Londres: Enquête sur les «crimes d’honneur» en Turquie
Enfants poussés à exécuter mère ou soeur «coupable»
Traduction: Valérie Bory, Apic
Londres, 29 août 2006 (Apic) Des représentants des Nations Unies se penchent sur la pratique des crimes d’honneur en Turquie. Les femmes en sont les victimes et leurs propres enfants sont poussés par la famille à exécuter même leur propre mère, comme un exemple récent le montre: après avoir témoigné à la télévision à Istanbul, une mère de famille est assassinée par son fils adolescent au retour.
Le «devoir» de «réparer l’honneur familial» est souvent délégué à un mineur, car on sait qu’il bénéficiera de la sentence minimum en raison de son âge. Les femmes sont les principales victimes de cette pratique, qui met la Turquie en contradiction avec le désir de son gouvernement de rejoindre les valeurs et les standards occidentaux, pour pouvoir adhérer à l’Union Européenne, comme l’explique BBCnews.
Malgré la récente réforme du code pénal turc, les crimes d’honneur ont continué, la plupart du temps dans l’Est du pays, où les vieilles traditions perdurent.
Une interview télévisée fatale
Un cas récent est celui de Birgul Isik, assassinée par son propre fils de 14 ans, Ramazan, apparemment pour laver l’honneur de la famille. «Crime» de la jeune femme? Avoir participé à un débat télévisé à Istanbul où elle avait dénoncé son mariage forcé.
La jeune femme avait déjà fui un mari violent et bigame plusieurs fois auparavant. Ses plaintes étant ignorées des autorités et sa famille la bannissant, elle avait fini par participer à l’émission télévisée turque Voix de femmes. Mais en Turquie, la violence domestique est un fait que peu de femmes osent mettre sur le tapis en dehors de la famille. De retour dans son village après des heures de voyage en car, revenant des studios de TV d’Istanbul, la mère de famille, accompagnée de 4 de ses enfants, était attendue par le fils adolescent à l’arrêt de bus pour lui tirer 5 balles de revolver. La femme est morte 3 semaines après à l’hôpital.
Le fils de 14 ans a été placé dans un centre de détention pour mineurs et les 4 autres enfants de Birgul à l’orphelinat. Le mari a été mis en procès pour incitation au meurtre et a été finalement acquitté.
Dans ces cas, explique Anne-Birgitte Albrectsen, du Fonds des Nations-Unies pour la population, (UNFPA), qui a mené une étude approfondie sur le crime d’honneur en Turquie, un Conseil de famille est réuni. Si la décision de sentence mortelle est prise, l’exécution de la sentence est déléguée à un fils ou cousin mineur, de ce fait, ne risquant pas de croupir en prison pour le meurtre.
Sous le crime d’honneur, on vise le comportement et la sexualité des femmes
Dans la ville d’Elazig, où Birgul a trouvé la mort, comme dans beaucoup d’autres villes pauvres de l’Est de la Turquie, la population est restée inféodée à ces coutumes, explique BBCnews, mais à Ankara ou Istanbul, malgré l’apparence des moeurs occidentales, les valeurs comme «l’honneur de la famille» restent très fortes.
La représentante du Fonds de la population de l’ONU retient des nombreuses interviews menées, que les hommes se réfèrent à l’honneur pour fustiger le comportement et la sexualité des femmes.
L’enquête montre aussi que bien que les imams ne soient pas censés prôner les crimes d’honneur, le code moral très strict qu’ils défendent laisse penser à la population que l’Islam cautionne ces pratiques.
La pression sociale est très forte: Les familles qui ne pratiquent pas le code d’honneur se trouvent, ainsi que toute la parenté, en butte à l’ostracisme de leur communauté et doivent déménager.
Les crimes d’honneur existent dans beaucoup d’autres pays comme le Pakistan, l’Aghanistan, l’Inde, relève BBCnews, mais la Turquie a donné le droit de vote, le droit à l’éducation et au travail aux femmes dans les années 1930.
Système juridique biaisé en défaveur des femmes
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la Violence contre les femmes, Yakin Erturk, affirme que le système juridique turc est biaisé en ce qui concerne les femmes. «Une femme qui a été violée n’est pas considérée comme une personne pleine et entière, car le violeur est puni différemment selon que la femme est vierge, mariée, célibataire.». «La loi a changé mais dans quelle mesure ceux qui l’appliquent ont-ils changé?», demande-t-il.
De plus, tandis que la nouvelle loi punit pénalement les coutumes comme les crimes rituels, par exemple les assassinats intertribaux, elle ne fait aucune référence au crime d’honneur contre les femmes.
Quant aux politiciens, ils n’osent en général pas s’engager, explique Yakin Erturk, et plutôt que de déclarer que les crimes d’honneur sont illégaux ou anti islamiques, ils se bornent à dire aux villageois que les crimes d’honneur peuvent déchirer les familles, mettre les hommes en prison et les enfants à la rue», déplore le rapporteur des Nations Unies. (apic/bbcnews/vb)