Nigeria Les religieux chrétiens sont visés par les extrémistes musulmans de Boko Haram, mais également par des bande criminelles armées |  © Mike Blyth/wikipediacommons/CC)
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Lucerne: Face aux atrocités de Boko Haram, Obiora F. Ike lance: «Je ne suis pas Charlie»

Nigeria Le Père Obiora Francis Ike (Photo: Jacques Berset) Nigeria Le Père Obiora Francis Ike à l’église des jésuites à Lucerne (Photo: Jacques Berset)

Lucerne, 19 janvier 2015 (Apic) «Sur le terrain, au Nigeria, les fanatiques de Boko Haram nous font payer le prix fort! J’ose affirmer: ‘Je ne suis pas Charlie!’», confie à l’Apic Mgr Obiora Francis Ike. Le prélat nigérian pense, à l’instar du pape François, qu’on ne peut insulter la foi des autres. «Si pour moi la liberté d’opinion et de conscience sont un bien inestimable, je considère cependant que la liberté de presse a ses limites: il faut chercher le dialogue, pas la provocation».

Le vicaire général du diocèse d’Enugu, un des 36 Etats de la République fédérale du Nigeria, au sud-est du pays, ne mâche pas ses mots: à l’heure de la globalisation, d’internet et des médias sociaux, l’impact d’une caricature peut être dévastateur.

«Dans nos pays africains, la satire qui provoque les musulmans met les chrétiens en grave danger! Aujourd’hui, des déclarations et des caricatures produites en Europe ou aux Etats-Unis peuvent avoir des conséquences immédiates à l’autre bout du monde… Des personnes massacrées, des commerces pillés, des églises brûlées, comme cela vient de se passer au Niger».

Lui-même sait de quoi il parle: en novembre 2012, des terroristes ont totalement saccagé l’église de Saint-Léon-Le-Grand, à Enugu, dont il est curé. Il a même été menacé de mort dans sa chapelle par des hommes armés payés pour le tuer.

L’impact d’une caricature peut être dévastateur

«Une caricature du prophète Mahomet parue il y a une dizaine d’années dans un obscur journal danois a coûté la vie au Nigeria à quelque 2’000 personnes, essentiellement des chrétiens et des immigrants. En 2002, l’élection de Miss Monde, prévue au Nigeria, a provoqué la mort de 200 personnes à Kaduna, dans le Nord musulman. Les manifestants protestaient contre la vue de femmes dénudées. Dans le monde actuel, les images circulent immédiatement et partout sur la planète, dans des sociétés où les niveaux de développement sont très divers. Elles atterrissent ainsi dans des civilisations qui ne partagent pas forcément les valeurs occidentales…»

En Europe comme en Amérique du Nord, on est arrivé à un tel degré de tolérance que cela confine à l’indifférentisme, déplore-t-il.

La perte des valeurs en Occident fait le lit du fanatisme

«Chez vous, lance-t-il dans un allemand parfait qu’il a acquis durant ses années d’étude en Autriche et en Allemagne, on accepte n’importe quoi, jusqu’aux choses les plus immorales. Et même si cela ne leur plaît pas, ils estiment que cela ne les concerne pas…» La conséquence, assène-t-il, c’est une société qui perd ses valeurs, qui oublie son passé chrétien. Le relativisme qui prévaut en Occident laisse la voie libre au fanatisme, qui peut ainsi occuper le terrain. Finalement, le terrorisme profite de ce vide des valeurs. «Le seul moyen de combattre ces développements néfastes est de retrouver ses racines et de montrer la couleur!»

Evoquant les atrocités commises début janvier par Boko Haram contre la population de la ville de Baga, située sur la rive du lac Tchad, aux frontières du Niger et du Tchad, le Père Obiora F. Ike déplore que N’Djamena et Niamey aient retiré leurs troupes juste avant l’attaque de cette place commerçante.

La caserne de Baga était le site de l’état-major de la MNJTF (Multinational Joint Task Force), qui regroupe le Tchad, le Niger et le Nigeria. «Ces Etats avaient pourtant signé un accord à Paris pour lutter ensemble contre le terrorisme…»

Le prélat nigérian déplore le peu d’efficacité de l’armée nigériane, qui mobilise pourtant plusieurs centaines de milliers de soldats. «Elle ne fait pas assez pour combattre Boko Haram, d’autant plus que ce mouvement dispose d’informateurs infiltrés au sein des forces armées et de la police. Boko Haram a des sympathisants dans les rangs mêmes du gouvernement. L’Etat de Borno est à 70% ‘bokoharamisé’, ceux de Yobe et d’Adamawa, à 20%. Ailleurs, comme dans les Etats de Kano, de Niger, de Gombe, etc., il y a des attaques sporadiques. Si ces cinq dernières années, Boko Haram a fait sauter ou incendié plus de 800 églises, il n’hésite pas à s’en prendre à des mosquées. Des attentats ont visé la grande mosquée de Kano, faisant plus de 120 morts, tandis que des leaders musulmans qui ne lui sont pas favorables ont été assassinés».


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Les chrétiens, des cibles favorites pour Boko Haram

Les chrétiens sont des cibles favorites pour les terroristes emmenés par leur leader Abubakar Shekau. «Si le Nigeria compte au moins trois millions de réfugiés chassés par les exactions de Boko Haram, près de 60% sont des Igbos, mon groupe ethnique, «assure Obiora F. Ike. «Ils sont originaires du Biafra et se sont installés dans les régions du nord à l’occasion de la guerre qui a ravagé leur région à la fin des années 1960. Marchants, entrepreneurs ou chefs religieux – protestants ou catholiques – ils sont là depuis deux générations et y ont construit de nombreuses églises. Ils sont dans le collimateur des terroristes, qui profitent de la situation: sur les 36 Etats fédérés, 12 ont déjà instauré la charia, la loi islamique, sur leur territoire, et cela va à l’encontre de la Constitution. On peut ainsi couper la main des voleurs et lapider les femmes adultères».

L’actuel gouvernement du président Goodluck Jonathan «fait ce qu’il peut, mais la situation au Nigeria est très difficile. Il y a certes des leaders musulmans modérés qui plaident pour une coexistence pacifiques entre musulmans et chrétiens, mais ce n’est de loin pas la majorité. La plupart des chefs musulmans regardent ailleurs!» JB

Nigeria Les religieux chrétiens sont visés par les extrémistes musulmans de Boko Haram, mais également par des bande criminelles armées | © Mike Blyth/wikipediacommons/CC)
19 janvier 2015 | 14:04
par Jacques Berset
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AED (95), Boko Haram (83), Nigeria (235), Obiora Francis Ike (2)
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Prêtre catholique et défenseur des droits de l’homme

Le Père Obiora Francis Ike est né en 1956 à Gusau, au nord-ouest du Nigeria, où avaient émigré ses parents. Il fait partie de l’ethnie des Igbos (que l’on écrit souvent Ibos), groupe majoritairement chrétien et très influent dans le sud-est du Nigeria. Ses parents ont dû quitter la région majoritairement musulmane suite à la guerre du Biafra.

A 22 ans, Obiora F. Ike obtient le «bachelor» en philosophie après avoir suivi ses études au Bigard Memorial Seminary d’Enugu et sur le Campus d’Iko Ekpene. Il étudie ensuite quelques années en Allemagne (Bonn) et en Autriche (Innsbruck). C’est en 1981 qu’il est ordonné prêtre par l’évêque de Feldkirch, dans le Vorarlberg. Il obtient un doctorat en théologie et en philosophie à l’Université rhénane Friedrich-Wilhelms, à Bonn, avant de passer son habilitation en 1986 en éthique sociale, histoire et études africaines. Il rentre la même année au pays, où il fonde l’Institut catholique pour le développement, la justice et la paix (CIDJAP) à Enugu, capitale et principale ville de l’Etat d’Enugu, au sud-est du Nigeria.

Le Père Obiora F. Ike a grandi tout naturellement en tant que militant pour l’égalité raciale, la paix et la justice. Il a fondé une bonne vingtaine d’ONG travaillant dans le domaine des relations entre chrétiens et musulmans, de l’œcuménisme, de l’éducation, des droits de l’homme, de la justice, de la paix et du développement. Auteur de nombreuses publications, le professeur Ike a déjà reçu plusieurs prix et distinctions à l’étranger pour son travail et son engagement.

De passage à Lucerne, à l’invitation de l’Aide à l’Eglise en Détresse

Le prélat nigérian, fondateur de l’Institut catholique pour le développement, la justice et la paix (CIDJAP) à Enugu, était de passage à Lucerne, dimanche 18 janvier 2015, à l’invitation de l’oeuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) pour la traditionnelle messe en l’église des jésuites à Lucerne. Chaque année en janvier, l’AED fait mémoire des martyrs de la foi, victimes des persécutions religieuses dans le monde, et commémore à cette occasion la figure de son fondateur, le Père Werenfried van Straaten. Ce religieux prémontré d’origine hollandaise, décédé en janvier en 2003 à l’âge de 90 ans, était mondialement connu sous le nom de «Père au lard». Dans l’après-guerre, il passait dans les fermes de Flandre pour récolter de la nourriture afin de venir en aide aux chrétiens persécutés en Europe de l’Est. L’AED soutient divers projets au Nigeria, notamment la formation des prêtres et des laïcs et apporte une aide financière aux congrégations religieuses. (apic/be)