Mère Teresa: L'itinéraire d'une passionnée de Jésus

La canonisation de Mère Teresa de Calcutta à Rome, le 4 septembre 2016, est un des événements majeurs de l’Année de la Miséricorde voulue par le pape François. Pour ses contemporains, la religieuse décédée en 1997 est l’icône même de la charité chrétienne.

Agnès Ganxhe Bojaxhiu, la future Mère Teresa, est née le 27 août 1910 à Skopje, capitale de l’actuelle Macédoine, alors rattachée à l’empire Ottoman. Ses parents albanais sont des commerçants bourgeois, catholiques convaincus et citoyens engagés. Elle n’est âgée que de 8 ans lorsque son père meurt en 1918. Sa mère doit alors subvenir seule aux besoins de sa famille de trois enfants.

En 1928, la jeune fille exprime le désir de partir en mission en Inde et s’engage dans la congrégation des Soeurs de Notre-Dame de Lorette. Après un séjour de deux mois dans la maison-mère de la congrégation en Irlande, Agnès est envoyée pour son noviciat à Darjeeling, dans les montagnes du nord de Inde. Elle prend le nom de Teresa, en hommage à «la petite Thérèse» de Lisieux, canonisée en 1925. Dès 1931, elle devient enseignante à l’Ecole des Soeurs de Lorette à Calcutta, destinée aux jeunes filles de la classe aisée. Mais son désir missionnaire n’est pas assouvi et elle est de plus en plus mal à l’aise dans cette vie bien réglée et trop facile.

Un appel radical à se consacrer aux plus pauvres

En 1946, retentit en elle l’appel radical à consacrer sa vie aux plus pauvres, à l’image du Christ-serviteur. Profondément touchée par la misère dans les bidonvilles de Calcutta, elle quitte sa congrégation en 1948 pour se consacrer exclusivement au service des plus pauvres, des enfants des rues et des mourants. Quelques jeunes femmes la rejoignent et elle fonde, avec l’approbation de son évêque et du pape Pie XII, la congrégation des Missionnaires de la Charité. L’habit des religieuses sera un sari blanc bordé de bleu. Le nouvel ordre est approuvé par Rome en 1950: 10 compagnes ont déjà rejoint la fondatrice.

Missionnaires de la charité de Mère Teresa (photo wikimedia commons domaine public) Missionnaires de la charité de Mère Teresa (photo wikimedia commons domaine public)

L’oeuvre de Mère Teresa va se développer à partir des années 1950: accueil des plus pauvres, mouroirs, centres pour enfants, léproseries. Opiniâtre, volontaire, obstinée la fondatrice des Missionnaires de la Charité devient l’avocate des plus démunis. La congrégation connaît depuis sa fondation une progression continue. En 1963, un ordre masculin est créé.

«J’ai soif»

Mère Teresa avait fait inscrire les paroles de Jésus sur la croix: «J’ai soif» dans toutes les chapelles des missionnaires de la Charité. Elle reliait cette devise à son expérience mystique du 10 septembre 1946. Elle affirmait avoir expérimenté la «soif de Dieu» comme étant les «profondeurs du désir divin infini d’aimer et d’être aimé».

«Pour moi, les pauvres sont tous le Christ»

Elle conçoit alors sa vocation et celle de sa congrégation comme le désir de répondre à cette soif de Dieu, aimant les pauvres dans lesquels elle voit Dieu: «Pour moi, ils sont tous le Christ – Le Christ dans un déguisement désolant.»

Prix Nobel de la Paix en 1979

Mère Teresa bénéficie d’un rayonnement qui dépasse très largement sa communauté et même l’Inde. Au cours de ses innombrables voyages sur les cinq continents, elle rencontre aussi bien les plus pauvres que les grands de ce monde. Fortement médiatisée, Mère Teresa critique alors le matérialisme et l’égoïsme des sociétés occidentales, elle élargit son discours sur la pauvreté et parle de la faim spirituelle. Elle défend aussi ardemment la vie en condamnant sévèrement l’avortement. Son engagement est reconnu. Lauréate de nombreux prix internationaux, elle reçoit le Prix Nobel de la paix en 1979. Elle est souvent considérée comme une des plus grandes personnalités du XXe siècle.

Logo de la canonisation de Mère Teresa Logo de la canonisation de Mère Teresa

Amie de Jean Paul II

En avril 1990, Mère Teresa démissionne de son poste de supérieure générale des Soeurs de la Charité, mais est réélue à cette fonction la même année. Depuis plusieurs années, son état de santé ne cesse de susciter des inquiétudes. En 1983, elle reçoit un stimulateur cardiaque. Elle est hospitalisée en 1989, puis en 1991. Ce qui ne l’empêche pas de continuer ses nombreux voyages. Dès l’été 1996, elle fait plusieurs séjours à l’hôpital pour de nouveaux problèmes cardiaques et une insuffisance respiratoire. Elle meurt à Calcutta le 5 septembre 1997. L’Inde lui offre des funérailles nationales  auxquelles participent un million de personnes.

Au moment de son décès «l’ange de Calcutta laissait derrière elle un ordre de plus de 3’900 soeurs et de plus de 900 postulantes, réparties dans quelque 600 maisons

Le pape Jean Paul II, dont elle était proche, l’a béatifiée le 19 octobre 2003, après une des procédures de béatification les plus brèves de l’histoire de l’Eglise. (apic/bl/mp)


Sa nuit spirituelle: Etre pauvre parmi les pauvres

Mère Teresa a toujours farouchement refusé de parler dans les médias de sa vie personnelle. Elle voulait que l’attention de ses auditeurs se porte vers Jésus et non pas vers elle. Ce n’est qu’en 2008, plus de dix ans après sa mort, que la correspondance de «la sainte de Calcutta»a été publiée en français. Ces lettres présentent le portrait intime d’une authentique mystique dont la vie brûlait du feu de la charité et dont le coeur fut mis à l’épreuve et purifié par une terrible nuit de la foi.

Mère Teresa a vécu l’obscurité et l’abandon comme un appel à partager au plus après la grande pauvreté de notre temps: la déréliction intérieure et le sentiment de solitude, expliquait alors le père Brian Kolodiejchuk, postulateur de la cause de canonisation.

Sa nuit de la foi a essentiellement commencé à la tourmenter quand elle a fondé sa congrégation et démarré sa mission auprès des plus pauvres. En 1946 et 1947, elle a vécu une profonde union avec Jésus. Par contraste, elle a ressenti ensuite son obscurité intérieure comme un sentiment de perte et l’impression de ne pas être aimée, d’être même rejetée dans une solitude d’autant plus crucifiante qu’elle avait un désir très intense de Jésus. C’est le paradoxe de sa vie spirituelle: une union profonde au Christ vécue à travers l’expérience si douloureuse, et même héroïque, de la séparation.

La compagne de ceux qui sont seuls

Pour le Père Brian, qui a côtoyé pendant vingt ans la sainte de Calcutta, il s’agissait pour elle de prendre une petite part de l’agonie de Jésus. Et d’être pauvre parmi les pauvres. Au plan matériel, certes, mais plus encore au plan du dénuement psychologique et spirituel.

«La plus grande des pauvretés, c’est d’être seule»

Elle disait souvent que la plus grande des pauvretés c’est précisément d’être seule, non aimée. C’est bien ce qu’elle a vécu dans l’intime. Elle n’a cependant jamais douté de sa vocation et sa fidélité à sa promesse resta inébranlable.

Sa mission est bien d’être la compagne de ceux qui sont seuls. Sa confiance dans la déréliction, son abandon à Dieu malgré l’épreuve sont un exemple formidable pour nos contemporains, estime le religieux.


L’avis du pape François

En septembre 2014, le pape François a confié avoir «admiré la force, la décision des interventions» de Mère Teresa lorsqu’il l’avait rencontrée durant le synode des évêques de 1994. La religieuse, selon le pape, ne se laissait pas impressionner par l’assemblée des évêques et elle disait ce qu’elle voulait dire. Le pontife a aussi soutenu en plaisantant qu’il aurait eu «peur» si cette femme très déterminée avait été sa supérieure.


Une sainte, mais pas sans défauts

Même si Mère Teresa est proclamée sainte, elle a suscité de son vivant et après sa mort de nombreuses critiques parfois virulentes. Divers aspects de sa personnalité et de son action ont suscité interrogations et questionnements. Opiniâtre, volontaire, obstinée, Mère Teresa a souvent dérangé.

La première critique concerne le manque de médicalisation des mouroirs, dans lesquels les malades ne reçoivent pas de vrais soins, ni même parfois d’analgésiques. Pour certains, la logique de Mère Teresa était de faire de la souffrance un don de Dieu, que le malade devait accepter comme le Christ a accepté la sienne. D’autres déplorent le manque d’aide à la réinsertion des personnes guéries. Mère Teresa admet ces critiques, mais elle refuse toute logique d’efficacité. Elle affirme que telle n’est pas sa vocation, ni celle de sa congrégation: «Nous ne sommes ni des médecins, ni des assistantes sociales. Beaucoup d’organismes s’occupent des malades. Nous ne sommes pas l’un d’entre eux. Nous devons nous donner nous-mêmes et, à travers notre vie, donner l’amour de Dieu».

Détail de couverture de la BD "Mère Teresa de Calcutta", primé à Angoulême Détail de couverture de la BD «Mère Teresa de Calcutta», primé à Angoulême

Pour d’autres Mère Teresa et sa congrégation soulagent les souffrances et soignent les symptômes, mais sans s’intéresser aux causes et sans lutter pour les changements sociaux. Son refus de faire de la politique est dénoncé quand elle accepte de fonder des établissements dans des dictatures ou de recevoir des dons de dictateurs comme le Haïtien Jean-Claude Duvalier, Ferdinand Marcos aux Philippines, ou Fidel Castro, à Cuba. Mère Teresa répond à ces accusations en disant que ce «qui compte pour moi, c’est que je puisse m’occuper des pauvres».

Prosélytisme religieux

En Inde, les milieux nationalistes critiquent le prosélytisme religieux de Mère Teresa qui baptise des enfants et des mourants. De fait, Mère Teresa cherche à respecter la croyance des malades. Elle baptise des enfants ou des mourants que quand elle n’a aucun moyen de connaître leur religion. Cela permet ainsi aux malades d’avoir des funérailles, et d’être enterrés dans un cimetière. Les autres cadavres sont remis par les sœurs aux prêtres hindous ou aux imams musulmans.

Non à l’avortement

Son opposition farouche à l’avortement et aux moyens artificiels de contrôle des naissances est aussi critiquée, tant par les féministes que par ceux qui craignent une explosion démographique. D’autres l’accusent d’abuser de sa médiatisation pour se forger une image de sainteté, ou pour récolter des fonds dont la gestion reste très opaque. Mère Teresa a toujours refusé une institutionnalisation trop grande de son œuvre, souhaitant qu’elle continue à dépendre au jour le jour de la Providence.



 

Déjà sainte pour les hindous et les musulmans

Les hindous et les musulmans indiens estiment que Mère Teresa mérite largement l’honneur de la canonisation. «C’est aussi un grand honneur pour l’Inde», a déclaré à Ucanews, Navaid Hamid, secrétaire du Conseil de l’Asie du Sud pour les minorités.

«Le travail qu’elle a effectué n’est pas lié à une religion en particulier et les gens de toutes les communautés peuvent apprendre de ce qu’elle a fait», assure Mohammad Junaid Khan, le coordinateur du forum interreligieux Minhaj-ul-Quran, en ajoutant que «l’Humanité est la plus grande religion qu’elle représentait».

«Après être devenue sainte, elle est maintenant comme un dieu pour moi», a déclaré Anil Roy, responsable hindou à Calcutta, la ville où Mère Teresa a fondé sa congrégation. Rajeshwar Mittal, un avocat de Calcutta estime pour sa part que la vie de Mère Teresa est par elle-même un miracle. «Si vous considérez la vie de Mère Teresa, elle aurait dû être déclarée sainte sans même avoir accompli de miracles», ajoute-t-il.

De nombreuses personnalités non-chrétiennes indiennes participeront à la célébration de la canonisation de Mère Teresa à Rome. La ministre-présidente de l’Etat du Bengale-Occidental, Mamata Banerjee, ainsi que la ministre fédérale des Affaires étrangères, Sushma Swaraj, sont annoncées.


Mère Teresa, figure omniprésente dans les Balkans

Même si elle avait pris la nationalité indienne dès les années 1950, Mère Teresa a toujours gardé et cultivé ses racines albanaises. La sainte est une figure omniprésente dans les Balkans, en Macédoine, au Kosovo et en Albanie en particulier.

En 1910 lorsque Gonxha Bojaxhiu, naît à Skopje, dans une famille albanaise catholique, cette ville fait alors partie de l’Empire ottoman. Par la suite, c’est la Serbie puis la Yougoslavie qui en prirent le contrôle avant qu’elle ne devienne la capitale de la Macédoine qui a recouvré son indépendance, en 1991. La Macédoine, à deux tiers orthodoxe, va honorer Mère Teresa le 11 septembre prochain au cours d’une «journée de remerciement».

Kosovo A la cathédrale Mère Teresa de Pristina (Photo: Jacques Berset) Kosovo A la cathédrale Mère Teresa de Pristina (Photo: Jacques Berset)

«Nous sommes le peuple de Mère Teresa»

Mais en tant qu’Albanaise c’est surtout en Albanie et au Kosovo que Mère Teresa est vénérée. «Nous sommes le peuple de Mère Teresa !»  Cette déclaration du président albanais, lors de la visite du pape François en 2014, est révélatrice de la popularité de la future sainte. L’aéroport international de Tirana porte son nom.

Marquée durant 40 ans par la dictature communiste athée d’Enver Hodja, l’Albanie tient désormais Mère Teresa comme une héroïne nationale. En 1989, pour sa première visite en Albanie, elle avait été reçue en grandes pompes par les autorités encore communistes du pays. La religieuse catholique avait même rencontré la veuve de l’ancien président Enver Hoxha, mort quatre ans plus tôt.  Elle avait déposé une fleur sur sa tombe, déclarant simplement vouloir montrer que, pour les chrétiens, «la mort n’est pas une fin définitive».

Au Kosovo voisin, la cathédrale de Pristina, la capitale est dédiée à Mère Teresa. Elle fut construite dans les années 2000 avec le soutien du leader indépendantiste musulman Ibrahim Rugova. Il était alors tellement enthousiaste que certains de ses proches avaient cru qu’il s’était converti au catholicisme. La figure de Mère Teresa transcende donc les clivages ethniques, religieux et politiques qui ont fracturé les Balkans au long du XXe siècle.


300 catholiques albanais de Suisse à la canonisation

Les trois missions catholiques albanaises en Suisse organisent un voyage à Rome pour assister à la canonisation de Mère Teresa. Les trois institutions sont basées à Lucerne, à Sirnach, dans le canton de Thurgovie, et à Aarau, dans le canton d’Argovie. La mission d’Aarau, fondée en 2003, porte le nom de la future sainte d’origine albanaise. D’après la commission Migratio de la Conférence des évêques suisses (CES), environ 20’000 Albanais catholiques vivent dans le pays.

A Rome, les pèlerins albanais assisteront à ls cérémonie de canonisation de Mère Teresa, ainsi qu’au concert donnée la veille en son honneur dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, à Rome. Les prélats albanais et l’évêque kosovar seront également présents.

Les 24 et 25 septembre, les trois missions présenteront, à Aarau, un symposium consacré à la religieuse.


Mère Teresa à Lausanne

En juin 1985, la fondatrice des Missionnaires de la Charité réunit 4’000 personnes à la cathédrale de Lausanne. Elle prend la parole pour expliquer son action. «Mère Teresa: terre de tendresse», titre L’Echo du 8 juin 1985. A cette occasion, elle donne une petite interview à l’abbé Joseph Beaud.

Quelle est la meilleure manière d’aider votre congrégation ?

D’abord, priez pour nous pour que nous ne gaspillions pas l’œuvre de Dieu pour qu’elle reste la sienne. Nous sommes entièrement dépendantes de la Providence divine, et c’est pourquoi chaque missionnaire de la charité est le plus pauvre parmi les pauvres. Pour comprendre les pauvres, il faut partager leur pauvreté, il faut savoir ce qu’est la pauvreté. Mais c’est une pauvreté qui a été choisie. Nous avons fait le choix d’être pauvres, alors que les autres y sont forcés.

Tout ce que vous pourrez faire pour les pauvres nous aidera, et d’abord dans votre propre pays, peut-être dans votre propre famille, puisque la charité commence par soi-même.

Mère Teresa, avez-vous peur des journalistes?

Je n’ai pas peur des journalistes. Mais je vous conseille d’écrire quelque chose qui soit beau, qui soit vrai, car les gens sont influencés par ce qu’ils lisent et la paix peut être détruite par ce qui n’aurait pas dû être écrit Alors je vous demande d’écrire ce qui est beau, ce qui élève l’âme et ce qui donne la joie.

Mère Teresa pensez-vous aussi à la pauvreté des riches?

Nous travaillons dans beaucoup de pays riches, aux Etats-Unis, en Europe, dans bien des endroits. La pauvreté n’est pas seulement une pauvreté matérielle. La pauvreté spirituelle est bien plus grave, plus grande et plus difficile à supprimer. Nous travaillons partout pour ceux qui sont seuls, qui sont mal aimés, ceux dont on ne veut pas. C’est cela la plus grande pauvreté. (Propos recueillis par l’abbé Joseph Beaud.)

 

Mère Teresa de Calcutta a été canonisée 19 ans après sa mort | © Wikimedia Commons/Manfredo Ferrari/CC BY-SA 4.0
1 septembre 2016 | 11:06
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 11  min.
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Toute petite mais immense

Frère Jean Python, Epinassey

Le Frère Jean Python, de la communauté Eucharistein

«Une petite bonne femme avec une énergie impressionnante, qui ‘venait d’ailleurs'». Telle est l’image qu’a retenu de Mère Teresa le Frère Jean Python, de la communauté Eucharistein, en Valais. Il est resté un mois, en 1996 à Calcutta, pour rencontrer la future sainte, en compagnie d’une vingtaine de jeunes.

Au cours de son séjour, il a été impressionné en particulier par la capacité d’écoute de la religieuse. «Quand elle vous parlait, vous vous sentiez seul au monde, vous n’existiez que pour elle», assure-t-il.

Le religieux considère que sa canonisation est tout à fait logique, non seulement au regard de son action extraordinaire mais également de sa vie intérieure extrêmement profonde.

Rendre à la personne humaine sa dignité

Il rejette ainsi les critiques qui ont tenté d’entacher la réputation de la missionnaire d’origine albanaise. Il assure tout d’abord qu’elle ne faisait aucun prosélytisme. «Son œuvre est bien sûr catholique et n’essaye pas de le dissimuler. Mais jamais personne n’a été influencé pour adhérer au catholicisme», affirme-t-il. Le Frère Jean assure que toutes les conversions au christianisme qui se sont produites ont été entièrement volontaires. Il ajoute que chaque personne était traitée selon ses croyances, notamment concernant les rites funéraires.

Le membre d’Eucharistein reproche aux détracteurs de Mère Teresa de porter un regard partiel sur son action. Beaucoup de critiques, notamment ceux qui l’ont accusée de ne pas assez s’impliquer pour la justice sociale, n’ont en fait pas compris le sens premier de son travail. " La priorité de Mère Teresa était de rendre à la personne humaine sa dignité. Elle voulait donner au cœur humain l’occasion de faire l’expérience de l’amour, plutôt que de vouloir changer de l’extérieur des structures dont elle savait qu’elles ne seraient jamais parfaites». Pour le Frère Jean, c’est dès le moment où l’on a découvert cet amour «qu’on voit les choses différemment, que l’on agit différemment et que les structures peuvent commencer à changer».


Un appel à ne jamais baisser les bras

Valérie Lange, Lausanne

Valérie Lange, collaboratrice à l'Action de Carême

«Une toute petite femme, avec une force extraordinaire». C’est la même image paradoxale qui vient à l’esprit de Valérie Lange, collaboratrice de l’œuvre d’entraide Action de Carême (AdC), lorsqu’elle évoque Mère Teresa. La Vaudoise d’adoption a travaillé deux mois, en 1989 dans les mouroirs et l’orphelinat tenus par la religieuse, à Calcutta. Elle a rencontré à plusieurs reprises la future sainte et se souvient qu’elle «dégageait la puissance de la foi». Elle a également été marquée par la faculté de Mère Teresa d’accueillir chacun sans distinction, de manière inconditionnelle. Valérie Lange se souvient, par exemple, que des «touristes» venaient parfois visiter les mouroirs, ce qui choquait certains volontaires. Mère Teresa n’a pourtant jamais tenté des empêcher d’entrer. Elle estimait que chacun devait avoir l’opportunité de voir ces choses afin de pouvoir ouvrir son cœur. Et elle a effectivement été témoin de la conversion spontanée de gens éloignés de Dieu, à l’amour du Christ.

Des petites victoires contre la pauvreté

Valérie Lange affirme que la canonisation de Mère Teresa peut aider le monde actuel par le message inspirant que son œuvre a délivré. «Sa vie, son travail nous rappellent tout d’abord qu’un autre monde est possible. Face à l’immensité de la misère dans le monde, notamment depuis quelques années les drames liés à la migration, nous pouvons ressentir un sentiment de découragement. Mais Mère Teresa nous a laissé l’héritage de cette persévérance à faire l’œuvre de Dieu, ce qui se reflète dans sa célèbre citation selon laquelle ce qu’elle fait n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, mais que si elle n’y est pas, elle y manquera». Valérie Lange note que les collaborateurs de l’Action de Carême sont souvent confrontés dans leur travail, comme tous les travailleurs humanitaires, à l’immensité de la misère humaine et de leur tâche. «L’œuvre de Mère Teresa nous rappelle ainsi qu’il est important de voir ces ‘petites victoires’ dans la lutte contre la pauvreté et nous encourage à ne jamais baisser les bras».


L’Evangile sur les cinq doigts de la main

Jean-Pierre Desthieux

«Je pus m’apercevoir comment elle vivait tantôt totalement immergée en Dieu, tantôt entièrement tournée vers les autres», expliquait en 1997 dans l’Echo romand, après le décès de Mère Teresa, Jean-Pierre Desthieux, de Genève. Le père de l’actuel vicaire épiscopal dans le canton de Genève, Pascal Desthieux, a évoqué ces impressions de la religieuse lorsqu’il la rencontra à Rome, en 1982, lors du Chapitre général des Missionnaires de la Charité. Il avait traduit son attitude en une formule assez simple: «Je m’abandonne et je me donne».

Jean-Pierre Desthieux la revit en Suisse, trois ans plus tard, après qu’elle ait répondu favorablement à une invitation des catholiques de Lausanne. «Comme je la ramenais à Genève, elle m’expliqua que pour elle l’Evangile se résumait sur les cinq doigts de la main: ‘Vous-l’avez-fait-pour-moi'», se souvient-il.