Le pape François a donné, comme à son habitude, une conférence de presse dans l'avion qui le ramenait de Hongrie | photo d'illustration © Luc Verkuringen/Flickr/CC BY-ND 2.0
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L'intégralité de la conférence de presse du pape de retour de Hongrie

Guerre en Ukraine, restitution des pièces de musées datant de la période coloniale, santé, JMJ de Lisbonne… Durant une vingtaine de minutes, le pape François a répondu aux questions des journalistes qui l’accompagnaient pour son 41e voyage international qui l’a emmené en Hongrie du 28 au 30 avril 2023. Retrouvez une traduction intégrale des paroles du pape durant cette conférence de presse.

[nb: le texte ci-dessous n’est pas une traduction officielle mais un document de travail]

Pape François: Bonsoir et merci beaucoup pour votre travail, votre compagnie. Cela a été trois jours intenses, mais bons. Maintenant, vous avez la parole.

Anta Hubai, journaliste de la télévision hongroise: Nous savons que vous avez eu diverses expériences personnelles avec des Hongrois au cours de votre vie. Votre vision de nous a-t-elle changé après cette rencontre vécue en Hongrie, si oui, comment?

Pape François: Oui c’est vrai, j’ai eu des expériences dans les années 1960, quand j’étudiais au Chili. Beaucoup de jésuites hongrois ont dû y aller parce qu’ils avaient été chassés de la Hongrie. Puis, je suis resté très ami avec des religieuses hongroises qui avaient une école à 20 km de Buenos Aires. Je la visitais deux fois par mois. Je faisais un peu l’aumônier extraordinaire. Puis aussi, avec la société hongroise, les laïcs hongrois de Buenos Aires, qui travaillaient dans la communauté hongroise, je les connaissais assez bien.

Je ne comprenais pas l’idiome. Mais j’ai bien compris deux mots: goulasch et Tokay [il s’agit d’un plat et d’un alcool hongrois, ndlr]! C’était une vraie expérience. Et j’ai été frappé par leur douleur d’être réfugiés, de ne pas pouvoir rentrer à la maison. Et les religieuses de cette congrégation qui sont restées là-bas restaient cachées dans des appartements parce que le régime ne les acceptait pas. Puis j’en ai appris davantage sur toute l’affaire pour convaincre le bon cardinal Mindszenty de venir à Rome. Puis j’ai suivi l’enthousiasme bref de 1956, puis la déception après. C’est plus ou moins ça.

Anta Hubai: Est-ce que votre perception des Hongrois a changé?

Pape François: Non, elle n’a pas changé, peut-être s’est-elle enrichie. Elle s’est enrichie dans le sens où ils ont une grande culture. Une grande culture, même chez ceux qui ne sont pas d’un haut niveau social. Les simples avaient une culture générale très élevée. Ils parlaient généralement allemand, ou anglais parce que le hongrois ne se parle pas en dehors de la Hongrie, sinon au Paradis où on le parle parce qu’on dit qu’il faut une éternité pour l’apprendre. Cela n’a pas changé, au contraire, j’ai vu le style que je connaissais alors.

Eliana Ruggiero (AGI): Saint Père, vous avez lancé un appel à rouvrir les portes de notre égoïsme envers les pauvres, les migrants, envers celui qui n’est pas en règle. Dans votre rencontre avec le Premier ministre hongrois Orbán, lui avez-vous demandé de rouvrir les frontières de la route balkanique qu’il a fermées? Puis, ces jours-ci, vous avez rencontré le métropolite Hilarion. Hilarion [l’ancien ›ministre des Affaires étrangères’ du Patriarcat de Moscou, ndlr] et Orbán [le Premier ministre hongrois, ndlr] peuvent-ils être des canaux d’ouverture vers Moscou pour accélérer un processus de paix vers l’Ukraine ou rendre possible une rencontre entre vous et le président Poutine?

Pape François: Je crois que la paix se fait toujours en ouvrant des canaux. On ne peut jamais faire la paix en les fermant. J’invite tout le monde à ouvrir des rapports, des canaux d’amitié. Ce n’est pas facile. C’est un discours de ce genre que j’ai tenu avec Orbán et que je tiens avec tous. Sur la migration, je crois que c’est un problème que l’Europe devrait prendre en main. Parce qu’il y a cinq pays qui souffrent le plus: Chypre, la Grèce, Malte, l’Italie, l’Espagne, parce que ce sont des pays méditerranéens. La plupart arrivent là. Si l’Europe ne prend pas en charge cela, une répartition équitable des migrants, le problème pèsera sur ces pays surtout. Je crois que l’Europe doit faire sentir que l’Union européenne s’en préoccupe.

L’autre problème, qui est lié à la migration, est celui de l’indice de natalité. Il y a des pays comme l’Italie ou l’Espagne où il n’y a plus d’enfants. L’an passé j’en ai parlé lors d’une rencontre des familles.

Dernièrement, j’ai aussi vu que le gouvernement italien et d’autres gouvernements en parlent. La moyenne d’âge de l’Italie est de 46 ans, et en Espagne c’est encore plus haut. Il y a de petits villages déserts… Un programme migratoire, mais qui aille bien de l’avant, avec le modèle que quelques pays ont eu avec la migration – je pense par exemple à la Suède à l’époque du temps des dictatures latino-américaines – peut aider ces pays qui ont un niveau de naissance bas.

Eliana Ruggiero (AGI): À propos de Hilarion?

Pape François: Hilarion est une personne que je respecte beaucoup. Nous avons toujours eu un bon rapport. Et lui a eu la courtoisie de venir me trouver. Puis il a été à la messe. Et je l’ai vu aussi là, à l’aéroport. Hilarion est une personne intelligente avec qui on peut parler. Et il est nécessaire de maintenir ce rapport. On parle d’œcuménisme. Cela me plaît. Nous devons garder la main tendue avec tout le monde. Et aussi recevoir leur main tendue, non?

Avec le patriarche Cyrille [chef de l’Eglise orthodoxe russe, ndlr], j’ai parlé une seule fois depuis le moment où a débuté la guerre, 40 minutes. Ensuite, à travers Antoine, qui est à la place d’Hilarion maintenant, qui est venu me rencontrer. C’est un évêque qui a été curé à Rome, qui a bien connu la mentalité. Et à travers lui, il y a un bon contact avec Cyrille. La rencontre que nous devions avoir à Jérusalem en juillet ou juin dernier a été suspendue en raison de la guerre, mais cela devra se faire.

Ensuite, avec les Russes, j’ai un bon rapport avec l’ambassadeur, qui va partir maintenant. Il est ambassadeur depuis sept ans au Vatican. C’est un grand homme, un homme «comme il faut» [en français dans le texte, ndlr], une personne sérieuse, cultivée, il est très équilibré. Les rapports avec les Russes, c’est principalement avec cet ambassadeur.

(relance sur la position de Viktor Orbán dans le processus de paix en Ukraine)

Vous imaginez bien que dans nos rencontres, nous n’avons pas seulement parlé des betteraves rouges: nous avons parlé de ces choses, la route de la paix intéresse tout le monde. Je suis disposé à faire tout ce qu’il faut faire. Actuellement il y a une mission, mais qui n’est pas publique. Je le dirai quand ce sera public.

Aura Maria Vistas Miguel, Rádio Renascença: La prochaine étape sera Lisbonne. Comment va votre santé? Nous avons été pris par surprise quand vous êtes allé à l’hôpital, quand on a dit que vous vous étiez évanoui. Donc cette énergie de trouver des milliers de jeunes en août à Lisbonne… Et est-ce que vous aimeriez, lors des JMJ, inviter un jeune Ukrainien et un jeune Russe comme signe de paix pour les nouvelles générations?

Pape François: Avant tout, la santé: ce que j’ai eu, cela été un fort malaise à la fin de l’audience du mercredi, je ne me suis pas senti capable de prendre le déjeuner, je me suis allongé un peu. Mais j’avais une forte fièvre, et à 15h le médecin m’a amené à l’hôpital, pour une pneumonie aiguë et forte: la partie basse du poumon. Grâce à Dieu, je peux le raconter! L’organisme, le corps a bien répondu au traitement, grâce à Dieu. C’est ce que j’ai eu.

Ensuite, Lisbonne: avant de partir, j’ai eu la visite d’un médecin qui est venu voir comment vont les choses. J’irai, oui, j’espère réussir à y aller. Vous voyez que ce n’est pas comme il y a deux ans. Avec la canne, ça va mieux, maintenant. Pour le moment le voyage n’est pas annulé. Ensuite, il y a le voyage à Marseille. Ensuite il y a le voyage à… où ça ? (Matteo Bruni lui souffle): la Mongolie. Ensuite il y en a un dernier, je ne me souviens pas. Le programme me fait bouger.

Aura Maria Vistas Miguel, Rádio Renascença: Et concernant les jeunes Russes et Ukrainiens?

Pape François: J’ai vu l’évêque responsable des JMJ, quelque chose est en train de se préparer. C’est bien organisé.

Nicole Winfield, Associated Press: Saint-Père, je voudrais vous demander une chose un peu différente. Récemment, vous avez fait un geste œcuménique très fort. Vous avez donné à la Grèce trois fragments des sculptures au Parthénon qui étaient aux Musées du Vatican. Ce geste a eu un impact bien au-delà du monde orthodoxe, car de nombreux musées de l’Occident sont en train de discuter de la restitution des objets acquis durant la période coloniale, comme un acte de justice vis-à-vis de ces personnes. Je voudrais vous demander si vous êtes disposé à d’autres gestes de restitutions? Je pense notamment aux groupes autochtones du Canada qui ont fait des demandes pour le retour des objets de la collection vaticane, comme une partie du processus de réparation pour les dommages subis pendant la période coloniale.

Pape François: Cela, c’est d’abord le septième Commandement: si tu as volé, tu dois restituer! Mais il y a toute une histoire. Parfois, les guerres, les colonisations amènent à prendre ces décisions, à prendre les bonnes choses qui appartiennent à l’autre. Le Parthénon, cela a été un geste juste, cela devait se faire. Mais si les Égyptiens demandent l’obélisque, que ferons-nous? Il faut faire un discernement pour chaque situation.

Ensuite, concernant la restitution des objets autochtones, elle est en cours avec le Canada. Nous étions d’accord pour le faire. Je demanderai comment ça se passe, mais l’expérience a été très fructueuse avec les autochtones du Canada. Les jésuites des États-Unis sont aussi en train de faire quelque chose avec les autochtones de leur pays. Le Supérieur général me l’a raconté l’autre jour.

Les restitutions, dans la mesure du possible, quand l’on peut restituer, il vaut mieux faire ce geste. Parfois, on ne peut pas, il n’y a pas de possibilité politique, réelle, concrète. Mais dans la mesure où l’on peut le faire, il faut le faire. Cela fait du bien à tous, pour ne pas s’habituer à mettre la main dans la poche des autres.

Eva Fernandez, COPE: Saint-Père, une demande très brève: le Premier ministre ukrainien a demandé votre aide pour ramener les enfants emmenés de force en Russie. Pensez-vous que vous pourrez l’aider?

Pape François: Je pense que oui, car le Saint-Siège a fait l’intermédiaire dans certaines situations d’échanges de prisonniers, à travers les ambassades. Cela s’est bien passé, je pense que pour cela aussi, cela peut bien se passer. C’est important, c’est une chose juste, et le Saint-Siège est disposé à aider. Nous devons aider, pour que cela ne soit pas un casus belli, mais une question d’humanité, et non pas une problématique de guerre ou un déplacement de la guerre. Tous les gestes humains aident. Par contre, les gestes de cruauté n’aident pas. Nous devons faire tout ce qui est possible sur le plan humain.

Moi je pense aussi, je veux le dire, aux femmes qui viennent dans nos pays, en Italie, en Espagne, en Pologne, en Hongrie… De nombreuses femmes viennent avec les enfants et les maris sont soit morts, soit en train de se battre dans la guerre. C’est vrai, avec l’enthousiasme, elles sont aidées en ce moment. Mais il ne faut pas perdre l’enthousiasme, car quand l’enthousiasme retombe, ces femmes se retrouvent sans protection, avec le risque de tomber dans les mains des vautours qui rôdent autour. Soyons attentifs à ne pas perdre cet élan d’aide que nous avons pour les réfugiés. Nous devons tous le faire. Merci. (cath.ch/imedia/cv/rz)

Le pape François a donné, comme à son habitude, une conférence de presse dans l'avion qui le ramenait de Hongrie | photo d'illustration © Luc Verkuringen/Flickr/CC BY-ND 2.0
1 mai 2023 | 11:06
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 8  min.
Canada (205), Hongrie (56), JMJ de Lisbonne (68), Santé (165), Ukraine (665), Voyages du pape (545)
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