Lorsque des congrégations religieuses dérivent
Légionnaires du Christ, Frères et Soeurs de Saint-Jean, Béatitudes, Focolari… Nombre d’Instituts religieux ont été frappés au cours des dernières années par des scandales d’abus spirituels, sexuels ou financiers. Comment le Vatican agit-il dans ces cas-là? Éclairage de Carine Dequenne, canoniste de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée.
Visiteur apostolique, assistant, commissaire, délégué… quand Rome intervient auprès d’un institut religieux, quelles sont les procédures et qui sont les acteurs impliqués? Qu’ils soient de droit diocésain ou de droit pontifical, les Instituts religieux ont une autonomie de vie et de gouvernement. Ils sont dotés de leurs propres structures et leurs propres fonctionnements. Mais parfois, une intervention extérieure est nécessaire pour «motifs graves», précise Carine Dequenne, canoniste de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, interrogée par I.MEDIA.
Signaux d’alerte
L’enquête démarre lorsque le dicastère, qui a compétence sur les 1’500 instituts de droit pontifical existant de par le monde, reçoit des signaux d’alerte. Ceux-ci peuvent venir de membres qui se plaignent à l’autorité compétente, ou encore de personnes extérieures dénonçant des manquements à l’encontre de la vie communautaire, ou de la gestion du patrimoine, ou des normes du droit canonique…
La première étape est alors, pour la Congrégation vaticane, de se renseigner auprès de l’évêque local ou du supérieur. S’il faut davantage d’informations, on procède à une «visite apostolique», une mesure «extraordinaire» à différencier d’une visite «canonique» – prévue par le Droit canon comme un événement de la vie normale d’une congrégation.
Les «visiteurs» envoyés par le Saint-Siège sont la plupart du temps des religieux ou des prêtres « reconnus pour leur expérience, leur bon sens, leur bienveillance», explique Carine Dequenne. Il s’agit souvent de deux personnes, un homme et une femme, «pour la complémentarité des regards». Ces visiteurs vont sur place, auditionnent tous les membres de l’institut ainsi que des personnes extérieures (d’anciens membres, des parents, etc). Ils rédigent ensuite un rapport confidentiel destiné au dicastère, décrivant la situation, donnant leur analyse et formulant des suggestions.
Assistant ou commissaire
À partir de ce rapport, deux mesures sont possibles: si le gouvernement en place est prêt à collaborer, le dicastère nomme un «assistant apostolique». Ce dernier assiste aux décisions mais n’a pas de pouvoir décisionnel. Il est tenu de rendre compte des faits à Rome. Tel est le cas depuis septembre 2021 pour les dominicaines du Saint-Esprit, en France.
Ou bien, deuxième cas de figure, l’exercice du gouvernement de l’institut est temporairement suspendu et la Congrégation pour la vie consacrée nomme un «commissaire», qui aura tous les pouvoirs normalement attribués aux supérieurs. Comme cela est arrivé par exemple pour la communauté des Béatitudes. Le but étant d’assainir la situation jusqu’à ce que l’ordre puisse reprendre son autonomie.
Dans un institut de droit diocésain, c’est l’évêque local qui peut prendre ces mesures, ou se tourner vers le dicastère. Si le pape lui-même s’empare du dossier, comme cela arrive, il nomme un «délégué pontifical», qui se référera au chef de l’Église catholique sans passer par le dicastère. Benoît XVI avait ainsi brièvement pris en main le dossier de la communauté de Saint-Jean.
Plusieurs dicastères concernés
Ces mesures demandent parfois une collaboration entre diverses entités de la Curie romaine, dont les compétences sont concernées dans telle ou telle affaire. Quoiqu’il en soit, toutes ces décisions prises en haut-lieu sont actées dans des décrets – succincts – qui ne font pas l’objet de publication mais ne sont pas non plus sous le sceau du secret. (cath.ch/imedia/ak/mp)