez l’un de ses fils, dont la maison a été épargnée par le dernier tremblement de terre. De sa demeure en adobe, il ne reste qu’un mur debout. «Il y a beaucoup de secousses, et ce n’est pas fini… Ici, une grand-mère de 95 ans, vivant toute seule, sans famille pour l’aider, est morte lors du séisme. La pauvre ‘abuelita’, voyant sa maison ruinée, n’a pas supporté le choc…»  Un peu plus loin, sur la place du village de Santa Maria Tiltepec, l’église a été miraculeusement épargnée, mais à quelques mètres de là, le presbytère est inhabitable: une partie du bâtiment a littéralement disparu dans le ravin, quand un flanc de la montagne s’est ouvert, emportant plusieurs maisons.

A Santa Maria Tiltepec, l’église a été miraculeusement épargnée, mais une partie du presbytère a disparu dans le ravin | © Jacques Berset

«Seule l’Eglise nous a apporté de l’aide»

Raquel Morales Martinez, la mère du ‘majordome’ – son fils, comme le veut la coutume indigène, a été désigné par la communauté pour s’occuper pendant un an de l’église, à titre bénévole – demande que l’on vienne au secours du village. «Des maisons s’effondrent et personne ne nous aide, nous nous sentons abandonnés ! ”

Seule l’Eglise a apporté quelques secours, mais dans la Prélature de Mixes Maria Auxiliadora, confiée aux religieux salésiens, les distances sont grandes et les routes sont en partie de simples chemins de terre. De la bourgade d’Ayutla, pour parvenir aux derniers villages de cette  prélature érigée canoniquement en décembre 1964 sur une superficie de 10’000 km2, ce ne sont pas moins de 14 heures de route. De longues distances, à parcourir, sur de larges sections, uniquement en camion ou en 4 x 4, seuls véhicules aptes à passer par ces itinéraires escarpés.

Au coeur des hauts plateaux de la Prélature de Mixes | © Jacques Berset

Les us et coutumes règlent toujours la vie des indigènes

Dans cette région indigène, l’une des plus pauvres du Mexique, vivent quelque 200’000 personnes, dont 170’000 catholiques, appartenant majoritairement aux communautés mixes, mais également chinantèques, zapotèques et mixtèques, établies sur le territoire de l’Oaxaca parfois depuis plusieurs millénaires avant la conquête espagnole du XVIe siècle.

Malgré la pénétration des médias et d’internet, qui apportent des modèles de vie tout à fait différents et souvent problématiques, les communautés indigènes de la Prélature vivent encore aujourd’hui selon les règles ancestrales des us et coutumes. Ainsi, la tradition des «majordomes», élus à tour de rôle par l’assemblée du peuple, et qui doivent s’occuper des lieux de culte, bénévolement, durant un an. Ils sont chargés d’administrer les collectes des fidèles, à l’exception des offrandes de messe, précise Mgr Hector.

Jeunes filles indigènes dans l’école salésienne ‘Secundaria Mixe’ | © Jacques Berset

Le syncrétisme religieux reste très présent

Le prélat relève que le syncrétisme religieux est la caractéristique principale de la religiosité populaire des peuples de cette région. «C’est un mélange des coutumes antérieures issues de la religion naturelle jointes aux sacrements de la religion catholique. Les Mixes implorent toujours la bénédiction de Dieu sur la terre-mère, invoquant le Dieu Créateur et le Christ Rédempteur, tout en offrant des sacrifices de poulets et de poules créoles, en versant le sang des gallinacés sur le sol. Ici, dans certaines communautés plus que dans d’autres, les gens sont superstitieux, ils croient au mauvais œil et il existe encore des pratiques de sorcellerie. Tout cela empêche ou retarde l’accueil de la foi chrétienne. Nous devons essayer de purifier ces croyances et promouvoir une éducation religieuse christocentrique».

De même la coutume prévaut en ce qui concerne les mariages. «Pour eux, le mariage se célèbre quand le fiancé se présente à la maison de la fiancée, accompagné de ses parents. Ils signent un contrat, et après le fiancé remet une offrande aux parents de sa promise. Ensuite les pères des fiancés boivent un verre de mezcal», l’alcool traditionnel issu de la fermentation du jus d’agave. Le rite terminé, le fiancé amène sa femme dans sa propre maison. Le mariage à l’Eglise, s’ils le désirent, a lieu par après, suite à une préparation religieuse et matrimoniale.

Mgr Hector Guerrero Cordova dans la paroisse de Totontepec Villa de Morelos | © Jacques Berset

Une attitude machiste persistante

Mgr Hector déplore l’attitude qui perdure dans certaines communautés indigènes, où la femme ne peut ni participer aux assemblées ni prendre part aux décisions. Dans ces cultures machistes, l’infidélité des maris est fréquente et les enfants sont souvent maltraités. L’évêque déplore aussi une mentalité marquée par la passivité, où ce sont les anciens qui commandent en tant que défenseurs de la tradition. Les anciens disent haut et fort: «on a toujours fait comme ça!» Par conséquent, trop souvent, il n’est pas question pour eux d’entendre les raisons pour lesquelles certaines choses devraient changer.

Dans ces régions, remarque le prélat d’Ayutla, de nombreuses sectes et mouvement religieux évangéliques ou autres se sont implantés, profitant de la pauvreté de la population, en lui offrant quelques avantages matériels. En cause, le retard économique de la zone et aussi le manque de forces pastorales pour desservir ce vaste territoire difficile d’accès. Avec ces groupes, l’œcuménisme est très difficile, sinon impossible.

Dans la Prélature de Mixes, le syncrétisme religieux reste très présent | © Jacques Berset

Les prêtres doivent subsister sans salaire

En dehors d’une agriculture de subsistance (maïs, haricots, pommes de terre, courges, parfois piment et café, exploitation du bois des forêts) sur des terrains très en pente, et d’une petite économie d’échanges, la grande majorité de la population a peu de ressources et vit dans une pauvreté extrême.  Sur ces hauts plateaux, on ne trouve ni fabriques ni usines, et les quelques emplois de la fonction publique ne peuvent combler le déficit de places de travail.

Un certain nombre de familles vivent des aides que leurs fournissent des parents partis travailler en ville ou aux Etats-Unis. Les prêtres ne peuvent pas compter sur un salaire de la part de la Prélature, qui leur assure cependant la couverture de l’assurance maladie et de la caisse de retraite. «Ils vivent avec le peu que leur apportent les fidèles, avant tout les intentions de messe…»

Tirer parti de la forte religiosité populaire

Face à une situation difficile, l’évêque des hauts plateaux ne désespère pourtant pas: il veut tirer parti de la forte religiosité populaire. Il remarque chez les populations confiées à son soin pastoral des éléments très positifs, comme l’attachement des communautés indigènes à leur culture ancestrale, la valeur qu’elles attribuent aux fêtes religieuses, leur amour de la musique et des arts, leurs belles traditions vestimentaires. Mgr Hector souligne aussi l’importance des fêtes des saints et celles à la mémoire des défunts.

Souvent la femme indigène ne peut prendre part aux décisions | © Jacques Berset

«Chez les indigènes, bien que cela varie selon les ethnies, face aux défunts, nous constatons une vision d’espérance, de la sérénité et un grand respect. Ce sont là des éléments dont nous devons profiter pour stimuler leur foi en Jésus-Christ et dans la vie éternelle. Nous devons également tirer parti des fêtes patronales, où s’exprime fortement la piété populaire, pour semer le germe de la centralité du Christ. Il faut parler de Jésus-Christ et aussi de la Sainte Vierge comme modèle des saints dans le plan du Salut, et non seulement comme les saints patrons du village».

Dépasser les rigidités héritées de la tradition

Pour l’évêque, il faut dépasser l’aspect traditionnel voire folklorique des fêtes des saints patrons et approfondir la foi de la communauté, face aux rigidités héritées de la tradition. Pour faire face à ces défis, Don Hector a créé une Ecole des Ministères, avec une formation d’une durée de 5 ans, et une Ecole de catéchistes de 3 ans, considérant que la formation d’agents pastoraux indigènes est fondamentale pour l’éducation de la foi dans les communautés. «Notre mission est l’évangélisation intégrale, qui comprend en particulier la mission, la promotion humaine, la formation et l’attention aux pauvres et aux malades».

Mgr Hector Guerrero Cordova accueilli par ses fidèles à Santa Maria Tiltepec | © Jacques Berset

Depuis 2007, Don Hector y consacre toute son énergie, tout comme le font Griselda, Eva, Marina de la Paz, Maria Elena et Rosalba, des formatrices et catéchistes vivant à la Casa de Auxilio d’Ayutla. «Nous sommes au service de la Prélature, mais nous ne recevons pas de salaire. Nous ne vivons que de ce que nous recevons des gens, et ici, depuis des années, la Divine Providence ne nous a jamais abandonnées !»  (cath.ch/be)

 

Pour des paroisses tournées vers les périphéries A Ayutla, Mgr Hector Guerrero Cordova, évêque de la Prélature de Mixes, dans l'Etat mexicain d'Oaxaca | © Jacques Berset
3 avril 2018 | 00:30
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 7  min.
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