Une bonne pratique du sport peut donner de la joie | Domaine public
Suisse

«Messe» sportive et messe catholique, mêmes valeurs?

Le sport fait la Une des médias, avec les Jeux Olympiques qui battent les pavés de Paris. Il est aussi en vogue en Suisse. Selon l’Office fédéral de la statistique, les trois quarts de la population du pays pratiquaient en 2022 une activité physique. Pourtant, il reste un parent pauvre de la pastorale de l’Église. Entretien avec Alessandra Maigre, hockeyeuse et théologienne.

«Un esprit sain dans un corps sain.» Depuis des années l’Organisation mondiale de la santé le répète sur tous les tons: le sport, c’est bon pour la santé. C’est aussi un marché de choix vu le nombre de ses adeptes, mais visiblement pas pour l’Église. La pastorale du sport est très peu développée en Suisse, montre la thèse en théologie d’Alessandra Maigre, chargée d’édition à l’Academic Press Fribourg depuis juin 2023.

Qu’avez-vous pensé de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, je pense en particulier au tableau ‘Festivité’, que nombre de chrétiens ont pris pour une parodie de La Cène de Léonard de Vinci?
Alessandra Maigre: Pour ma part, cela ne m’a pas sauté aux yeux et je ne sais pas si cela recouvre la volonté des scénaristes, auquel cas il s’agirait d’une attaque publique gratuite, sans grand intérêt. Sinon, j’ai trouvé le tableau bien fait. Ce mélange des genres un peu osé donne à réfléchir sur la notion d’inclusivité. De quoi parle-t-on? Que souhaite-t-on? Quels sont les mécanismes à mettre en place?

Alessandra Maigre | © A. Maigre

De manière plus générale, on a vu durant la cérémonie d’ouverture un certain nombre de clichés, mais l’exercice le veut. Ces shows se veulent rassembleurs, parlant à tous les peuples, tout en présentant les valeurs ou l’histoire du pays hôte. Il s’agissait ici de montrer ce qui fait la France, sa culture. En même temps, ces cérémonies incluent un message politique plus concret sur la façon dont un pays conçoit sa place dans les nations et les valeurs qu’il prétend défendre. A Paris, cela a tourné en partie autour de l’inclusion.

Personnellement, j’ai aimé le moment où les artisans jouaient de la musique sur les échafaudages de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Vous évoquez la volonté de faire des JO un moment rassembleur. Les grands événements sportifs internationaux sont parfois comparés à des «messes» où se jouerait une forme de «communion». N’est-ce pas un peu hasardeux?
Dans les deux cas il y a des rituels au déroulement précis, avec un temps et un espace très cadrés, d’où cette comparaison. La «messe» sportive n’est toutefois pas à comprendre dans le sens chrétien, mais dans sa fonction de rassemblement social, de cohésion ritualisée. Les participants cherchent à établir un lien avec quelque chose qui les dépasse, un objectif commun, mais sans recherche de transcendance.

Vous pratiquez le hockey sur glace en ligue nationale B à Fribourg-Gottéron. Ne voyez-vous pas de contradiction entre cette fonction de «communion» du sport et la compétition?
Une petite précision d’abord. Mon équipe a gagné l’an passé le championnat suisse de la ligue B et nous sommes montées en ligue A. A ce stade, cela m’aurait demandé trop d’investissement d’y rester. J’ai donc choisi de jouer en ligue C, à Berne.

Cela dit, je mentirais si je vous disais que sur le terrain je ne fais pas tout pour gagner et que je ne suis pas contente si l’autre camp fait un autogoal! Dans la compétition, on est en concurrence avec des adversaires, mais on n’est pas contre eux. Être en compétition, c’est se pousser vers le haut les uns les autres. Étymologiquement, le mot vient du latin competere, formé de cum, ›avec’, et de petere, ›chercher à atteindre’.

Une des clés pour un sport bien pratiqué, à mon avis, ou du moins pratiqué avec des valeurs humanistes, c’est de le faire pour la beauté du jeu. La division que vous évoquez apparaît quand l’objectif de fond de la rencontre se perd: celui de la joie partagée. C’est plus difficile dans le sport d’élite, où il y a des enjeux financiers, politiques, mais c’est aussi possible. J’aime bien évoquer l’exemple de Federer et Nadal, «les meilleurs ennemis»: ils se sont mutuellement poussés à se dépasser.

«La division apparaît quand l’objectif de fond de la rencontre se perd: celui de la joie partagée.»

Vous avez présenté une thèse en 2023 à l’Université de Fribourg intitulée Les défis de la spiritualité dans le sport: limite, jeu et identité.* La compétition laisse-t-elle un espace à la faille, à la fragilité?
A priori, elle n’y a pas sa place. On doit performer, être le meilleur. Mais si un athlète ne se définit qu’à travers cette fonction, qu’est-ce qui lui reste quand il ne peut plus pratiquer son sport à cause d’une blessure? Il y a là un enjeu identitaire. Comment intégrer la fragilité dans un tout plus grand, dans la globalité de la vie de la personne. Si celle-ci ne se définit pas uniquement par son sport, par sa blessure, qu’est-elle d’autre? La préparation des athlètes devrait intégrer ce questionnement et une conception holistique de la personne. Et cela peut passer par un accompagnement spirituel en amont.

Vous avez brossé dans votre thèse un tableau de la pastorale du sport en Suisse et dans les pays limitrophes. Ce terrain d’évangélisation est-il suffisamment desservi en Suisse?
La pastorale du sport en Suisse est parcellaire et ponctuelle. Une aumônerie est parfois mise en place à l’occasion d’un grand événement, comme aujourd’hui en France dans le village olympique. Lors des JO, il y a toujours d’ailleurs un centre multi-foi, avec des aumôniers de différentes religions. L’Église se concentre sur les élites, car c’est plus facile à organiser.

La section Église et Sport du Vatican a organisé en 2015 un séminaire Entraîneurs: éducateurs de personnes. Avec cette idée de base: si toutes les équipes n’ont pas un aumônier, elles ont toutes un entraîneur. La pastorale du sport ne devrait-elle pas se concentrer sur eux pour être plus efficace et atteindre un plus grand nombre de jeunes?
Avec la laïcité, c’est plus compliqué, je ne sais pas dans quelle mesure les clubs sportifs de suisse seraient enclins à accueillir un aumônier d’une Église. En Italie, c’est peut-être différent. Je sais que le pasteur Kevin Bonzon, de Nyon, essaye de développer l’aumônerie sportive dans le canton. Il a approché des clubs, mais c’est difficile.

Cela reste des initiatives personnelles. Vous êtes aumônière à l’armée. N’auriez-vous pas envie d’exercer cette fonction dans le sport? De pousser l’Église dans cette direction?
Vous mettez le doigt sur la problématique. Dans l’armée, l’aumônerie est un service établi. Dans l’Église, les personnes qui font cet exercice sont un peu isolées. Ça reste fragmenté. Il n’y a aucun service formel des Églises, dans aucun canton, et il ne semble pas qu’une réflexion sur le sport y soit même engagée. Le seul lien avec les sportifs passe par les pastorales jeunesses, qui font parfois du sport avec les jeunes.

Le sport reste donc un parent pauvre de la pastorale. Est-ce parce qu’il concerne le corps, avec lequel l’Église entretient des relations ambivalentes?
Il y a eu dans l’Église, c’est vrai, soit des périodes de mise en valeur du corps, comme avec les jésuites au 17e siècle où il est intégré dans le processus d’apprentissage, soit de répudiation du corps, comme avec le puritanisme protestant. Et c’est sans parler de la dissociation entre le corps et l’âme qui a conduit l’Église à ne se préoccuper longtemps que du salut de l’âme. Aujourd’hui, on a une réassociation du corps, de l’esprit et de l’âme, que les aumôniers en milieu sportif pourraient mettre en avant. Il faut dire aux athlètes qu’ils ne sont pas juste des corps prêts à performer.

Et pourtant le corps, et même le sport, ont été mis en valeur par saint Paul…
Les textes de saint Paul sont les seuls de la Bible qui parlent, un tant soit peu, de sport. Paul est imprégné de la culture grecque de son époque, où l’activité physique et les jeux olympiques sont présents. Il utilise des métaphores issues des disciplines sportives de ses contemporains pour se faire comprendre et mieux diffuser le message chrétien. C’est déjà de l’inculturation. En dehors de Paul, la Bible ne parle pas de sport. Ce serait anachronique.

«Il faut dire aux athlètes qu’ils ne sont pas juste des corps prêts à performer.»

Pour moi, les liens entre l’Église et le sport sont plutôt à chercher du côté de Gaudium et Spes, la Constitution pastorale de Vatican II. Dans son introduction, elle affirme que l’Église s’intéresse aux joies et aux peines des êtres humains, qu’elle les accompagne là où ils sont, dans le sport donc aussi. En plus, le monde du sport véhicule des valeurs dans lesquelles l’Église peut se reconnaître.

Quelles sont les qualités spirituelles que le sport peut développer?
La persévérance, la rigueur de l’entraînement. Et pour les sports d’équipe, la solidarité, l’attention aux autres. En 2016, le Vatican a fait une déclaration** où il donne six principes pour un sport qui prenne en compte l’être humain: la compassion, le respect, l’amour, l’équilibre, la joie – que j’ai déjà mentionnée – et l’enlightenment, qui traduit une forme d’illumination. Ils résument plutôt bien les qualités spirituelles en jeu dans la pratique sportive.

Quand le corps est engagé, l’esprit doit être tout à son affaire, sous peine de se blesser. Le sport peut-il être assimilé à une pratique méditative?
Certains athlètes, dans les sports d’endurance surtout, comme la course à pied ou la natation, connaissent ces moments de flow décrits par le psychologue croate Mihály Csikszentmihalyi, un état de concentration ou d’absorption totale dans une activité, qui amène de la joie, voire une forme d’extase.

Vous est-il arrivé de ressentir lors de votre pratique sportive une joie tellement grande que vous vous êtes sentie en communion avec le monde?
Plutôt en communion avec mon équipe, quand nous avons vraiment combattu dans une forme d’harmonie parfaite et que nous avons remporté une victoire. Nous nous sentons toutes portées alors comme un seul corps. (cath.ch/lb)

* La thèse d’Allessandra Maigre sera publiée cet automne à l’Academic Press Fribourg.
** A l’occasion de la première rencontre mondiale ‘Sport et foi’, promue par le Conseil pontifical de la culture, les Nations unies et le Comité olympique international (CIO).

Une bonne pratique du sport peut donner de la joie | Domaine public
1 août 2024 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 7  min.
Apôtre Paul (5), Communion (34), Jeux olympiques (39), Messe (286), Sport (86), Sport et foi (22)
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