Liban: «Charlie Hebdo» absent des kiosques libanais, en Turquie Cumhuriyet fait exception

Beyrouth, 15 janvier 2015 (Apic) Alors que le nouveau numéro de «Charlie Hebdo» est absent des kiosques libanais, seul le quotidien d’opposition turc «Cumhuriyet (»La République» en turc) a osé reproduire dans son édition du 15 janvier des caricatures du journal satirique français, dont celle représentant Mahomet.

Au Liban, le pays en principe le plus «libéral» en matière de presse au Moyen-Orient, aucun média n’a publié, en gros plan du moins, la une de l’édition du jour de «Charlie Hebdo». Le magazine lui-même n’est pas disponible au Liban, relève le quotidien francophone «L’Orient-Le Jour».

Pour son premier numéro depuis l’attaque meurtrière perpétrée mercredi dernier contre la rédaction, le magazine satirique a publié en une caricature du prophète, sur fond vert, couleur de l’islam. Mahomet, la larme à l’œil, porte un panneau sur lequel est écrit «Je suis Charlie», son visage étant surmonté du message «Tout est pardonné». Si un organe de presse libanais avait publié cette une, cela «n’aurait pas échappé» à la censure, affirme une source haut placée au sein du bureau de la censure de la Sûreté générale (SG). «Toute atteinte à la religion et à sa dignité est censurée», affirme-t-elle à L’Orient-Le Jour.

La Sûreté générale dispose d’un bureau de la censure

Dans le décret-loi n° 2’873, promulgué le 16 décembre 1959 et notamment son article 9 relatif à la direction de surveillance des imprimés, il est indiqué que la censure agit notamment sur base du respect des sentiments et des sensibilités des citoyens, et pour éviter d’attiser les dissensions racistes et religieuses. Des mesures d’application ont été adoptées pour organiser la censure et apporter des éclaircissements aux principes mentionnés dans les lois en vigueur, notamment en ce qui concerne ce qui nuit aux religions et appelle à l’adoration de Satan.

Si un organe de presse libanais avait décidé de publier la une de Charlie Hebdo sur laquelle figure une caricature du prophète, «l’organe en question aurait immédiatement été déféré devant le tribunal des imprimés afin d’analyser le dossier». La source au sein du bureau de la censure de la Sûreté générale souligne que des sanctions pouvant aller jusqu’à la «fermeture» de l’organe peuvent être envisagées. «La décision finale revient au ministre de l’Intérieur».

Ayman Mehanna, directeur de l’ONG SKeyes pour la liberté de la presse, relève que tout est question d’interprétation. «La loi sur les imprimés interdit la publication de ce qui incite à la discorde confessionnelle et porte atteinte à la religion ou au culte. Le code pénal interdit également tout ce qui porte atteinte à l’entité divine, explique-t-il. A partir de là, tout est ouvert à interprétation».

«Des peines de trois à six ans de prison»

Pierre el-Khoury, professeur et avocat spécialisé en droit des médias et des nouvelles technologies, rappelle lui que la liberté d’expression et de la presse est inscrite dans la Constitution libanaise (Art. 13 «La liberté d’exprimer sa pensée par la parole ou par la plume, la liberté de la presse, la liberté de réunions et la liberté d’association sont garanties dans les limites fixées par la loi»).

En matière juridique, les organes de presse écrite tombent sous le coup de la loi sur les imprimés, qui date du 14 septembre 1962, à laquelle sont venus s’ajouter certains textes de lois, dont le décret-loi 104 du 30 juin 1977 sur les imprimés qui énumère les «interdictions de publier». Dans l’affaire des caricatures, en cas de publication d’un dessin représentant le prophète, certains pourraient invoquer une atteinte aux bonnes mœurs, une diffamation, une atteinte à l’ordre public, précise Pierre el-Khoury.

Il est écrit dans la loi libanaise que les marchands de journaux n’ont pas le droit de proposer un contenu contraire aux bonnes mœurs ou portant atteinte au sentiment national ou religieux ou à l’union nationale. L’article 473 du code pénal libanais réprime le blasphème public du nom de Dieu, et l’article 474 qui punit l’outrage public à l’un des cultes célébrés en public ou l’incitation au mépris de ces derniers.

Un artiste accusé d’insulter les valeurs religieuses en utilisant un verset du Coran dans une chanson

Ces articles ont été invoqués à plusieurs reprises dans le cadre de plaintes contre le virtuose libanais du oud, Marcel Khalifé. Ce dernier a été poursuivi en 1996, 1999 et 2003, pour sa chanson «Je suis Joseph, Oh Père», écrite par le poète palestinien Mahmoud Darwiche, rappelle M. el-Khoury. M. Khalifé était accusé d’insulter les valeurs religieuses en incluant deux lignes de versets d’un chapitre du Coran. Le procureur reprochait à l’artiste d’»insulter les valeurs religieuses en utilisant un verset du Saint Coran sur Joseph dans une chanson». Le chanteur et compositeur risquait entre six mois à trois ans de prison pour insulte publique de la religion (article 474 du Code pénal libanais) et un mois à un an de prison pour blasphème (article 473 du Code pénal). Finalement, l’artiste avait été déclaré innocent.

La société Messageries du Moyen-Orient de la Presse et du Livre (MMO), qui importe notamment des titres de la presse étrangère, n’a pas le titre dans ses commandes. Les MMO n’ont d’ailleurs jamais importé de «Charlie Hebdo» à destination du marché libanais. (apic/orj/be)

 

16 janvier 2015 | 00:01
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 3  min.
Censure (8), Charlie Hebdo (46), Cumhuriyet (1), Liban (243), Turquie (114)
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