Le cardinal Czerny à la rencontrontre de réfugiés syriens au Liban, 21 février 2025 | © Vatican media
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Liban: la visite de Mgr Czerny montre la complexité de la question des réfugiés

Lors de sa visite au Liban, du 19 au 23 février 2025, le cardinal Czerny, envoyé du pape, s’est rendu à la rencontre de réfugiés syriens du camp de Kfardlakos, à Tripoli. Un choix qui reflète à la fois le poids complexe du dossier ›réfugiés’ dans le pays et l’attention porté sans relâche par François aux exilés.

Sur les quelque sept millions d’habitants que compte le Liban, trois et demi sont des réfugiés: près de deux millions de Syriens, 400’000 Palestiniens résidant dans 12 camps de réfugiés répartis sur tout le territoire libanais, mais aussi des Africains et des Asiatiques qui travaillent comme ouvriers.

La relation entre les Libanais et les réfugiés accueillis sur leur sol est complexe, faite d’une grande générosité et d’une hospitalité indubitable, mais aussi de rejets liés aux crises de l’histoire.

Le traumatisme «palestinien»

En 1948, alors que le Liban commence à se construire comme une nation à part entière, le mandat français venant de prendre fin, des réfugiés Palestiniens arrivent en nombre dans le pays. Chassés de leurs terres suite à la création de l’État d’Israël, ils sont majoritairement musulmans sunnites et ils doivent, pour la plupart, se résoudre à vivre dans des camps au Liban. Leur intégration à la société libanaise est en effet perçue par la population du pays comme un facteur potentiel de déséquilibrage du système des communautés.

La situation s’envenime à la fin des années 1960, avec l’arrivée dans les camps de Palestiniens membres de l’Organisation de libération de la Palestine. Désireux d’émancipation, ils entrent en conflit avec Israël à partir du sud Liban. Ces actions militaires vont diviser la société libanaise et un enchaînement d’événements mènera finalement le pays à la guerre civile de 1976-1990.

Les Syriens, de «tuteurs» à réfugiés

L’histoire du Liban comme pays refuge connaît un autre épisode crucial à partir de 2011. Ce tout petit pays devient une des principales terre d’asile pour les réfugiés syriens qui fuient, à leur tour, une guerre civile dévastatrice. Le souvenir des années (1990-2005) de tutelle ou occupation syrienne – selon comment elles ont été vécues – est encore bien présent. Les Libanais accueillent pourtant leurs voisins sans restriction. Près de 2 millions de Syriens ont ainsi trouvé refuge sur le sol Libanais.

La guerre en Syrie a causé d’immenses destructions et chassé des millions de personnes de leur foyer | © Caritas Suisse

Mais la série d’événements qui conduit le pays au bord du gouffre économico-politique envenime les relations déjà tendues entre réfugiés et Libanais: récession sans fin depuis 2019, explosion du port de Beyrouth qui a détruit une bonne partie de la capitale, impasse politique qui n’a pris fin que le 9 janvier 2025 avec l’élection à la présidence du pays du général Joseph Aoun, agression israélienne conduisant au déplacement forcé de la population du sud. Les Libanais, qui vivent eux-mêmes dans des conditions extrêmement précaires, ils ont parfois le sentiment que les réfugiés, qui bénéficient de l’aide internationale, sont mieux lotis qu’eux. Ce que la réalité ne traduit pas toujours…

L’étape «périphérie existentielle» du cardinal Czerny

Le programme de la visite effectuée au Liban par le cardinal Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral et envoyé du pape François, démontre l’importance du dossier «réfugiés» au Liban. Le cardinal a consacré ses premières journées à une série de rencontres institutionnelles: discours à l’Assemblée des patriarches et évêques catholiques du Liban (APECL), visite au cardinal Béchara Boutros Raï, patriarche des maronites, à Bkerké, dialogue avec les jeunes de la Leadership Academy for Peace, une initiative soutenue par son dicastère qui vise à promouvoir la formation politique de jeunes catholiques à travers les principes et les valeurs de la doctrine sociale de l’Église.

Mais le jésuite canadien a aussi rendu visite aux réfugiés syriens du village de Kfardlakos, au Nord-Liban, un des cinquante camps disséminés dans le pays où œuvre Caritas. Il a décrit cette étape dans son programme de «périphérie existentielle», reprenant les mots du pape François.

Le cardinal, d’ailleurs, est venu dire aux réfugiés la proximité de cœur et de pensées du pontife: «Le pape pleure avec vous, il vous aime. Il est heureux que je sois ici parmi vous, nous pleurons votre souffrance. (…) Nous sommes venus pour vous rencontrer et vous écouter, et nous partageons votre espoir de rentrer chez vous, en Syrie», a-t-il ajouté.

Des conditions extrêmes

Au bord de l’autoroute, au milieu de tentes et des cabanes en pierre sur occupées, près de 120 réfugiés attendent le préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral. Ils lui témoignent des conditions difficiles et insalubres de leur vie: manque d’eau et de nourriture, froid, enfants non scolarisés qui travaillent dans les champs ou vendent des paquets de mouchoirs dans la rue. «Nous avons faim, il n’y a rien», répète le shawish, le chef du groupe, rapporte Vativan News. «Le ramadan commence bientôt, nous aimerions vivre ce mois comme il se doit.» «Les enfants ont très froid, ils sont malades», explique une autre femme. «L’autre jour, mon fils a vu au téléphone», certainement en regardant une vidéo, «un enfant manger de la viande. Il s’est mis en colère…»

«Je suis sans voix devant une vie vécue dans l’extrême.»: Mgr Czerny en visite au Liban dans un camp de réfugiés | © Vatican media

«Je suis sans voix devant une vie vécue dans l’extrême, a déclaré pour sa part le cardinal. Les conditions de vie sont impossibles, les gens luttent pour survivre.»

Toujours mieux ici qu’en Syrie

Un espoir habite aujourd’hui tant les Libanais que les Syriens: que la situation sécuritaire s’améliore en Syrie, pour permettre aux réfugiés de rentrer chez eux et soulager en même temps le Liban du poids économique qu’ils représentent. Interrogé à ce propos par Vatican News le 20 février 2025, le cardinal Béchara Boutros Raï, patriarche des maronites, a rappelé que son pays n’a jamais fermé ses frontières. Il a toutefois déclaré: «S’il n’y a pas de reconstruction de la Syrie, les réfugiés seront forcés de rester au Liban, ce qui représente un lourd fardeau économique, national, politique et commercial pour le pays.»

La situation politique en Syrie étant loin d’être normalisée, de nombreux réfugiés syriens craignent le retour au pays. Ils savent aussi que pour beaucoup d’entre eux, seuls des ruines les attendent. «Ils veulent rentrer chez eux mais ils savent que c’est difficile en Syrie. En fait, il n’y a plus de maison là-bas», explique le cardinal. Au ‘rien’ qui les attends, certains préfèrent encore la vie dans les camps au Liban, comme cette femme rencontrée par le cardinal à Kfardlakos et qui lui lance: «Là-bas, nous n’avons même pas une couverture, ici au moins il y a un toit». (cath.ch/arch/vn/lb)

Le cardinal Czerny à la rencontrontre de réfugiés syriens au Liban, 21 février 2025 | © Vatican media
23 février 2025 | 11:56
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 5  min.
Liban (252), Michael Czerny (29), Palestiniens (23), Réfugiés (435), Syrie (452)
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