Le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques | © seletlumieretv.org
Vatican

M. Ouellet: «Le célibat des prêtres est incompréhensible sans la foi»

Dans un contexte de crise pour l’identité du prêtre et de remise en cause du célibat sacerdotal, le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, organise du 17 au 19 février 2022, au Vatican un Symposium intitulé «Pour une théologie fondamentale du sacerdoce». A la veille de cette rencontre, qui sera ouverte par le pape François, le cardinal canadien s’est confié à I.MEDIA sur quelques enjeux actuels.

Pourquoi avoir choisi de faire un symposium sur le sacerdoce aujourd’hui ?
Cardinal Marc Ouellet: L’Église se trouve actuellement dans une démarche synodale qui repose la question de la participation du Peuple de Dieu à toute la vie de l’Église. En lançant le Synode sur la synodalité, le pape ne souhaite pas faire un sondage sur les opinions dans l’Église, une opération parlementaire ou une cueillette d’idées. Il veut réveiller la foi du Peuple de Dieu.
Après le Synode des jeunes et celui sur l’Amazonie, il nous a semblé important de poursuivre la réflexion sur la vocation des baptisés. Le titre de ce symposium, Pour une théologie fondamentale du sacerdoce, montre que nous souhaitons nous saisir du sacerdoce en revenant à ses fondamentaux : le Christ et le baptême.
La culture catholique a fait que, dès que nous parlons de sacerdoce, nous pensons aux prêtres et aux évêques. Comme s’ils épuisaient la question. Or, le Concile Vatican II a rétabli l’équilibre entre le sacerdoce commun des baptisés et le sacerdoce ministériel. Mais dans la pratique, cela doit encore se déployer.

Comment établir cet équilibre ?
La conscience missionnaire devrait être présente chez tous les baptisés. La mission n’est pas réservée aux ministres ordonnés. Le symposium a donc pour objectif de revenir sur le fondement du sacerdoce en réfléchissant bien évidemment à l’articulation entre ministère ordonné et sacerdoce baptismal. Il ne s’agit pas de se focaliser sur la seule figure du prêtre. Nous voulons être attentifs à la communion des vocations et à la complémentarité des états de vie ; par exemple, comment exercer son sacerdoce baptismal en tant que parents, au sein d’une famille, ou bien dans la vie consacrée.

Ce symposium a lieu à un moment où la figure du prêtre est abîmée par les scandales des abus commis par des membres du clergé. La crise des abus sera-t-elle abordée dans les réflexions ?
La question des abus dans l’Église représente une grande difficulté. Elle a été largement étudiée sur le plan sociologique ou historique, avec des études de commissions donnant une vision notamment statistique du problème et pointant du doigt des erreurs pastorales. L’Église fait un grand chemin depuis ces 25 dernières années pour reconnaître les erreurs du passé dans sa gestion des cas d’abus en particulier.  
Nous n’avons pas fini le travail d’analyse de cette crise. Sur le plan théologique, il y a une réflexion à mener, un travail que des commissions comme la Ciase, en France, n’ont pas pu faire pleinement. Mais cette analyse déborde du cadre de ce symposium sur le sacerdoce.

Cette crise des abus peut-elle remettre en cause le célibat des prêtres ?
Je répondrai par une autre question: est-ce que les abus qui ont lieu dans les familles remettent en question le mariage comme mode de vie? Je ne crois pas. La crise des abus remet en question la maîtrise de soi de certaines personnes qui, dans leur état de vie, ont eu des déviances graves.
Il faut donc faire la distinction entre les faiblesses morales des personnes et l’état de vie de ces personnes. D’ailleurs, les enquêtes scientifiques qui ont été produites ne concluent pas que le célibat est responsable de cette crise.

L’Église peut-elle ou sait-elle encore présenter le célibat sacerdotal comme un modèle de don radical pour les jeunes d’aujourd’hui?
Je crois que le célibat sacerdotal est incompréhensible si on n’a pas la foi. D’où vient-il ? De la personne de Jésus Christ. Autour de lui et à cause de lui, de nouvelles réalités ont émergé dans l’Histoire. C’est Jésus qui appelle à tout laisser, même sa famille, pour se mettre au service du Royaume.
Dès lors, si on ne croit pas que cet homme est le Fils éternel du Père venu dans le monde, le célibat chrétien n’a pas beaucoup de sens. Je crois que ce fondement manque dans la justification du célibat aujourd’hui. Le célibat est d’abord une reconnaissance de qui est Jésus. C’est une confession de foi.

Lors du Synode sur l’Amazonie, les Pères synodaux avaient voté en faveur de l’ordination d’hommes mariés. Dans l’Église, en Allemagne notamment, beaucoup réclament la possibilité de rendre le célibat optionnel. Ce symposium se veut-il une réponse théologique à ces interrogations ?
Nous n’ignorons pas ce qui se dit à propos du célibat des prêtres. Mais le symposium est une réflexion fondamentale. Il n’a pas été conçu pour répondre à toutes les questions qui retiennent l’attention des médias ou pour répondre à ce qui se passe en Allemagne. L’intention n’est pas de corriger untel ou de pointer du doigt un autre. C’est de traiter de façon sérieuse, profonde et sereine des questions fondamentales.
Ces réflexions apporteront sans doute un éclairage complémentaire à ce qui peut se dire ailleurs. Lors de ce symposium, des évêques allemands seront là. Si ce qu’ils y entendront peut servir à leurs réflexions, j’en serais heureux. Mais je le répète : nous ne sommes pas réunis pour orienter ou contester ce qui se passe en Allemagne.

Des commissions de lutte contre les abus ont récemment pointé du doigt «l’excessive sacralisation» des prêtres, cause d’abus de pouvoir notamment. Qu’en pensez-vous ? Comment articuler la dimension sacrée du sacerdoce avec une conception ajustée du pouvoir dans l’Église ?
À une certaine époque, le prêtre a pu être mis sur un piédestal. Cette mentalité, peut-être présente avant le Concile et un peu après, a beaucoup diminué. Ce n’est plus la culture dominante dans l’Eglise aujourd’hui ; d’autant que le pape François continue de dénoncer le cléricalisme.
Il reste que le prêtre a un rôle de représentation du Christ qui lui confère une «sacralité». Mais qu’entend-on par là ? C’est un don sacramentel qui signifie une mystérieuse présence. Dans l’exercice de ses fonctions, le prêtre rend mystérieusement présent le Ressuscité qui continue donc de se manifester dans l’Histoire. La sainte eucharistie, manifestation du Christ ressuscité, est ce qui est de plus sacré dans l’Église. Et le prêtre est complètement lié à ce service sacré. Dans ce sens, oui, il a une dimension sacrée. Mais ce n’est pas un sacré naturel.

Comment la lutte légitime contre le cléricalisme peut-elle se faire sans blesser l’identité du sacerdoce ?
Le pape parle beaucoup du cléricalisme, un mot en «isme» qui désigne un abus de pouvoir. Le cléricalisme est un manque d’écoute du Peuple de Dieu. C’est l’imposition de son propre point de vue, c’est un prêtre en paroisse qui n’écoute pas son conseil pastoral ou qui considère les femmes comme faisant partie d’une seconde catégorie. Le pape dénonce ces abus, cette mentalité qui peut conduire, dans des cas extrêmes, à des abus graves.
Mais il faut sauvegarder la fonction du prêtre qui doit incarner dans sa communauté une représentation de l’autorité du Christ. Il doit le faire d’une façon paternelle et fraternelle, avec le sens de l’autorité de celui qui ne défend pas un poste mais qui veut faire grandir ses enfants.
Un père n’impose pas une autorité violente. Au contraire, il veut que ses enfants croissent. Quand un prêtre intervient dans la communauté, il doit le faire avec un esprit paternel, c’est-à-dire, avec autorité mais aussi tendresse, douceur, accompagnement, encouragement. Nous devons encore approfondir cela d’un point de vue théologique.

Est-il plus difficile d’être prêtre aujourd’hui ?
Je le pense. Mais il existe toujours cette tentation pour le prêtre de se dire que c’était mieux avant… Allez voir si c’était mieux! Je crois en tout cas qu’aujourd’hui la mission du prêtre peut être plus passionnante qu’il y a cinquante ans car les défis sont immenses.
La mission revient au cœur du ministère sacerdotal. Le pape François y invite en permanence. Il saisit toutes les occasions pour communiquer. C’est incroyable ce qu’il a pu inventer pour rejoindre l’autre, croyant ou incroyant, en usant de tous les canaux, jusqu’à même participer récemment à une émission à la télévision italienne. Certains l’ont critiqué pour cela, sous prétexte qu’il désacralise la fonction…
Mais le pape est missionnaire, il témoigne, il annonce. Faut-il le regarder en se demandant s’il devrait faire ceci ou cela ? Peut-être devrions-nous aussi être missionnaires. Ainsi je crois que le prêtre d’aujourd’hui doit être créatif, faire les premiers pas, ouvrir le dialogue avec audace.( cath.ch/imedia/hl/ak/mp)

Le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques | © seletlumieretv.org
11 février 2022 | 15:05
par I.MEDIA
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