Mgr Martin Werlen critique l’initiative de «re-bénédiction» du Gothard
Des milieux chrétiens critiquent la bénédiction interreligieuse du tunnel du Gothard, en 2016, qui n’aurait pas réussi à empêcher l’accident d’août 2023. Ils planifient une nouvelle bénédiction «plus efficace». Une initiative que le Père Martin Werlen qualifie de «stupide».
Barbara Ludwig, kath.ch/ traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Le 2 septembre 2024, le tube ouest du tunnel de base du Saint-Gothard devrait être entièrement rouvert à la circulation, a récemment annoncé l’ATS. Le tube massivement endommagé a dû être réparé suite à un accident, ce qui a duré environ un an. Le 10 août dernier, un train de marchandises avait déraillé dans le tunnel.
Les «instances invoquées» n’ont pas pu empêcher l’accident
Le réseau «Prière pour la Suisse» (Gebet für die Schweiz) et l’organisation «Gebetsimpulse» ont récemment associé l’accident à la cérémonie d’ouverture du tunnel en 2016. «Prière pour la Suisse» est une association dont le président est Etienne Rochat, pasteur d’une église évangélique libre.
Lors de la cérémonie d’ouverture en 2016, «différentes personnes, puissances et forces ont été chargées de protéger les plus longs tunnels ferroviaires du monde», peut-on lire dans un communiqué de presse. Mais aucune des «instances appelées à protéger les tunnels» n’a pu empêcher l’accident du 10 août 2023.
Par ces «instances», les activistes entendent entre autres sainte Barbe, patronne des mineurs, mentionnée lors de la cérémonie de bénédiction des tunnels en 2016. C’est ce que suggère le dépliant qui fait la promotion d’une «bénédiction chrétienne des tunnels», prévue le 1er septembre 2024. Les organisateurs ont visiblement également du mal à accepter le caractère interreligieux de la cérémonie de 2016. En effet, le communiqué précise que les «prières de protection» de l’imam et de l’athée prononcées lors de la cérémonie de bénédiction n’ont pas réussi à garder le tunnel de tout dommage.
100 à 200 personnes attendues
Deux événements doivent en fait avoir lieu le 1er septembre près des entrées du tunnel à Erstfeld (UR) ainsi qu’à Bodio et Polleggio (TI). «Un groupe de priants suisses s’est mis en route dans le but de mettre un terme au déficit de protection des deux tunnels», indique le communiqué.
Les organisateurs attendent entre 100 et 200 personnes au total, explique Daniel Regli, qui s’occupe des relations avec les médias pour l’événement. Daniel Regli, ancien politicien de l’UDC, appartient à une église libre et était jusqu’en 2021 président de l’association «Marsch fürs Läbe» (Marche pour la Vie), qui organise la manifestation annuelle contre l’avortement dans la ville de Zurich.
Le flyer affirme que le tunnel doit être confié «à la seule puissance qui puisse vraiment le protéger et le préserver, le Seigneur, Jésus-Christ». Que Dieu puisse garantir la protection à tout moment est certain, a écrit Daniel Regli dans un mail à kath.ch. Mais «que Jésus le fasse ainsi, cela ne nous est pas une certitude». Jésus lui-même aurait donné l’exemple, dans la prière avant sa mort, de placer des demandes personnelles tout en soumettant son propre désir à la volonté de Dieu.
Drapeaux et cornes de shofar
La bénédiction du tunnel doit avoir lieu en plein air. Au programme: louange, brefs exposés, prière en petits groupes, intercessions, cène et proclamation finale commune. Les participants sont priés d’apporter des drapeaux. Daniel Regli a précisé qu’il devait s’agir des drapeaux des communes et des cantons suisses, qui seront brandis lors de la proclamation finale.
Il est également demandé d’apporter des cors de shofar. Un shofar est un instrument à vent que les juifs utilisent à des fins rituelles. Lors des rencontres de prière, le shofar résonne souvent avec le cor des Alpes, explique Daniel Regli. Ce sont surtout les chrétiens, qui ont «un amour pour Israël et le peuple juif», qui utilisent cet instrument lors des réunions de prière. «Le son constitue un appel au combat spirituel; mais signale aussi une joie puissante et la victoire», assure Daniel Regli.
Célébration de la bénédiction confondue avec une représentation théâtrale
Interrogé sur le sujet, le Père Martin Werlen, ancien Abbé d’Einsiedeln (SZ) qui vit en Autriche depuis 2020, ne montre aucune compréhension pour la re-bénédiction du tunnel. «De telles initiatives montrent à l’évidence qu’en Suisse aussi, la bêtise s’affiche sans complexe», écrit-il. Le 1er juin 2016, le Père Werlen représentait l’Église catholique lors de la bénédiction du tunnel de base du Gothard avec des représentants d’autres communautés religieuses. Une pasteure réformée, un rabbin, un imam et une personne sans-confession y ont participé.
Les organisateurs ont manifestement confondu la cérémonie de bénédiction avec la représentation théâtrale sur l’histoire du Saint-Gothard, où étaient effectivement mentionnées différentes puissances et forces, telles qu’on les connaît dans les différentes légendes autour du col du Saint-Gothard, estime le Père Werlen. La cérémonie de bénédiction a eu lieu tôt le matin dans le tunnel et n’a pas fait partie de la cérémonie d’ouverture comprenant la représentation théâtrale.
Sainte Barbe citée dans une prière à Jésus
La prière dans laquelle sainte Barbe a été nommée s’adressait à Jésus-Christ, rappelle Martin Werlen, avant de citer le texte en question: «Nous te recommandons (Jésus, ndlr) tous ceux qui ont travaillé à ce grand projet. Nous pensons en particulier aux neuf personnes qui ont été victimes d’un accident mortel ici et à leurs proches qui pleurent des êtres chers. Par l’intercession de sainte Barbe, qu’ils fassent l’expérience de ta proximité salvatrice». La conclusion de cette prière était la suivante: «Garde ta main bénie sur tous ceux qui travailleront à l’avenir dans ce tunnel ou qui s’y rendront en tant que voyageurs. Que l’eau que nous répandons soit pour nous le signe de la vie que tu nous donnes, de la confiance et de la joie».
La bénédiction n’est pas de la magie
La bénédiction n’est «pas un acte magique», souligne le Père Werlen. Avec la bénédiction, on se confie à Dieu. Il serait naïf de penser qu’elle permet d’exclure les accidents, les maladies ou même la mort. «En tant que baptisés, nous devons nous distancer publiquement d’une telle compréhension de la bénédiction. Ce sont des représentations qui relèvent de la magie et de la superstition, et qui n’ont vraiment rien à voir avec la foi chrétienne.» (cath.ch/kath/bal/rz)