Le réformateur Martin Luther
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Luther a-t-il été excommunié à juste titre?

500 ans après l’excommunication de Martin Luther par le pape Léon X, le débat demeure quant à savoir si cette mesure était justifiée en droit. Dans un livre qui vient de paraître, l’abbé Josef Otter a examiné la question dans la perspective du droit canonique. 

Quatre ans après les célébrations du début de la Réforme luthérienne, un autre anniversaire marque l’année 2021. Il y a 500 ans, Martin Luther était excommunié par le pape Léon X. En Allemagne des voix se sont élevées pour demander s’il ne serait pas préférable de la lever aujourd’hui. L’abbé Josef Otter, prêtre de l’archidiocèse de Vaduz, s’est penché sur la question dans la perspective du droit canonique. Il publie ses thèses dans un récent ouvrage. Die Tagespost, hebdomadaire catholique conservateur bavarois, en livre une assez large recension. Face aux querelles théologiques en cours en Allemagne, l’ouvrage se lit avec une actualité certaine.

«Le déclencheur de ‘l’affaire Luther’ fut l’attitude du moine augustin face à la doctrine des indulgences.»

Une longue opposition

Josef Otter retrace soigneusement l’histoire des événements qui ont conduit à l’excommunication du moine augustin. Au plan juridique, la première chose à retenir est que le droit canonique de l’époque, n’était pas encore réuni dans un code unique, mais était composé d’une multitude de sources, d’importance et d’époques différentes. Otter rappelle que Luther a prêté divers serments d’allégeance à l’Église lorsqu’il a reçu son doctorat en 1512, mais aussi qu’il est devenu rapidement la figure centrale de l’opposition à Wittenberg avec son rejet de la philosophie scolastique. Mais le véritable déclencheur de la «Causa Lutheri» (l’affaire Luther) et de tout ce qui en découle, fut l’attitude du moine augustin face à la doctrine des indulgences.

Contre les indulgences

Le célèbre voyage de Luther à Rome durant l’hiver 1511-1512 n’a pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, débouché sur un quelconque sentiment antipapal. Selon Otter, ce n’est qu’après s’être détourné de l’Église romaine que Luther aurait utilisé des rapports et impressions négatifs à Rome comme preuves de la nécessité de combattre la papauté.

Lorsqu’une campagne d’indulgences est lancée en 1517 pour soutenir la construction de la nouvelle église Saint-Pierre de Rome, Luther s’insurge et se mobilise. Fort de son autorité de professeur, il exige de l’archevêque-électeur de Mayence, Albrecht de Brandebourg, nommé commissaire général aux indulgences, qu’il retire l’instruction sur les indulgences. Faute de quoi, il se chargerait de réfuter publiquement toute la théologie des indulgences. Ce désir de Luther de disputer publiquement s’exprime à de multiples reprises et ne cadre pas avec les admonitions de l’Eglise de renoncer à ses positions, relève le chercheur.

Pourtant, la réaction ecclésiastique est restée modérée. Sur le conseil de la faculté de Mayence, l’archevêque Albrecht demande à Rome une procédure d’examen des 95 thèses de Luther sur la question des indulgences. La Curie traite l’affaire selon la méthode habituelle à Rome et demande les avis d’experts. Hormis un appel général à la rétractation, aucune mesure disciplinaire n’est imposée à Luther.

Martin Luther priant et bénéficiant de l’Esprit Saint avant de rencontrer l’envoyé du pape et les autorités du Saint-Empire à Worms en 1521. Document exposé à la Maison de Luther à Wittemberg (Saxe-Anhalt). (photo Bernard Litzler)

Querelles de moines?

Selon Josef Otter, il semble également que l’»affaire Luther» n’ait pas été prise très au sérieux au début, mais qu’elle ait été classée au rang des «rixae monachiales», des querelles de moines. En 1518, lorsque le moine se voit signifier une convocation à Rome accompagnée d’une évaluation de ses thèses, il se moque avec des mots vifs de ›la maigre théologie’ de Rome. L’Allemand, qui s’affirme comme le meilleur théologien, grâce au soutien de l’électeur Frédéric le Sage de Saxe, fait la contre-proposition d’une ›disputatio’ savante en Allemagne qui pourrait décider de ses thèses.

L’empereur Maximilien Ier intervient alors dans l’affaire et écrit une lettre de plainte au pape. Ce qui oblige désormais la Curie à prendre des mesures plus importantes. Le pape charge le cardinal Thomas Cajetan, un érudit, d’approfondir l’enquête, ce qui signifie que Luther était pris au sérieux en tant qu’interlocuteur.

” Luther ne se présenta jamais à Rome, pas même lorsque le pape se dit prêt à le recevoir personnellement en 1519»

En octobre 1518, se déroule la fameuse dispute d’Augsbourg entre Cajetan et l’augustinien, qui affirme à plusieurs reprises qu’il céderait si on pouvait lui montrer qu’il avait tort dans son approche.

En fin de compte, Luther et l’électeur Frédéric l’emportent. Luther ne se présenta jamais à Rome, pas même lorsque le pape se dit prêt à le recevoir personnellement en 1519.

La question de l’autorité magistérielle

Beaucoup plus que celle des indulgences, la question clé de la querelle, puis de l’excommunication de Luther, reste de savoir qui détient l’autorité magistérielle dans l’Eglise, explique Josef Otter. Au départ, le moine affirmait qu’il se soumettrait au pape si ce dernier décidait de la question des indulgences de manière magistérielle. Cependant, après la dispute d’Augsbourg qui n’a pas abouti, il commence à se radicaliser. Dans une déclaration publiée en décembre 1518, il affirme que «les décrets pontificaux déforment les Saintes Écritures et représentent une prétention à la fonction qui est incompatible avec le sacerdoce du Christ tel que prouvé dans les Écritures». Sur le décret «Unigenitus» réglementant les indulgences, il écrit simplement : «Reprobo» – je le rejette.

Léon X publie alors effectivement un nouveau décret sur les indulgences en novembre 1518, «Cum postquam», qui ne fait toutefois que réaffirmer la position antérieure de l’Église et menacer d’excommunication ceux qui s’opposeraient à la doctrine définie. Luther ne l’accepte pas. Il ne songe pas du tout à reculer, mais fait un pas de plus en affirmant »qu’il ne reconnaîtrait les décisions doctrinales du pape ou même d’un concile que si, à son avis, elles sont fondées sur l’Écriture Sainte, les Pères de l’Église ou la raison».

Seul son propre jugement compte

Pour Josef Otter, c’est là que se joue l’accusation d’hérésie qui conduira à son excommunication. Sa transformation en hérétique, selon la définition du droit canonique, est alors complète, car il subordonne désormais tout à son propre jugement.

Imprimé anti-catholique montrant le «triomphe de Luther» contre le pape Léon X et donc le succès de la Réforme protestante | © Bernard Litzler

Il faut cependant encore un certain temps pour que l’excommunication ne soit prononcée, le 3 janvier 1521, après plusieurs tentatives de médiation infructueuses. Selon le chercheur, l’Église a donné à Luther le temps dont il avait besoin pour se repentir. De son côté, Luther réagit de manière de plus en plus intempestive, accuse Rome de blasphèmes diaboliques, traite le pape d’Antéchrist et finit par l’»excommunier» en 1520.

Josef Otter, parvient à la conclusion claire que l’excommunication de Martin Luther était inévitable et conforme à la loi de l’époque. Pour lui, l’annulation de cet acte serait malhonnête aux yeux de l’histoire, car Luther a consciemment contribué à son exclusion et ne l’a pas regretté de son vivant.  (cath.ch/tp/mp)

Josef Otter : Die Exkommunikation Martin Luthers aus rechtshistorischer Perspektive. EOS Verlag, St. Ottilien, 2021, 176 pages, ISBN 9-783-8306-8061-1,

Le réformateur Martin Luther
15 septembre 2021 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
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