McCarrick: Un prédateur se cachait derrière le prélat bien en cour 3/3
Publié par le Vatican le 10 novembre 2020, le rapport McCarrick illustre de manière exemplaire les défaillances de l’Eglise catholique dans le traitement des cas d’abus sexuels. Aucun des responsables d’Eglise, aux Etats-Unis et à Rome, jusqu’aux papes Jean Paul II, Benoît XVI et François n’a su ou voulu voir le ‘prédateur sexuel’ qui se cachait derrière le prélat bien en cour, devenu archevêque et cardinal.
Officiellement écarté des affaires après sa démission de son poste d’archevêque de Washington en 2006, McCarrick n’en continue pas moins de se montrer très actif aux Etats-Unis et partout dans le monde. Sans se soucier des demandes répétées de Rome de vivre sa retraite dans la discrétion et la prière. Lorsque le Vatican décide enfin d’ordonner une enquête canonique, le prélat est âgé de 88 ans.
Nouvelles plaintes en 2006
Août 2006: L’avocat d’un prêtre et les représentants des diocèses de Newark et de Metuchen acceptent une médiation. En octobre, Mgr Myers de Newark faxe le rapport et à la Congrégation des évêques. Le cardinal Re, préfet de la Congrégation, répond au nonce Mgr Pietro Sambi qui a remplacé Mgr Montalvo. Craignant un scandale médiatique, il conseille à McCarrick de quitter sa résidence au séminaire et de vivre une vie de prière silencieuse «afin de ne pas se faire parler de lui».
En retour, le nonce Sambi conseille au secrétaire d’État, le cardinal Bertone, de ne pas impliquer McCarrick dans d’autres affaires étrangères et intérieures de l’Église en raison des allégations d’abus. Dans ce cadre Mgr Carlo Maria Viganò, à l’époque délégué pour les représentations pontificales au sein de la Secrétairerie d’Etat, rédige un mémorandum. Il y note que les accusations du prêtre équivalent aux crimes de sollicitation, d’absolution du complice, et de célébration sacrilège de l’Eucharistie. Ce mémorandum, porté à la connaissance des cardinaux Sandri Bertone et Re est ensuite archivé.
Décembre 2006: Le nonce Sambi rencontre McCarrick pour discuter de son départ du séminaire Redemptoris Mater et de la demande qu’il mène une vie de retraite et de prière.
15 janvier 2007: Le cardinal Bertone et le pape Benoît XVI discutent des problèmes liés à McCarrick lors d’une rencontre non protocolée. Bertone a ensuite rappelé que Benoît XVI voulait «contenir» les activités de McCarrick mais ne pensait pas qu’il était nécessaire de poursuivre une enquête de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF).
Août 2007: Le prêtre conclut un accord de 100’000 dollars avec l’archidiocèse de Newark et le diocèse de Metuchen. L’accord ne nomme pas McCarrick et n’inclut pas d’aveu de méfaits. Il n’existe aucune trace que le Vatican ait été informé de la conclusion de cet accord.
2007-2008: McCarrick continue à travailler pour de nombreux comités de la Conférence des évêques américains, ainsi qu’avec d’autres organisations catholiques. Il maintient un calendrier de voyages internationaux très chargé. Le 24 janvier 2008, il est par exemple au World Economic Forum (WEF) à Davos, en Suisse. Il participe à plusieurs événements en présence de Benoît XVI et effectue des travaux diplomatiques occasionnels pour le Vatican.
Présent lors de la visite de Benoìt XVI aux Etats-Unis en 2008
Avril 2008: Le pape Benoît XVI se rend aux États-Unis. Le cardinal McCarrick concélèbre la messe avec lui à la cathédrale Saint-Patrick et participe à un dîner à New York. Peu après le voyage du pape, le psychothérapeute et ancien moine bénédictin Richard Sipe publie une «lettre ouverte» au pape. Il y affirme que les abus dans l’Eglise sont «systémiques». Et présente McCarrick comme exemple. Il affirme avoir des témoignages de prêtres sur les avances sexuelles du prélat.
Mai 2008: Le cardinal Re a écrit au nonce lui disant de suivre McCarrick de près. Il lui suggère de travailler avec Mgr Wuerl pour trouver à McCarrick une résidence alternative au séminaire. Mgr Viganò écrit un second mémorandum interne à la Congrégation pour les évêques. Il relève que traiter le cas McCarrick devant les autorités légales et avant qu’un scandale n’éclate pourrait être sain pour l’Eglise. Il recommande une enquête de la CDF. Aucune mesure n’est prise.
Mi-mai 2008: McCarrick se rend à Rome et apparaît lors d’une célébration publique avec le pape Benoît XVI. Le cardinal Re est mécontent de le voir au Vatican et le confronte au fait qu’il a désobéi aux instructions de vivre retiré. McCarrick «ne le prend pas bien».
Juin 2008: Le cardinal Re écrit à Sambi et McCarrick séparément. Il leur dit que McCarrick ne doit pas voyager publiquement aux États-Unis ou à l’étranger, sauf rares exceptions accordées par le Saint-Siège. Il doit également résider dans une maison religieuse ou un monastère.
1er octobre 2008: Le cardinal Bertone rencontre McCarrick à Rome. Le 21 octobre, le cardinal Re lui signifie qu’il est autorisé à se rendre à Rome uniquement pour des pèlerinages privés et pour rendre visite à des amis.
21 décembre 2008 : Après l’élection du président Barack Obama, McCarrick écrit à Sambi et Bertone, disant qu’il a établi des contacts importants au sein de la nouvelle administration. Il demande s’il doit conserver ces contacts en tant que liaison du Saint-Siège.
Automne 2008 -Automne 2011: McCarrick poursuit ses activités et ses voyages. Il continue d’apparaître en public aux Etats-Unis et à Rome. Il n’existe aucune trace de réprimande à ce sujet.
Pas de message du pape pour ses 80 ans
2 juin 2010: Dans un mémorandum interne de la Secrétairerie d’Etat, le cardinal Francis George de Chicago et Mgr Wuerl déclarent qu’un message du Saint-Père pour le 80e anniversaire de McCarrick «semble inopportun» car il pourrait susciter un article «désagréable» du New York Times sur la vie morale de McCarrick.
Août 2011: Un prêtre dépose une plainte civile devant la Cour du New Jersey contre le diocèse de Metuchen, l’archidiocèse de Newark et l’évêque Bootkoski. Elle ne nomme pas McCarrick mais décrit de manière explicite trois incidents l’impliquant. La plainte n’est pas transmise à la nonciature.
19 octobre 2011: Mgr Viganò est nommé nonce à Washington. Selon le rapport, il ne reçoit aucune instruction écrite concernant McCarrick. Pendant la nonciature de Vigano, McCarrick poursuit ses activités. Selon le rapport, il n’existe aucune trace que Vigano lui ait recommandé de les arrêter.
29 juin 2012: Un paroissien du Maryland écrit à l’archevêché de Washington pour exprimer ses inquiétudes sur McCarrick, le traitant de «prédateur». Aucune accusation précise n’est cependant faite. Vigano note ces accusations «sérieuses», mais ne donne pas suite.
6 août 2012: Un prêtre écrit à Vigano. Il dit avoir été agressé sexuellement par McCarrick pendant son séjour à Metuchen. Il ajoute que son affaire civile est en cours, mais que malgré tout, il prévoit de rendre publiques ses accusations, et de porter l’affaire devant la CDF. Vigano transmet le dossier au cardinal Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, en lui demandant des instructions. Le 12 septembre, Ouellet ordonne à Vigano de clarifier les accusations du prêtre. Ce que ce dernier ne semble avoir pas fait.
10 février 2013: Le pape Benoît XVI annonce son intention de démissionner. Bien que McCarrick soit trop âgé pour voter lors du prochain conclave, il assiste à des réunions à Rome avec les cardinaux et y reste pendant toute la durée du conclave. Le 13 mars, le cardinal Jorge Mario Bergoglio est élu pape et prend le nom de François.
Le pape François a rencontré McCarrick avant son pontificat lors des voyages de ce dernier en Argentine en 2004 et 2011. Selon le rapport, François savait qu’il était un «voyageur infatigable» engagé dans le travail de l’Eglise à travers le monde. Mais avant de devenir pape, il n’aurait pas été au courant des accusations ou des restrictions à son encontre. Le 20 juin, il le reçoit lors d’une brève audience privée à la Maison Sainte Marthe.
23 juin 2013 et 10 octobre 2013: Le pape François rencontre Viganò à Sainte Marthe. Vigano affirme lui avoir dit qu’il y avait un épais dossier d’accusations contre McCarrick à la Congrégation des évêques, qu’il avait commis des «crimes» et était un «prédateur en série». Mais il n’existe aucune trace écrite de ces entretiens.
2013 – 2017: A plus de 80 ans, McCarrick poursuit toujours ses activités avec de nombreux événements publics, des messes, des ordinations et la consécration d’évêques, ainsi que des voyages.
5 mai 2014: Vigano, préoccupé par les mouvements de McCarrick, écrit au cardinal Parolin. Il lui demande s’il y a de nouvelles instructions le concernant. En juillet, le cardinal Ouellet réaffirme encore les restrictions contre le prélat, toujours sans effet.
La chute vertigineuse
8 juin 2017: L’archidiocèse de New York reçoit une plainte alléguant que McCarrick a «illégalement touché» un mineur de 16 ans, au début des années 1970. Il s’agit de la première allégation contre McCarrick impliquant un mineur formellement identifié. En octobre, le pape François demande à Mgr Timothy Dolan, archevêque de New York, de mener l’enquête canonique préliminaire. La Commission qui mène des entretiens avec le demandeur et McCarrick juge unanimement les allégations crédibles.
8 mai 2018: Mgr Dolan recommande au cardinal à Parolin que, étant donné la gravité des allégations contre McCarrick, il soit définitivement retiré du ministère public pour une vie de prière et de pénitence, et que l’affaire soit rendue publique, car elle concerne l’abus sexuel d’un mineur. Le 22 mai, le nonce signifie à McCarrick «au nom du Saint Père» de s’abstenir strictement de tout ministère public et de toute apparition jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise. Cette décision est rendue publique le 20 juin. D’autres victimes se manifestent.
14 décembre 2018: Le pape François accepte la démission de McCarrick du collège des cardinaux. Il autorise la Congrégation pour la doctrine de la foi à mener une procédure pénale administrative.
11 janvier 2019: La CDF publie un décret qui stipule que McCarrick a été reconnu coupable et qu’il est renvoyé de l’état clérical. (cath.ch/cna/mp)
Le rapport McCarrick
Le Vatican a rendu public le 10 novembre 2020 le «Rapport sur la connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017)». Selon la demande du pape François en 2018, il s'agissait de faire la lumière sur la manière dont l’ex-cardinal McCarrick a pu gravir les échelons dans l’Eglise catholique, sans jamais être inquiété, malgré les nombreux abus sexuels qu'il a commis au cours de sa carrière.