Mali: le développement durable passe par les femmes

Le Mali aurait largement de quoi subvenir aux besoins alimentaires de sa population, affirme Alimata Traoré. Invitée de la campagne œcuménique de carême 2018, la présidente de la COFERSA (convergence des femmes rurales pour la souveraineté alimentaire), raconte comment les femmes rurales ont décidé de prendre les choses en main pour assurer un développement durable.

Alimata Traoré a apporté en Suisse un sachet à l’étiquette colorée. Il contient du «Pain de singe». Il s’agit de farine de baobab. «On peut en faire de la bouillie, des crêpes ou des gâteaux… C’est très bon et sain.» Dans sa valise, la Malienne a aussi glissé des cartes de son pays et de l’Afrique imprimées en batik sur une toile de coton». Ces objets sont emblématiques de la lutte qu’elle mène depuis une vingtaine d’années pour la promotion des femmes rurales de son pays. Aujourd’hui, la présidente de la COFERSA (convergence des femmes rurales pour la souveraineté alimentaire), a de grandes ambitions. Elle voudrait que son pays et l’Afrique de l’Ouest se montrent capables d’assurer leur autosuffisance alimentaire et renoncent à importer massivement des produits européens, américains ou asiatiques.

«Nous en avons eu marre»

Alors que l’essentiel de la vie économique repose sur leur travail, les femmes n’ont jamais eu grand-chose à dire et ne pouvaient pas prendre de responsabilités. «Nous en avons eu marre», explique Alimata. Elle a décidé de prendre les choses en main. En 1996, une première coopérative de femmes se crée à Sikasso, dans le Sud du pays. En 2001, grâce à un appui de la coopération suisse, un réseau se met en place au Mali et en Afrique de l’Ouest. En 2002, Alimata séjourne une première fois en Suisse pour une formation sur le leadership féminin. En 2009, la COFERSA est fondée. «Elle regroupe aujourd’hui 45 coopératives locales rassemblant quelque 4’000 femmes dans sept des huit régions du pays», se réjouit Alimata.

Des produits 100% naturels

Les coopératives de femmes ont adopté deux principes de base: une production agro-écologique et le contrôle de la filière du producteur au consommateur, du champ à l’assiette. Céréales, légumineuses, tubercules, petit élevage, pisciculture, assurent non seulement une alimentation saine, mais aussi un revenu. L’affaire était loin d’être gagnée d’avance. «Les hommes avaient peur que les femmes prennent le pouvoir et ne voulaient pas nous laisser émerger.» Traditionnellement les femmes cultivent, mais ce sont les hommes qui possèdent et transmettent la terre.»Il a donc fallu développer une stratégie.» Ce sera celle des champs collectifs ‘sécurisés’ avec une production agro-écologique 100% naturelle. A force de persuasion, quelques chefs de villages acceptent de leur céder des terres agricoles. «Aujourd’hui nous disposons de 50 hectares. Ensuite, il a fallu faire comprendre que pour cultiver la terre, il nous fallait des outils et quelques animaux de trait…»

La question de la sécurité est double. Elle couvre un aspect matériel pour protéger les cultures des ravages du bétail, des animaux sauvages ou des voleurs par l’édification de clôtures ou l’engagement de gardiens. Le deuxième aspect concerne la sécurité de la propriété ou de l’usufruit de la terre. Il est de plus en plus fréquent de voir des entreprises ou des personnes tenter d’accaparer des terres agricoles.

Ni pesticides, ni engrais chimiques

Pour Alimata, la qualité des produits, 100% naturels, sans pesticides ni engrais chimiques dangereux pour la santé du consommateur comme du producteur, est un autre argument important face à la concurrence des produits importés sur les marchés. Ce principe a poussé aussi les coopératives à récolter et à conserver les semences indigènes. «Ces souches parfois centenaires constituent un patrimoine à préserver. Plus robustes, moins gourmandes en eau, elles sont mieux aptes à résister au changement climatique.»

Alimata Traoré manifeste à Bamako, à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes 2016 | © AdC

Après la production, les coopératives se sont attaqué à la distribution. Elles ont développé des unités locales de conditionnement, des boutiques et un restaurant. Le rêve d’Alimata serait d’ouvrir des boutiques et des restaurants dans toutes les villes du pays. ” Des commerçants seraient disposés à vendre nos produits, mais les voir à l’étal à côté de produits importés de piètre qualité ne nous intéresse pas. Nous voulons conserver notre spécificité.»

La formation des femmes au cœur de la démarche

La démarche de la COFERSA n’aurait pas été possible sans un important effort de formation. Une quarantaine de formatrices passent de village en village pour apporter l’instruction de base aux femmes en langue locale… Et convertir les hommes. «Je me souviens de cet homme qui avait découpé en morceaux les sandales de sa femme en lui disant: ‘tu n’as plus de chaussures, tu ne peux pas aller à cette formation’. Aujourd’hui c’est lui qui l’accompagne au champ.»

«Les mangues produites en quantité à Sikasso se gâtent avant d’atteindre Gao»

La sensibilisation de la population est aussi un des objectifs de la COFERSA, notamment lors de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, ou celle de la femme rurale le 15 octobre. Autre exemple, Alimata a lancé une action auprès des femmes qui tiennent des cantines pour les écoliers afin de les inciter à préparer des repas plus sains à base de produits locaux.

Des obstacles à franchir

La belle histoire des coopératives des femmes maliennes continue néanmoins de se heurter à de rudes obstacles. Alimata Traoré évoque en priorité l’absence d’une véritable politique agricole de l’Etat malien qui continue d’importer à grands frais des produits alimentaires au lieu de favoriser la production locale et de faire circuler ainsi l’argent dans le pays. Elle attend en outre des autorités une reconnaissance beaucoup plus officielle de l’activité des coopératives.

Le défaut d’infrastructures de transport rend difficile la distribution des marchandises. «Les mangues produites en quantité à Sikasso se gâtent avant d’atteindre Gao au nord ou Kayes à l’ouest du pays. Si nous avions des camions frigorifiques, nous pourrions éviter un grand gaspillage.»

La difficulté de l’accès à l’eau représente aussi un obstacle. «Il faudrait pouvoir creuser davantage de forages pour développer les cultures de contre saison et mieux résister aux fluctuations des pluies dues au changement climatique.»

Enfin la sécurité globale du territoire malien face à la poussée de l’islamisme  et du terrorisme est une autre préoccupation. Dans les régions du nord, certains groupes de femmes ont été menacés et le déplacement des personnes et des marchandises est entravé dans l’ensemble du pays. (cath.ch/mp)


Encadré

Journée des roses le 10 mars

Le samedi 10 mars 2018, dans de nombreuses localités de Suisse, des bénévoles vendront des roses au bénéfice des projets de Pain pour le prochain, Action de Carême et Etre partenaires. Ce sera l’occasion de faire coup double : chaque fleur achetée donne droit à l’envoi d’une rose virtuelle dédicacée à un être cher via l’application «Give a Rose».

Comme l’année dernière, Coop offre son généreux soutien à cette action et fournit plus de 100 000 roses à un prix de faveur. En tapant le code associé à chaque fleur vendue dans l’application «Give a Rose» , l’acheteur a en outre la possibilité d’offrir une rose virtuelle à un être cher.

Qu’elle soit naturelle ou virtuelle, toute rose vendue fait triplement plaisir : en premier lieu, aux bénéficiaires des projets, en deuxième lieu, aux producteurs des roses Max Havelaar, et, en troisième et dernier lieu, à la personne qui recevra la rose. (cath.ch/com/mp)

Alimata Traoré, du Mali, est l'hôte de la campagne oecuménique de Carême 2018 | © Maurice Page
8 mars 2018 | 17:28
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
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