Lytta Basset: «Oui, on peut se remettre de la mort d’un enfant»
La théologienne protestante et auteure franco-suisse Lytta Basset fait depuis plus de 15 ans l’expérience de contacts avec son fils mort par suicide, en 2001. Dans son dernier livre Cet Au-delà qui nous fait signe (Albin Michel, 2022), elle témoigne de son cheminement vers «la vie invincible», qui lui a permis de se remettre debout.
Le 7 mai 2001, Samuel, le fils aîné de Lytta Basset se donne la mort. Il est âgé de 24 ans. Un événement qui laisse la pasteure vaudoise totalement dévastée. En 2007, elle raconte dans Ce lien qui ne meurt jamais, comment son fils est entré en communication avec elle, selon un phénomène identifié comme «vécu subjectif de contact avec un défunt-VSCD».
Dans un ouvrage ultérieur, Cet Au-delà qui nous fait signe, sorti fin 2022, elle révèle «l’événement improbable» à l’origine de ses contacts avec Samuel: des messages puissants de son fils reçus par l’une de ses étudiantes dénommée Myriam, lors d’un cours universitaire à l’étranger.
Tout en tissant les liens entre la Bible, le phénomène des VSCD, la science, et ses expériences personnelles, Lytta Basset raconte un cheminement qui lui a fait «encore plus aimer la vie.» cath.ch l’a rencontrée à son domicile du canton de Vaud, dans une petite bibliothèque remplie de livres philosophiques et spirituels, d’objets exotiques et religieux, à l’image de son parcours de vie cosmopolite et pluriel.
Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire un second livre sur votre expérience de contacts avec votre fils?
Lytta Basset: Je voulais principalement valoriser les expériences vécues il y a 15 ans. J’ai rédigé Ce lien qui ne meurt jamais quatre ans après la mort de Samuel en passant sous silence «l’événement improbable» qui m’avait poussée à l’écrire. C’est une chose de faire une expérience, c’en est une autre de l’intégrer. A ce moment-là, j’étais dévastée, en morceaux, pas en état d’accueillir ces événements, de déterminer leur sens exact. Il m’a fallu tout ce temps pour faire mûrir tout cela, l’approfondir de manière suffisante pour pouvoir en parler.
Le sujet des contacts avec les défunts suscite une certaine incrédulité. Comment pouvez-vous être sûre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène psychologique «illusoire»?
Comme toutes les personnes qui ont vécu ce genre de choses, je n’ai pas le moindre doute que cela me soit réellement arrivé. On peut d’abord constater que ces phénomènes ne sont pas du tout rares. Les dernières études sur les VSCD montrent même que près de 60% de la population fait ce genre d’expériences. Et ça rejoint ce que j’ai pu observer moi-même. Je rencontre régulièrement des personnes qui m’en parlent, notamment en accompagnement spirituel.
«Il y a une vaste littérature scientifique qui démontre la réalité de ces expériences»
Mais c’est surtout mon ressenti personnel qui me fait dire que c’est vrai. Quand le corps, l’esprit, la mémoire, tout dit la même chose, tout vibre à l’expérience, on ne peut pas douter. Le monde entier viendrait me dire «non tu ne l’as pas vécu», cela me coulerait dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard.
Comment se passent concrètement les contacts avec Samuel?
Mes expériences de VSCD ont commencé après la mort de Samuel, bien avant de rencontrer Myriam. Elle n’est pas médium et nous n’avions jamais entendu parler l’une de l’autre. Pourtant, elle m’a transmis des messages qui ne pouvaient venir que de Samuel. Par exemple, Samuel a raconté à Myriam les circonstances et les raisons de sa mort, qui correspondaient à la réalité.
«Les gens se tournent de plus en plus vers des approches ouvertes à la spiritualité»
Ce qu’a vécu Myriam est du même ordre que ce que j’expérimente. Cela peut être une vision, un rêve, ou une audition. Je l’entends là, (elle montre son oreille)…une voix, articulée très clairement. Mais le plus souvent, concernant Samuel, ce sont des signes, ce que j’aime appeler des «clins Dieu». Ce sont des réponses fulgurantes qui répondent à l’état dans lequel je me trouve, liées à l’histoire de Samuel, à sa personnalité.
Mais pourquoi Samuel est-il passé par l’intermédiaire de Myriam et ne s’est pas adressé directement à vous?
Sans doute à cause de l’intensité de ma souffrance. Je n’aurais probablement pas pu l’intégrer. Il ne nous est donné que ce que nous pouvons supporter.
Vous signalez dans votre livre que les dernières découvertes scientifiques au sujet des VCSD tendent vers une authentification de ces phénomènes…
Absolument. Il y a une vaste littérature scientifique qui démontre la réalité de ces expériences, qui émettent la possibilité d’une conscience indépendante de la matière. Mais il faut plutôt regarder pour cela du côté anglo-saxon. En Europe, nous avons encore une mentalité extrêmement ratatinée sur ce sujet.
Malgré ces indications, le postulat matérialiste est toujours dominant dans notre société…
Effectivement. Nous sommes encore loin d’un renversement de ce paradigme. Mais il faut garder espoir. Je constate que les médias s’intéressent de plus en plus aux phénomènes de VSCD ou d’expériences de mort imminente. Ils commencent à évoluer vers une reconnaissance de cela dans la population. Les gens se tournent de plus en plus vers des approches ouvertes à la spiritualité.
«Si les Eglises vivent actuellement cette ‘dégringolade’, c’est parce qu’on ne croit plus en la vie plus forte que la mort»
Pourquoi existe-t-il également au sein des Eglises une réticence, voire une hostilité s’agissant de communication avec les morts?
Beaucoup ne comprennent pas que l’on ne parle pas à des morts, mais à des vivants, avec un grand «V». Chez les catholiques comme chez les protestants, on confesse la communion des saints. Il s’agit aussi de communication avec les «saints» déjà dans l’Au-delà. Dans les prières, nous nous adressons au Vivant, en qui se trouvent nos défunts. Je suis effarée de voir qu’à peine une petite majorité des chrétiens, selon les statistiques, croit réellement que Jésus est ressuscité. Pour moi, cela vient du fait que le christianisme a été imprégné du postulat matérialiste ambiant. Je pense que si les Eglises vivent actuellement cette «dégringolade», c’est parce qu’on ne croit plus en la vie plus forte que la mort.
Mais n’y a-t-il pas des dangers à entrer en contact avec l’Au-delà?
Sur cette question, nous sommes tous d’accord. Les forces de mort et de division existent et nous devons certainement nous en prémunir. Mais ces forces sont à l’œuvre partout et en tout temps, également dans le monde visible. Les détracteurs de la communication avec les défunts jettent souvent, pour ces raisons, le bébé avec l’eau du bain. Et c’est dommage, au vu de tout le bien que cela peut nous apporter.
«L’existence humaine est un lieu privilégié d’évolution spirituelle»
Ce qui a en tout cas été le cas pour vous…
Je peux dire que c’est grâce à cela que je me suis remise debout, que je suis à nouveau entrée «dans le courant de la vie». Et ce n’est pas rien de le dire, car j’étais vraiment dans une détresse abyssale, suite à la mort de notre fils. J’ai voulu témoigner que même dans des circonstances aussi horribles, on peut consentir progressivement à accueillir la «vie invincible». Nous ne sommes pas là par hasard, nous avons tous quelque chose à accomplir dans ce monde. L’existence humaine est un lieu privilégié d’évolution spirituelle.
Mon cheminement m’a amenée à aimer encore plus la vie et à ne plus craindre la mort. Là est l’un des principaux messages de ce dernier livre: témoigner que, oui, on peut se relever des événements les plus atroces, que l’on peut se remettre de la mort d’un enfant. J’en suis la preuve vivante. (cath.ch/rz)
Lytta Basset est née Jacot en 1950 à Raiatea en Polynésie française. Elle a reçu une formation philosophique (maîtrise et préparation de l’agrégation) et théologique (doctorat sur le problème du mal subi, de ses séquelles, des questions de culpabilité, pardon et réconciliation). Elle a une spécialisation en théologie pratique, particulièrement dans le domaine de l’accompagnement spirituel (notamment au sein de l’association Aaspir), de la relation d’aide, de l’articulation entre spiritualité et sciences humaines. Elle a vécu et travaillé en Inde, en Iran, à Djibouti et aux États-Unis.
Elle a été pasteure à Genève et professeure de théologie à l’Université de Lausanne et à celle de Neuchâtel.
Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages touchant à la spiritualité, tels que Aimer sans dévorer (2010), Oser la bienveillance (2014), La Source que je cherche (2017), ou encore Faire face à la perversion (2019). RZ