Magasins du Monde: 50 ans de lutte pour le commerce équitable
Le premier Magasin du Monde (MdM) a ouvert ses portes, le 2 juin 1974, à la rue du Simplon, à Lausanne. Le dernier et 35e s’est ouvert à Bulle le 6 mars 2024. Depuis 50 ans, l’association est un des acteurs majeurs du commerce équitable en Suisse romande.
«Le premier produit importé par les Magasins du Monde été le café de Tanzanie», rappelle avec satisfaction Josephat Sylvand. Le représentant de l’Union de coopératives de caféiculteurs de la Kagera, en Tanzanie, a fait le voyage de Lausanne pour marquer le cinquantième anniversaire des MdM. Et raconter l’impact du commerce équitable pour sa région.
L’union rassemble 41 coopératives pour 60 à 70’000 petits paysans. Elle récolte la production, la commercialise et assure le marketing. Mais il y a toujours une décision démocratique des coopératives locales sur la manière d’investir les profits par exemple pour l’éducation ou le développement du bio.
L’Union commercialise environ 40% de la production de café dans la filière du commerce équitable et 60% dans les réseaux commerciaux, explique Josephat Sylvand. Dans le commerce équitable le prix comporte plusieurs composants: le prix du marché, la prime équitable, la prime pour le bio et une prime de qualité. Le prix total doit assurer au producteur un revenu juste.
L’Union a aussi un rôle politique. C’est elle qui négocie avec l’Etat ou les autorités locales pour les dépenses d’infrastructure ou le soutien aux paysans. En Tanzanie, au contraire de nombre d’autres pays africains, l’Etat a toujours considéré que l’agriculture est le socle de son économie. Un principe établi par le premier président du pays Julius Niyerere qui, il y a cinquante ans, avait fait plusieurs voyages en Suisse pour y rencontrer les responsables tiers-mondistes qui luttaient contre exploitation coloniale.
Les tiers-mondistes des années 1960-1970
Si la notion de commerce équitable est aujourd’hui entrée dans les mœurs et parfois dans les lois, on le doit en effet à la vision des pionniers qui ont développé ce concept, à la fin des années 1960. A cette époque, les milieux tiers-mondistes, lancent de nombreuses initiatives en faveur du développement. On voit la naissance des œuvres d’entraides Action de Carême et Pain pour le prochain. Les milieux chrétiens notamment se positionnent pour sensibiliser le public aux inégalités Nord-Sud. En 1971, un groupe œcuménique fonde la Déclaration de Berne (devenue Public Eye). Une de ses premières actions est l’importation et la vente sur les marchés du café soluble Ujamaa de Tanzanie (réputé ‘imbuvable’!). Des groupes de vente se constituent dans plusieurs localité romandes.
Le premier Magasin du Monde en 1974 à Lausanne
A partir de 1974, la vente sur les marchés se déplace vers les premiers Magasins du Monde avec la fondation de l’ASRO (association romande). La première échoppe s’ouvre le 2 juin 1974, à Lausanne, à la Rue du Simplon. «Les membres de l’association se cotisaient pour payer le loyer du local», rappelle Denis Barbey, un des bénévoles de l’association lausannoise.
Les manifestations du 50e
Pour marquer leur 50e anniversaire les Magasins du Monde ont prévu un large panel de manifestations jusqu’à l’automne. Le numéro spécial du journal ex.aequo retrace abondamment l’épopée des Magasins du Monde. Une vidéo Youtube présente en particulier les travail des bénévoles
En 1975, des boutiques s’ouvrent au Locle et à Genève. L’ASRO installe un dépôt à Areuse (NE) d’où les produits alimentaires puis artisanaux sont distribués. Outre le café on voit apparaître les fameux sacs de jute «made in Bengladesh» qui deviendront un des produits les plus emblématiques des Magasins du Monde et seront vendus à plus de 250’000 exemplaires.
Une coopérative d’importation dès 1977
En 1977, les œuvres d’entraide et l’ASRO fondent la coopérative OS3 pour l’importation des produits du Tiers Monde à Sonceboz (BE). Autre étape significative en 1992, l’ASRO collabore à la mise en place du label Max Havelaar pour le commerce équitable. C’est aussi l’année du lancement du premier chocolat équitable. En 1997, OS3 se mue en société anonyme appelé Claro qui importe et distribue une gamme de produits dans toute la Suisse.
Alimentation et artisanat
Au fil des ans, la gamme des Magasins du Monde s’est élargie des produit alimentaires à l’artisanat. Vêtements, tissus, bijoux, chapeaux, objets d’art ou jouets garnissent les rayons. «Ils constituent la majorité des vents en période de Noël, et environ la moitié du chiffre d’affaire», relève Denis Barbey .
André Zongo, venu du Burkina Faso, confirme l’importance cruciale de ce débouché pour Zongo Art, entreprise coopérative de développement et de promotion de produits artisanaux créés et manufacturés localement. Délicates figurines en bronze, bijoux, colliers assemblées par des femmes font partie d’un riche assortiment. Fondée en 2010 à 40 km au Nord-Est de Ouagadougou, la coopérative permet à une cinquantaine de familles d’artisans de vivre de leur production.
Un débouché devenu essentiel
«À l’origine, les produits étaient essentiellement diffusés localement auprès de la clientèle touristique. Mais l’insécurité qui s’est abattue sur le Burkina Faso et particulièrement sur cette région a fait fuir les touristes et a brutalement dégradé la situation économique. Le débouché du commerce équitable par l’intermédiaire des Magasins du Monde s’est avéré essentiel pour la pérennité de l’entreprise». Là encore les profits sont investis pour le développement local avec du maraîchage de élevage ou l’adduction d’eau.
Sensibiliser la population suisse
Dès les origines, la sensibilisation du public a fait partie de l’activité de MdM, souligne Lara Baranzani, porte-parole et coordinatrice de l’ASRO, avec de nombreuses campagnes comme l’arrivée de 1’000 lapins en chocolat sur la Place fédérale en 1995 pour dénoncer les injustices liées à l’exploitation du cacao, ou plus près de nous en 2020, avec la participation à l’initiative pour des multinationales responsables.
Sur le plan de l’organisation, bénévolat et modèle associatif restent les deux piliers des Magasins du Monde. Chacune des boutiques est une association gérée localement. A ce jour 35 magasins répartis dans tous les cantons romands sont membres de l’ASRO. La faîtière s’occupe de soutenir l’activité des magasins notamment pour le choix de l’assortiment, la communication et les campagnes de sensibilisation. L’ASRO est le seul organe qui emploie des salariés (6 personnes pour 2 EPT) financés par le revenu des magasins. En suisse romande, le mouvement compte à ce jour plus de 700 bénévoles et ce ne sont pas moins de 83’000 heures d’engagement bénévole par année – plus de 3 millions en 50 ans.
Maintenir ses 35 magasins, y compris dans les régions périphériques, est un défi pour MdM, mais il exprime une volonté de rester proche des consommateurs. Plusieurs magasins ont développé d’ailleurs depuis quelques années le commerce de proximité en collaborant avec des producteurs locaux. (cath.ch/mp)
Claro: faire du commerce autrement
Claro est devenue une société anonyme en 1997 pour des raisons administratives, mais elle ne distribue pas de dividendes et réinvestit ses éventuels bénéfices dans la production, relève sa directrice Marie-Claire Pellerin. Elle vise une durabilité écologique et sociale. «Il s’agit pour nous de dépasser le système colonial basée sur l’importation de produits bruts et de développer la plus-value locale. Claro est ainsi particulièrement fière de commercialiser des tablettes de chocolat entièrement made in Africa.
Aujourd’hui, l’entreprise réalise un chiffre d’affaires d’environ 12 millions de francs et emploie 23 personnes à son siège principal d’Orpund près de Bienne. Outre les Magasins du Monde, Claro livre des boutiques au Tessin et en Suisse allemande.
«La grande industrie du chocolat a d’autres intérêts et pas le même modèle d’affaires. Il est devenu assez fréquent qu’elle mène des opérations de consulting sur le terrain, mais en fin de compte, il est rare que cela serve vraiment les paysans», commente la directrice de Claro.
Le commerce équitable travaille à long terme avec des partenaires locaux, tout en prenant soin d’éviter la dépendance et de permettre à l’agriculture vivrière de se maintenir. Cela vaut pour le cacao ou le café, mais aussi pour l’artisanat. «Nous partons de l’idée que l’économie doit profiter aux producteurs du Sud. Ce qui signifie aussi respecter les choix des partenaires locaux qui définissent leurs projets à partir de leurs besoins.» MP