Madonna del Sasso, entre ciel et terre
Surplombant le lac Majeur au-dessus de Locarno (TI), Madonna del Sasso est le sanctuaire marial le plus visité de Suisse italienne. Derrière la façade néoclassique de l’église se cache un riche patrimoine historique et artistique, témoin d’une dévotion qui se poursuit depuis le jour de l’Assomption de 1480.
Il y a trois façons de rejoindre Madonna del Sasso. Si on veut suivre les ormes des pèlerins médiévaux, on peut emprunter l’itinéraire qui longe la rivière Ramogna, ou monter les 343 marches du chemin de croix en bas-reliefs de bronze. Si, en revanche, on préfère une manière plus commode, on s’y rend avec le funiculaire, réalisé en 1906, à initiative du célèbre entrepreneur tessinois Giovanni Pedrazzini.
Lieux saints à portée de main
Fidèle à la tradition qui remonte à la fin du Moyen Age, je décide de me rendre dans ce sanctuaire tessinois par le chemin le plus ancien. Avec ses 214 marches (je les ai comptées!), le sentier escarpé permet d’arpenter les 180 m de dénivelé qui séparent le bourg tessinois du sanctuaire. Je quitte la frénésie de la ville et, depuis l’église de l’Annunciata (1502), sur les hauteurs de la ville, le sentier défile à côté de cinq chapelles datant du XVIe siècle, qui représentent des scènes de la vie du Christ.
Après une bonne demi-heure de marche, j’atteins les 378 m du sanctuaire situé dans la commune d’Orselina. Immergé dans une végétation méditerranéenne verdoyante, avec une vue panoramique à couper le souffle sur le lac et les préalpes environnants, le lieu est un havre de paix et de ressourcement spirituel.
«Bienvenus à Madonna del Sasso!» Depuis le sommet du pittoresque éperon rocheux, Frère Agostino del Pietro me voit arriver un peu transpirant. «Vous êtes monté sur notre ‘Sacro Monte’ de la bonne manière: à pied, depuis la plaine!» Avec son sourire qui met tout de suite à l’aise, le capucin m’accueille sur le parvis du sanctuaire où il vit avec sept autres frères. Le soleil matinal de l’été donne une lumière brillante à la façade baroque.
Plus d’un demi-millénaire d’histoire
La présence pluriséculaire des frères franciscains à Madonna del Sasso est en relation étroite avec sa fondation. «Selon la tradition, ce sanctuaire a été fondé à la suite de l’apparition de la Vierge Marie au frère cordelier Bartolomeo Piatti d’Ivrea, la veille de la fête de l’Assomption, en 1480», nous explique d’emblée le guide, dans la galerie latérale donnant sur le petit jardin fleuri qu’il vient d’arroser.
«Depuis sa fenêtre du Couvent de Saint-François de Locarno, fondé en 1230, il a vu apparaître Marie sur cette colline. Elle lui demanda d’y donner naissance à un lieu dédié particulièrement à la vénération mariale». Le franciscain italien a réalisé ainsi le vœu de la Vierge. Il y passera les dernières 30 ans de sa vie comme ermite.
«Mais les historiens ont une autre explication des origines de cet endroit, ajoute promptement Frère Agostino. Ils inscrivent Madonna del Sasso dans le sillage du phénomène des ›Sacri Monti’, ces lieux de pèlerinage très répandus dans le nord de l’Italie».
Classés au patrimoine de l’UNESCO
Le premier de ces «Monts Sacrés» a été érigé à Varallo Sesia (I) à l’initiative de Bernardino Caimi, durant le Moyen Age. Afin d’éviter aux chrétiens transalpins le voyage, souvent périlleux, en Terre Sainte, le frère franciscain a décidé de reproduire les lieux sacrés de la vie de Jésus sur des collines de sa région. «Car le fait de voir les lieux du Seigneur avait certainement un effet majeur pour l’évangélisation, plus même que la simple prédication», indique Frère Agostino, ancien provincial des capucins suisses. Le Piémont et la Lombardie abritent de nombreux «Monts sacrés». Ils sont classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
À la fin du XVe siècle, naît donc aussi à Locarno l’idée d’ériger une telle «montagne sacrée». Au sommet de la colline on construit les deux premières chapelles: l’une dédiée à la Vierge de l’Assomption – qui est la partie plus ancienne de l’église actuelle – et l’autre, un peu plus loin, dite de «La Pietà». Les deux églises furent consacrées en 1487. L’actuel complexe architectural est le fruit des importantes transformations réalisées à partir du XVIIe siècle, en particulier la prolongation de la nef en style baroque.
Le tournant
«L’année 1848 est une date capitale pour notre sanctuaire, explique mon guide, qui est entré chez les capucins en 1991. Suite au ‘Kulturkampf’, le Canton du Tessin sécularise de nombreux bâtiments ecclésiastiques, dont le sanctuaire de Madonna del Sasso». Beaucoup de religieux italiens sont ainsi contraints de rentrer dans leur pays.
«Deux ans plus tard, en 1850, on demande alors à deux de nos confrères suisses de reprendre la direction du sanctuaire. Cette année 2020, on y commémore donc les 170 ans de l’arrivée des capucins». Dès 1880, avec l’arrivée au gouvernement tessinois des conservateurs, on donne plus d’importance à l’expression de la vie religieuse au Tessin et le monastère reprend de l’importance.
Riche patrimoine historique et culturel
Ce qui avait été considéré, au milieu du XIXe siècle, comme une grave perte pour la communauté, est aujourd’hui vécu avec soulagement et reconnaissance. Car l’entretien de ce joyau artistique demande un engagement financier non négligeable que la petite communauté ne pourrait pas assurer.
La dernière restauration du complexe remonte aux années 2006-2015. On a enlevé la couche noire qui s’était déposée sur les murs de l’église, lui redonnant ainsi sa splendeur originale. Le Canton du Tessin, qui en est le propriétaire, y a investi plus de 8 millions de francs. «Car le sanctuaire abrite de nombreuses œuvres d’art remarquables, dont une toile du célèbre peintre italien Bramantino (1456-1530), Fuite en Egypte, réalisée spécialement pour le sanctuaire.»
«Quand j’observe ces toiles, je suis toujours surpris par la capacité de nos ancêtres à trouver des ‘sponsors’. Et c’est par exemple grâce à des familles riches comme les Rusca, des importants mécènes de Locarno, qu’on a pu réaliser ces chefs-d’œuvre ici».
Le riche patrimoine et son histoire ont porté le Canton du Tessin à proposer à la Confédération d’intégrer Madonna del Sasso dans la liste suisse adressée à l’UNESCO. Grande a été la déception de la communauté et des autorités locale, lors qu’en 2017, le Conseil fédéral a refusé de retenir cette candidature.
Ferveur mariale suisse italienne
Si durant les premiers siècles, le «Sacro Monte» a été principalement un lieu christologique, dès la fin du XIXe siècle, la dévotion mariale prend clairement le dessus. La célèbre statue de la Vierge Marie, placée au-dessus du maître-autel, en témoigne. Réalisée en 1485 par Domenico Merzagora, la statue en bois a connu une grande popularité dès 1949, lorsqu’elle a été transportée dans les paroisses du diocèse de Lugano en signe de reconnaissance pour avoir épargné à la Suisse les affres de la Deuxième Guerre Mondiale.
«On l’a prise, mise sur le toit d’une voiture et portée en procession dans tout le canton. Une chose impensable, aujourd’hui! s’exclame en souriant Frère Agostino. Les responsables des monuments historiques ne le permettraient certainement plus». Le développement de la dévotion mariale a laissé des traces importantes dans la foi des habitants locaux. «C’est pour cela que dans de très nombreux foyer tessinois on retrouve souvent une copie de cette statue de la Vierge avec l’enfant».
Je remercie mon guide avant de redescendre à Locarno en empruntant le Chemin de croix. Le voyage en funiculaire attendra ma prochaine visite. La beauté et le silence des lieux murmurent en effet de revenir bientôt sur ce «Sacro Monte». Car, aujourd’hui comme hier, «c’est dans le silence que les prières sont mieux entendues». (cath.ch/dp)
Mariages d’antant
Lorsque en 2008, on a déplacé l’autel de cinq tonnes, «une prouesse technique!», selon notre guide, on a retrouvé plus de 100’000 petits feuillets des années 1940/1950. Ils témoignent de la consécration au cœur de Marie d’autant de personnes.
Entre 1900 et 1960, le sanctuaire était connu comme un lieu privilégié pour la célébration de mariages. A ce propos, avant de reprendre la route, le capucin nous raconte une anecdote révélatrice de l’importance de Madonna del Sasso au cours du XXe siècle. «La célébration de mariages était une tradition répandue bien au-delà des frontières cantonales, relate Frère Agostino. Cela peut paraître surprenant aujourd’hui, mais beaucoup de Valaisans ont choisi de se marier ici. C’était le cas notamment lors qu’ils ne voulaient pas inviter trop de personnes à la cérémonie, ou pour éviter le scandale dans leurs paroisses, lorsque le couple attendait un enfant.»
Aujourd’hui, Madonna del Sasso est visitée surtout par des touristes suisses et étrangers. DP
Comment s’y rendre?
En train via Lucerne-Bellinzone-Locarno ou via Brigue-Domodossola-Centovalli-Locarno (Centovallina). En voiture, via A2 du Gothard ou Domodossola-Centovalli. Le départ des deux chemins ou du funiculaire est à 200 mètres de la gare de Locarno. Attention: le balisage des chemins, au début, n’est pas si facile à trouver.
Quoi faire?
Au-delà du sanctuaire de l’Assomption, le complexe de Madonna del Sasso abrite aussi le couvent des Capucins, ainsi qu’un petit musée qui retrace l’histoire de ce lieu et de son patrimoine. Dès le XXe siècle, on célèbre la fête patronale le 1er dimanche de septembre. Une occasion spéciale pour vivre de près la richesse spirituelle de ce sanctuaire. À 100 m de l’arrivée du funiculaire, part la cabine pour Cardada, une destination idéale pour ceux qui aiment se balader dans la nature, avec une vue imprenable sur toute la région. DP
Vous aimez les balades? En cette période de déconfinement où de nombreux Suisses passeront leurs vacances d’été au pays, la rédaction vous invite à partir à la découverte en Suisse romande de lieux de ressourcement, dont le rayonnement spirituel et artistique vaut le détour. Nichés dans des écrins de verdure, ces sanctuaires de paix offrent au visiteur leur énergie paisible et inspirante. Bonne balade!