Lourdes: «Donner aux malades la première place»
Malades, brancardiers, aumônier, médecin ou directrice de chœur, les acteurs du pèlerinage interdiocésain de Suisse romande à Lourdes y vivent une expérience forte. Pour tous, au delà de la souffrance et de la maladie, le cœur de Lourdes c’est l’amour. Rencontre avec sept de ces acteurs.
2’200 pèlerins de Suisse romande étaient à Lourdes du 14 au 20 mai 2017 pour le pèlerinage annuel de printemps. Beaucoup sont des fidèles qui y reviennent chaque année pour puiser force et courage devant la grotte de Massabielle.
Liliane Horner, malade
Agricultrice fribourgeoise de 63 ans, Liliane Horner est atteinte de sclérose en plaque depuis l’âge de 35 ans, après la naissance de son quatrième enfant.
Est-ce la maladie qui vous amenée à Lourdes?
Oui, c’est la 23e fois que je participe au pèlerinage comme malade. J’ai pu le réaliser mon premier voyage, grâce à mes frères et sœurs. Ils m’avaient offert un bon pour mon anniversaire, afin d’aller me ressourcer à l’endroit de mon choix.
Comment s’est passé ce premier pèlerinage?
Sortant d’une opération, j’ai fait tout le pèlerinage sur un brancard. C’était dur et j’ai beaucoup pleuré. Mais j’ai reçu beaucoup de force, moralement et physiquement, pour avancer chaque jour. Le prédicateur disait: «Chers malades, quel que soit le poids de votre croix, acceptez-la et portez-la chaque jour.» Et c’est vrai. Si on n’accepte pas sa maladie, elle devient encore plus lourde.
Qu’est-ce qui pousse à revenir à Lourdes?
Comme ce n’est pas évident tous les jours, je puise ma force en venant chaque année au pèlerinage. C’est un endroit miraculeux. Même si Marie ne m’a pas guérie, elle m’a donné la force de porter ma maladie. Et quand je suis bien dans ma tête, mon corps suit mieux. Je prie aussi pour que les autres guérissent.
Michel Choffat, brancardier
Instituteur fraîchement retraité, cet Ajoulot a dirigé plusieurs établissements pour personnes handicapées dans le Jura.
Qu’est-ce qui vous attire à Lourdes?
Venir à Lourdes est une démarche de foi. Je crois avoir eu beaucoup de chance dans ma vie. Être ici comme brancardier, c’est redonner ce que la vie m’a apporté. Je suis l’ainé d’une famille de onze enfants, nous avons donc appris ce qu’est le partage.
Qu’est-ce que Lourdes pour vous?
Un état d’esprit, une démarche d’ouverture sur un monde très particulier. Car il est difficile de transposer ce qui se passe ici dans la société. Cette priorité absolue donnée aux plus faibles me prend aux tripes. On tend vers un idéal, vers lequel je ne crois pas que nos sociétés soient prêtes à aller.
Quel est l’événement qui vous a le plus marqué?
Les moments les plus forts, je les vis avec les malades eux-mêmes. Ils vous partagent le récit de leur vie. Une maman me disait: «ici, ce sont mes seules vacances, car au home, cela fait dix ans que je n’ai pas eu une seule visite». A la fin, on a réussit à procurer du bonheur à des gens simples.
Philippe Mercier, médecin
Né à Vevey il y a 65 ans, ce généraliste exerce en cabinet à Bulle depuis 30 ans. Marié et père de quatre enfants adultes, il sera le médecin-chef dès le prochain pèlerinage.
Comment êtes-vous devenu médecin pour le pèlerinage?
Je connaissais Francis Rime, le médecin-chef du pèlerinage. Je lui ai bêtement demandé si je pouvais me joindre à lui. A l’époque, il y a 14 ans, il lui fallait faire 30 à 50 appels pour trouver un médecin. Vous pensez bien qu’il a sauté sur l’occasion pour m’embaucher illico.
L’approche médicale est-elle la même que dans votre quotidien?
La relation aux patients est totalement différente par rapport au cabinet ou à la vie hospitalière. Il n’y a plus ce rapport de force entre le patient, qui est demandeur, et son médecin. Ici, c’est le malade qui apporte quelque chose. La vapeur est renversée. C’est le patient qui vous porte.
Qu’est-ce que Lourdes pour vous?
Nous avons tous à guérir. Et Lourdes est endroit idéal pour guérir, principalement sur le plan psychologique. Je ne suis rendu compte ici que l’aide qu’on apporte en tant que médecin passe d’abord par une leçon d’humilité. Quand je vois toutes ces personnes abimées par la maladie et qui, après une semaine, sont heureuses et me remercient alors que je n’ai médicalement pas fait grand-chose pour elles, je me dis que ce serait à nous médecins de les remercier. Le mot qui émane de tout ça, c’est l’amour.
Anne-Françoise Andenmatten-Sierro, directrice du chœur
Animatrice d’éducation musicale dans les écoles de Sion, cette spécialiste de la pose de voix a repris la direction de chœur du pèlerinage en 2011.
En quoi consiste votre tâche de directrice?
Après avoir préparé les programmes des célébrations avec la commission de liturgie, organisé les répétitions, le travail du chef de chœur est de les conduire en créant une unité entre des chanteurs venus d’horizons très divers pour que la fusion des voix, l’expression, la diction, l’intériorisation des textes permettent un chant expressif et priant.
Comment vivez-vous le pèlerinage côté musique?
A Lourdes, nous chantons presque durant 30 heures. C’est énorme et cela demande beaucoup d’énergie. Mais je reçois beaucoup de force de Marie, du contact avec mes chanteurs et de la reconnaissance des malades et des pèlerins.
Quel est votre rapport à Marie?
Je me sens proche de Marie et j’ai confiance en elle. Arrivée à Lourdes, je lui dis toujours: «Que les cérémonies chez toi soient belles!» et je lui demande de porter le chœur durant le pèlerinage. Je vis ensuite cette confiance avec mes chanteurs. Elle nous permet de nous porter mutuellement à travers l’exécution des chants. Venir à Lourdes est aussi devenu un besoin personnel. Ce lieu d’apparition à une personne toute simple résonne particulièrement pour la fille de la montagne que je suis.
Jacques Le Moual, aumônier
D’abord contrôleur de gestion dans entreprise parisienne de manutention, ce Breton a été ordonné prêtre à 37 ans. Licencié en droit canonique, Jacques Le Moual, ancien curé de Charmey, exerce aujourd’hui des mandats d’»avocat du diable», dit-il, pour l’officialité du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF).
Comment avez-vous découvert Lourdes?
J’y venais déjà avec mes parents, quand j’étais minot. Puis comme étudiant chez les jésuites, j’accompagnais mon supérieur de l’époque au pèlerinage des gitans. Comme prêtre, enfin, j’y suis d’abord venu comme responsable d’hôtel, avant d’être engagé comme aumônier pour le diocèse de LGF. J’ai fait en tout 36 voyages à Lourdes, dont 13 comme aumônier.
Quel est votre quotidien d’aumônier de pèlerinage?
Je suis 24 heures sur 24 avec les malades. Je vis leur quotidien. C’est un service d’Eglise intense auprès des malades et un dépouillement complet. Pour l’aumônier, c’est important d’être au milieu d’eux. La première année, j’étais à l’hôtel, et je devais courir à tout moment. Maintenant que j’ai ma chambre à l’Accueil des malades, ma disponibilité n’a plus de limites.
Que peut-on apprendre des malades?
Que malgré la maladie, ils sont remplis d’amour, tendresse et d’humanité. A Lourdes, on ne les entend jamais se plaindre. Pour moi, ils sont un véritable ressourcement.
Suzanne Schuwey, hospitalière
Infirmière dans les soins à domicile pendant 32 ans, cette Gruyèrienne s’occupe aujourd’hui de ses parents et de ses petits-enfants. Elle avait la responsabilité d’une unité de malades durant le pèlerinage.
Comment définissez-vous votre fonction d’hospitalière?
C’est vraiment un «job de malade»! Ici je suis à 100%. A la maison, j’ai besoin de mes 7-8 heures de sommeil. Pendant le pèlerinage, je dors 4 à 5 heures par nuit et je tiens le coup. Je crois qu’on reçoit une énergie du lieu.
Comment décrivez-vous cette énergie?
A la grotte ou dans la basilique, entourée de 25’000 personnes, vous sentez cette énergie. C’est comme dans la vie: quand il vous arrive des coups durs, vous recevez l’énergie pour faire face. J’ai toujours été d’un tempérament positif. Alors quand tout va bien, pourquoi ne pas donner aux autres? Surtout qu’en donnant un peu, on reçoit tellement en retour.
Qu’est-ce que Lourdes pour vous?
Lourdes, c’est une aide de la Sainte Vierge pour tous les jours. Nous recevons des grâces, forcément. Un moment riche d’échange et une ambiance extraordinaire; soit avec les malades, soit avec les collègues hospitalières. Enfin, c’est une semaine où je peux me replonger dans les soins et renouer avec mon métier.
Mgr Rémy Berchier, directeur du pèlerinage
Vicaire épiscopal pour le canton de Fribourg jusqu’en 2017, ce fils d’agriculteur proche de la spiritualité de Charles de Foucauld dirige le pèlerinage romand depuis 2001.
Qu’est-ce qui vous attire à Lourdes?
Comme beaucoup, j’ai attrapé le virus de Lourdes. Je suis attiré par cette dévotion mariale qui va «à Jésus par Marie», comme c’est écrit dans l’arc du chœur de la basilique du Rosaire. Bien que la prière à la Vierge soit importante, le but en soi ce n’est pas Marie, mais Marie qui nous amène à son fils.
Cette année, vous sentez-vous particulièrement proche des malades?
Le fait de venir avec deux béquilles me rapproche énormément des malades. Quand je passe dans les rues de Lourdes en chaise roulante électrique, je découvre un rapport différent. Je suis assis, les autres sont debout. Je prends d’autant plus conscience de l’importance de se mettre à la portée des malades, aussi dans notre attitude.
Quelles doivent être les qualités d’un directeur de pèlerinage?
On peut mettre un certain nombre de choses au goût du jour, comme l’arrivée des cars de malades cette année, par exemple. Mais l’essentiel est d’aimer les malades, leur donner la première place dans ce pèlerinage. De tout faire pour le confort du pèlerin, notamment dans le choix des hôtels. Construire le pèlerinage avec un rythme pas trop chargé et offrir de belles liturgies. Enfin il faut être doté d’une patience énorme, au même titre que l’équipe d’organisateurs qui m’entourent, car la période de préparation peut être parfois infernale. (cath.ch/gr)