Luis José Rueda Aparicio, un cardinal mobilisé pour la paix en Colombie | capture d'écran
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Luis José Rueda Aparicio, un cardinal mobilisé pour la paix en Colombie

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Si le pape a souvent créé la surprise dans ses choix cardinalices, la promotion de l’archevêque de Bogotá était attendue : à travers ce prélat de 61 ans, le pape François honore un siège traditionnellement cardinalice et apporte son soutien au processus de paix dans lequel s’est engagé ce pays depuis plus d’une décennie, avec l’appui de l’épiscopat local et du Saint-Siège.

Luis José Rueda Aparicio, né en 1962 et ordonné prêtre en 1989 pour le diocèse de Socorro y San Gil en 1989, a été formé en théologie morale à l’Académie alphonsienne de Rome. Après plusieurs charges en paroisse et dans des institutions éducatives, notamment comme recteur d’un institut technique de développement rural, il a été nommé par Benoît XVI évêque de Montelibano en 2012, avant d’être promu par François comme archevêque de Popayán en 2018 puis de Bogotá en 2020. 

Le diocèse de Bogotá compte près de cinq millions d’habitants, servis par environ 1.000 prêtres (parmi lesquels 400 diocésains et 600 religieux) et il constitue le siège primatial de la Colombie. Installé dans cette charge dans le contexte difficile de la pandémie de Covid-19, Mgr Rueda Aparicio est également président de la Conférence épiscopale colombienne depuis 2021. 

Relativement à l’aise avec les médias, il incarne une ligne d’ouverture avec la société civile, en contraste avec deux cardinaux colombiens qui avaient incarné une doctrine très conservatrice et avaient été appelés au Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II : les cardinaux Alfonso López Trujillo (1935-2008) et Dario Castrillon Hoyos (1929-2018).

« Être cardinal, c’est être un point d’appui pour évangélisation, en accompagnant le successeur de Pierre, qui est en ce moment le pape latino-américain, le pape François », a expliqué l’archevêque de Bogotá dans un entretien à la chaine de télévision Canal 1. Il a expliqué qu’il apportera l’expérience de l’Église colombienne au sein du Sacré Collège afin d’encourager la « communion missionnaire » de toute l’Église. 

Soutien indéfectible au processus de paix

Les évêques colombiens sont particulièrement engagés dans les délicats processus de paix entre le gouvernement et les mouvements de guérilla qui ont fragmenté le pays depuis plus d’un demi-siècle. Depuis 2016, la conclusion d’un accord avec les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) n’a pas empêché la persistance d’autres guérillas, et l’émergence de dissidences propres aux Farc. Le 11e cardinal de l’histoire de la Colombie assure vivre ses contacts avec le monde politique dans une recherche de réconciliation, en cherchant des « voies de sortie négociées » face aux conflits qui continuent à marquer ce vaste pays, grand comme deux fois la France et peuplé de plus de 50 millions d’habitants. 

Malgré l’opposition de l’Église à certaines réformes sociétales du gouvernement de gauche mené par le président Gustavo Petro, les évêques le soutiennent sur le dossier des négociations de paix avec la dernière grande guérilla active dans le pays, l’ELN (Armée de libération nationale). « Les chemins de la réconciliation sont lents, ils avancent très lentement, ils sont tortueux : cependant, dans la situation que le pays est en train de vivre, nous, les évêques, nous avons opté pour accompagner en permanence les dialogues avec l’ELN », a-t-il assuré en 2023 dans un entretien au quotidien El Tiempo.

Le 25 septembre 2023, Mgr Rueda Aparicio préside à la cathédrale de Bogotá les obsèques de l’artiste Fernando Botero. Le plus célèbre sculpteur d’Amérique latine, fervent catholique, s’était engagé dans le soutien au processus de paix avec la guérilla des Farc conclu en 2016. Il avait alors élaboré une sculpture intitulée « colombe de paix », reprenant ses formes voluptueuses traditionnellement associées à la féminité : cette sculpture fut, conformément à sa volonté, exposée près de son cercueil lors de ses obsèques.

« Le fondement de la paix est l’Évangile », et l’Église cherche à en témoigner « en dialoguant avec tous les présidents et toutes les forces de la société au fil de l’histoire colombienne », a assuré Mgr Rueda Aparicio à la télévision colombienne. « Il est nécessaire de persévérer pour la paix », assure le cardinal, espérant jouer un rôle positif « auprès des croyants, comme des non-croyants: nous devons apprendre à respecter la vie de celui qui ne pense pas comme nous, et même rendre digne la vie de notre ennemi », a expliqué l’archevêque de Bogota.

Une société qui évolue rapidement

La sécularisation constitue également un défi majeur pour ce pays qui a connu des transformations radicales sur le plan bioéthique, avec les légalisations de l’euthanasie en 2015, du mariage homosexuel en 2016 ou encore de l’avortement et du suicide assisté en 2022. Ces réformes ont suscité l’opposition de l’Église mais elle continue à maintenir un dialogue institutionnel régulier avec l’État colombien. « Il y aura de nombreux aspects à corriger, mais il est est important que nous regardions vers le présent et le futur de la Colombie, en continuant à travailler pour la vie, la paix et le développement humain intégral », a sobrement déclaré Mgr Rueda Aparicio après la victoire électorale du candidat de gauche Gustavo Petro en 2022.

En 2023, l’archevêque de Bogotá a par ailleurs assuré de l’engagement de l’Église catholique dans la lutte contre les abus sexuels sur mineurs, rappelant qu’il constitue « un crime et un péché ». « Nous devons renouveler notre coeur comme membres de l’Église et comme pasteurs, pour nous mettre au service des enfants, des adolescents et des personnes vulnérables, d’une manière plus claire et responsable », a-t-il expliqué. La justice colombienne avait alors enregistré, depuis 2010, 42 plaintes à l’encontre de prêtres catholiques.

L’Église en Colombie « prend des risques pour la paix »

Mgr Luis José Rueda Aparicio, archevêque de Bogotá, en Colombie, deviendra à l’occasion du consistoire du 30 septembre 2023 le 11e cardinal de l’histoire de ce vaste pays d’Amérique latine, où l’Église s’est engagée dans le soutien au processus de paix entre le gouvernement et les mouvements de guérilla. Il confie à I.MEDIA son regard sur sa mission de membre du Sacré Collège.

Quel est, selon vous, le sens de votre cardinalat pour la Colombie?
Le choix du pape François n’est pas seulement lié à ma personne – même si c’est moi qui ai été choisi en tant qu’archevêque de Bogota, par miséricorde de Dieu -, mais c’est d’abord un regard porté sur l’Église en Colombie, comprise comme peuple de Dieu : les laïcs, les paysans, les indigènes, les Afros, les catéchistes, les proclamateurs de la Parole…
Je sens que l’appel à être cardinal est surtout un service au Peuple de Dieu et un service à la communion missionnaire de l’Église, avec le successeur de Pierre, le pape François. 

S’agit-il aussi d’un soutien pour le processus de paix en Colombie?
L’engagement pour la paix et la protection de la vie est en effet un engagement constant de l’Église en Colombie, avec tous les baptisés. Nous vivons dans cette pédagogie permanente, en prenant des risques pour la paix, dans différents contextes de dialogue et de confrontation, notamment avec un service humanitaire. 
Ce choix du pape m’enracine dans une spiritualité du service, dans cette option pour la paix, la réconciliation et la vie. Nous le faisons en tant que conférence épiscopale et comme Église, pour que chaque paroisse se convertisse en un lieu qui irradie de la paix et de l’espérance qui vient du Seigneur, avec sa Parole, avec l’eucharistie, avec l’amour de la Vierge Marie.

Quelles traces a laissé en Colombie la visite du pape François en 2017?
Cette visite apostolique du Saint-Père est arrivée à un moment très important, quand la Colombie était parvenue à un accord avec le groupe armé le plus ancien du pays, les Farc. Le pape nous a dit : «Colombie, ouvre ton cœur à Jésus, et laisse-toi réconcilier». Il est venu nous donner une impulsion dans ce travail pour la paix, mais aussi un engagement intégral d’évangélisation. 
La grande motivation, la raison d’être de l’Église, c’est l’évangélisation, mais pas une évangélisation dans les nuages : il faut une évangélisation avec les pieds sur terre. Le pape nous demande souvent d’être un hôpital de campagne, proche de celui qui est blessé. Ce blessé peut parfois être le prêtre ou l’évêque lui-même : il peut se blesser, mais se blesser en servant sa communauté. Le pape nous dit qu’il préfère une Église qui prend le risque d’être frappée et blessée plutôt qu’une Église qui s’enferme. Je crois que c’est très important. Suivre Jésus avec tout son cœur et en témoigner dans le service : c’est cela, être disciple-missionnaire !

Est-ce que le Synode aidera l’Église à suivre cette voie?
Le thème de la synodalité doit en effet nous aider à mieux situer l’Église comme peuple de Dieu. Habituellement, quand on parle de l’Église, on regarde d’abord notre clergyman! On pense aux évêques, aux prêtres, aux consacrés. Mais il faut regarder au-delà. Ce Synode doit nous aider à mettre en œuvre le Concile Vatican II, à suivre le processus d’aggiornamento voulu par Jean XXIII, en mobilisant l’ensemble du peuple de Dieu. (cath.ch/imedia/cv/mp)


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Luis José Rueda Aparicio, un cardinal mobilisé pour la paix en Colombie | capture d'écran
26 septembre 2023 | 15:35
par I.MEDIA

Le collège des cardinaux comptera dès le 30 septembre 2023 21 nouveaux membres dont «la provenance exprime l’universalité de l’Église qui continue à annoncer l’amour miséricordieux de Dieu à tous les hommes de la Terre», a annoncé le pape François lors de l’angélus du 9 juillet. L'agence I.MEDIA un portrait de chacun de ces hommes en rouge:

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