Maurice Zundel, de mystique controversé à prédicateur de Paul VI 1/2
Prêtre suisse à la destinée atypique, aumônier en Angleterre, puis conférencier au Caire, l’abbé Maurice Zundel est connu pour ses prédications aussi pénétrantes que dérangeantes qui l’ont mené jusqu’au Vatican où il a prêché la retraite de Carême en 1972. Retour sur l’itinéraire d’un prêtre controversé, surveillé par son évêque suisse, mais apprécié par Paul VI, selon sa biographe France-Marie Chauvelot*.
Augustin Talbourdel, I.MEDIA
Né en 1897 à Neuchâtel, au pied du Jura, Maurice Zundel grandit dans une famille catholique, au cœur d’une ville et d’une région majoritairement protestantes. Marqué par la foi protestante de sa grand-mère, «la plus chrétienne de la famille» dont le jeune garçon hérite rapidement du goût pour la charité et le service des pauvres, Zundel apprécie le respect des protestants pour le petit catholique qu’il est.
Enfant nerveux, hypersensible et pénétré de foi, il effectue son collège à Neuchâtel où il développe un grand intérêt pour les sciences. Au cours de l’année 1911 ont lieu trois expériences mystiques essentielles que le prêtre rapportera plus tard. Dans l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, à Neuchâtel, le jour de la fête de l’Immaculée Conception, le garçon de 15 ans ressent «quelque chose d’intraduisible : une grâce mystérieuse, une présence, une sorte d’appel urgent, instantané…». Après une deuxième «fulguration» lors de la lecture du Sermon sur la montagne, le jeune Maurice, désireux d’entrer au séminaire, s’inscrit au collège de l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln (Suisse), en 1913, pour y passer sa maturité (baccalauréat).
Prédications et premières querelles
Après deux ans dans ce collège, il quitte Einsiedeln pour Fribourg. Marqué à jamais du sceau de cette abbaye dont il est oblat, il restera fidèle à la «patrie de son esprit», fondera une oblature à Genève et signera même par «Frère Benoît» son premier Poème de la sainte liturgie, dix ans plus tard. Entré au séminaire de Fribourg, Zundel est confronté à l’enseignement thomiste des années 1910 où Dieu est abordé de manière trop structurée, rigoureuse, dialectique et froide pour lui.
«Ne pas faire la charité, mais être charité»
Apprécié par ses enseignants, le brillant Zundel se voit confier des conférences auprès des jeunes gens sur le thème Hors de l’Église point de salut. Le jeune séminariste ouvre grandes les portes de l’Église à tous ceux qui, au cours de leur vie, peuvent s’émouvoir de la doctrine de Jésus. Prononcées en 1918, ses prédications enfreignent dans les grandes lignes le Syllabus de Pie IX et formulent en substance la notion de «liberté religieuse» qui ne sera établie qu’à la fin du concile Vatican II, en 1965, dans la déclaration Dignitatis humanae.
Ordonné à l’âge de 22 ans, Zundel est le premier prêtre né dans l’antique cité des comtes de Neuchâtel depuis la Réforme, remarque sa biographe. Nommé à l’église Saint-Joseph à Genève, il s’investit de plain-pied dans les activités qui lui importent : secourir les pauvres, visiter les malades, puis éveiller la vie spirituelle d’un foyer de jeunes filles. Zundel n’hésite pas à interpeller l’Église dont l’enseignement lui semble trop abstrait et intellectuel et propose son propre catéchisme.
À cet égard, il exhorte ses fidèles, dans un sermon prononcé un dimanche de printemps 1925, à pratiquer eux-mêmes la charité, à se déplacer auprès des pauvres : «ne pas faire la charité, mais être charité». L’invitation, ressentie comme un jugement, passe mal. Ailleurs, il insiste sur le fait que la pauvreté est condition sine qua non de la vie spirituelle : l’Église doit être pauvre si elle veut être catholique. La critique à vif du jeune prêtre est mal reçue : son évêque, Mgr Marius Besson, lui demande de rejoindre l’Angelicum – l’Université dominicaine de Rome -, pour revoir sa théologie.
Les années d’exil
Après un bref séjour romain, où il rencontre le futur Paul VI pour la première fois, le prêtre rentre à Genève, à l’été 1927, et sa situation embarrasse Mgr Besson. «Votre singularité, votre esprit absolu vous met en marge de tous vos confrères et empêchent de vous confier toutes les tâches qu’on aimerait vous voir remplir» : tels sont les travers que l’évêque reproche à Zundel. «L’Église se méfie des mystiques, fussent-ils des saints !», lance-t-il au prêtre de 30 ans.
Pendant près d’une décennie, le prêtre est balloté dans diverses aumôneries sans y trouver sa place. Lors d’un séjour salutaire chez les bénédictines de la rue Monsieur, à Paris, où il fréquente le milieu intellectuel de la capitale – Jacques Maritain, François Mauriac, Gabriel Marcel -, Zundel rencontre à deux reprises Mgr Giovanni Battista Montini, futur Paul VI. Les deux hommes d’Église, qui avaient eu l’occasion d’échanger à Rome, s’estiment mutuellement.
«Ne parlons pas de Dieu, vivons-Le».
En 1929, il est envoyé à Londres, dans un lycée assomptionniste de jeunes filles : il apprend l’anglais grâce à la lecture de Newman. L’année suivante, il retourne en Suisse où il reprend des fonctions d’aumônier de jeunes filles. Il y rédige son propre catéchisme, d’abord distribué sous le manteau, avant d’être publié en 1949 sous le titre de Recherche du Dieu inconnu. Vingt ans plus tard, Paul VI citera encore ce livre, qui s’était pourtant vu refuser le nihil obstat, comme une véritable initiation spirituelle.
Après un séjour de sept ans au Caire, de 1939 à 1946, où il est aumônier du Carmel de Matarieh, il rentre à Lausanne et reprend sa vie solitaire de prédicateur itinérant à partir de la paroisse d’Ouchy. Les ennuis avec ses supérieurs reprennent : en 1954, le curé d’Ouchy doit défendre son vicaire d’un sermon dans lequel il aurait critiqué le pape et la hiérarchie. Quelques années plus tard, en 1961, Zundel sera à nouveau à l’origine d’une controverse à Rome, après une conférence donnée à Beyrouth sur le thème Sexualité et personnalité.
De Genève à Rome
En février 1962 s’ouvre le concile Vatican II. Si le prêtre suisse, sans surprise, n’est pas convoqué, contrairement à ses amis, les abbés Journet et de Lubac, il se tient très au courant du débat conciliaire. Durant l’hiver 1968, Zundel donne douze retraites au cénacle de Beyrouth, sur un thème qui lui est cher : «Ne parlons pas de Dieu, vivons-Le».
Réunies et éditées en 1971 sous le titre Je est un Autre, un de ses ouvrages les plus célèbres, ces prédications arrivent dans les mains de Paul VI qui suit avec intérêt la pensée de ce mystique rencontré à Rome et à Paris. En 1967, il lui avait déjà demandé d’écrire un livre sur «les problèmes de notre temps», après avoir lu un de ses articles dans Choisir, revue genevoise des pères jésuites. Le 12 janvier 1972, invité à la nonciature de Berne, Zundel apprend que le Souverain pontife le prie de venir prêcher la retraite de Carême au Vatican, le mois suivant.
«L’Eglise doit toujours apparaître comme une personne, jamais comme une institution»
Non sans appréhension, Zundel s’y rend, «dans une totale impréparation», et prêche sur les thèmes de Je est un Autre, en insistant sur la crise dans le monde et dans l’Église. Au cours de cette semaine à Rome, le prêtre suisse découvre avec étonnement dans la Curie, «dont on dit tant de mal et à tort», un «esprit spirituel intense et admirable», des hommes animés du désir de se rapprocher de Dieu.
Quel homme et quel Dieu?
S’adressant au cœur de l’Église, Zundel lui rappelle sa mission. Pour que l’Église intéresse l’esprit et touche le cœur des hommes, elle doit toujours apparaître comme une personne, jamais comme une institution. Pour révéler Celui dont elle est porteuse, la communauté doit s’affranchir de la théocratie ecclésiastique accumulée depuis des siècles, pour n’être rien de plus et rien de moins qu’un «sacrement où Sa Présence ne cesse de s’attester dans une action qui la représente et la communique».
Paul VI salue ce message dont il reconnaît la profondeur spirituelle qu’il a toujours entendue chez Zundel et qu’il apprécie. À l’issue de la retraite, les deux hommes ont un chaleureux tête-à-tête au cours duquel le pape invite l’abbé à s’exprimer «en toute franchise», dans son bureau, mais aussi par la suite. Il conclura cet entretien par ces mots qui resteront gravés dans le cœur de l’abbé: «Vous avez ici un ami».
En 1972 toujours, Paul VI demande à Zundel de rédiger un livre tout public reprenant ses vingt-deux interventions au Vatican. Ce sera Quel homme et quel Dieu ? La rédaction de l’ouvrage, qui lui requiert trois années de labeur, l’épuise. Ses prédications ont raison de ses dernières forces : le prêtre suisse s’en retourne à Dieu le 10 août 1975, dans sa paroisse d’Ouchy à Lausanne.
*France-Marie Chauvelot: Vie et pensée de Maurice Zundel,, Le Passeur éditeur, 2019, 192p.
Pour aller plus loin:
Un ouvrage de poche: Gilbert Vincent, Marc Donzé : Maurice Zundel, la figure lumineuse d’un mystique, 2017, 128 p. éditions Ouverture
Une biographie écrite par un confrère qui l’a bien connu: Gilbert Vincent: La liberté d’un chrétien, Maurice Zundel, 1999, 188 p. éditions du Cerf / St-Augustin
Les œuvres complètes de Maurice Zundel dont 3 volumes sont parus aux éditions Parole et Silence : Vivre la divine Liturgie; Harmoniques; A la découverte de Dieu.
Les théologiens de Vatican II
L’Église catholique célèbre cette année les soixante-ans de la convocation officielle du concile Vatican II, le 25 décembre 1961. Un anniversaire que I.Média entend honorer tout au long de l’année, en évoquant des personnalités qui ont marqué le concile.