«Ma nouvelle mission est de donner de l’espérance»

Zurich: Interview du Jésuite suisse Albert Longchamp

Zurich, 26 mai 2011 (Apic) Le Père Albert Longchamp, ancien provincial des Jésuites suisses, a parlé avec beaucoup d’ouverture dans les médias romands de sa dépendance à l’alcool et de sa guérison. En automne 2009, il a passé plusieurs semaines dans une clinique de réhabilitation au Québec. Depuis lors, il dirige la revue des Jésuites «Choisir». Il répond sans ambage aux questions de l’Apic.

Apic: Les spécialistes disent que les personnes dépendantes doivent toucher le fond avant que la guérison soit possible. Quand étiez-vous tout en bas?

Albert Longchamp: J’ai passé insensiblement de l’état «normal» de bon vivant un peu gourmand, appréciant son petit verre quotidien, sans excès, à celui de mauvais perdant, de tricheur, même avec moi-même.

Devenu Provincial des Jésuites suisses (en octobre 2005), logeant à Zurich, je suis rentré chez moi un samedi soir, mort de fatigue. Avais-je bu? Je ne sais plus. Je tombais de sommeil. Le «lendemain», vers dix heures du matin, coup de téléphone de ma secrétaire. Etrange! Ma collaboratrice ne venait jamais le dimanche à son bureau. Je l’interroge: «Pourquoi donc venez-vous travailler aujourd’hui?» Réponse: «Mais, Père Longchamp, nous sommes lundi matin»! J’avais dormi sans interruption durant 36 heures. Ce fut le premier choc. Quatre ans plus tard, entré en clinique, j’apprendrai que mon corps ne voulait plus vivre, n’en pouvait plus de vivre avec l’alcool. Cette nuit-là, tout simplement, j’avais traversé la «mort temporaire».

Apic: Comment votre entourage a-t-il réagit à votre problème, puis à votre guérison?

Albert Longchamp: Ma dérive a commencé en 2005. J’avais quitté la direction de l’Echo Magazine à Pâques, dont j’avais été le directeur pendant vingt ans. Et j’ai été nommé provincial des jésuites de Suisse, devenant ainsi le supérieur de la communauté jésuite établie sur notre territoire. Quand j’ai débuté dans ce nouveau travail, à Zurich, je me suis retrouvé confronté à des difficultés que j’ignorais auparavant. Je devais gérer une soixantaine de personnes avec leurs problèmes personnels: l’un qui me disait avoir une relation sans savoir comment en sortir, l’autre qui voulait quitter l’ordre… Je prenais tout cela trop à coeur. Ou trop à corps. Au bout de quelques semaines, j’avais perdu le sommeil. A cela se sont ajoutées des tensions avec Rome.

Puis le suicide de ma soeur en 2007. Nous étions très liés; sa disparition m’a énormément affecté. A cela c’est ajouté d’autres tragédies dont celle, hélas, d’un prêtre pédophile dans mon proche entourage. Un malaise insidieux, lentement, est venu m’envahir.

Dès lors, je pars à la dérive. Je me cache. Je ne me confie à personne. La consommation alcoolique prend s’ascenseur. J’entre dans le déni de vérité.

De janvier jusqu’à fin février 2008, j’étais à Rome pour l’élection d’un nouveau père général. J’allais très mal et c’est là que j’ai commencé à sentir l’addiction, mais sans mesurer la gravité de mon état général. Quelques mois plus tard, sur demande de confrères, dont certains sont venus courageusement m’inviter à démissionner et à me soigner, je suis libéré de mes fonctions par le Père Général Adolfo Nicolas.

En septembre 2009, je quitte la Suisse pour Montréal, où je suis hospitalisé d’urgence, dès mon arrivée, dans une clinique de réhabilitation. Des médecins compétents, un entourage très solidaire, un séjour extrêmement rigoureux mais salvateur, permettront ma délivrance de l’alcool, l’abstinence totale, une vraie libération. Mieux, une «résurrection». Je suis formel: c’est le regard d’une authentique amitié fraternelle qui m’a guéri.

Apic: On parle souvent de la solitude du prêtre. Un vrai problème à vos yeux, qui peut parfois conduire à l’alcoolisme?

Albert Longchamp: La solitude, pas seulement celle des prêtres, peut être une cause de refuge dans les illusions de l’alcool. Il faut cependant préciser: les prêtres, les célibataires, sont loin d’être la «caste» privilégiée de cette maladie. Il la partage notamment avec des professionnels souvent de haut rang, des hommes et des femmes venus de la politique, de l’entreprise, des milieux médicaux. Personne ne réalise le mal des chirurgiens qui, après 5, voire 6 ou 8 heures d’opération, constatent l’arrêt du cœur de leur patient! Les détresses du cœur, chez les femmes comme les hommes, les couples qui se déchirent, et les rechutes d’anciens patients, sont des situations dramatiques constantes.

L’alcoolisme est souvent lié à la dissimulation de la vérité, donc à la tromperie, qui détruit les confiances, à l’échec professionnel ou, chez les plus jeunes, aux ratés scolaires, universitaires, qui eux, compromettent l’avenir.

Apic: Que vous a apporté personnellement cette expérience?

Albert Longchamp: L’alcoolique ne «guérit» jamais. Je le dis aujourd’hui et ce n’est pas une formule creuse: «Je suis alcoolique». Mais avec l’aide de Dieu et de mon entourage, je maîtrise la maladie. Et je revis le bonheur de la liberté. La maladie n’est pas une malédiction. Ma nouvelle mission est de donner de l’espérance. Elle me donne le désir de vivre moi-même avec mes écorchures et mes échecs. Avec regrets, peut-être, mais sans honte.

J’aimerais conseiller quiconque est concerné par l’alcool ou les drogues de relire un petit verset de l’évangile de Jean. Il est écrit comment Jésus guérit un aveugle de sa cécité (Jn 9,6): «Après avoir dit cela, il cracha à terre, et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l’aveugle.» La théologienne Francine Carrillo commente: «Jésus est l’homme qui fait de la lumière avec la boue, avec tout ce qui est trouble, boueux, brouillé en nous!» (apic/job/amc)

26 mai 2011 | 12:23
par webmaster@kath.ch
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