L’évolution de l’Eglise vue par un octogénaire
Jean Ducrest, 87 ans, a livré son témoignage sur l’Eglise lors du dernier Dimanche des laïcs. Regard optimiste sur l’institution et sur les relations œcuméniques, vues par cet ancien employé des PTT, qui l’a mené de Rossens (FR), d’où il est originaire, à Epalinges (VD).
Quel est votre parcours en Eglise?
Je suis né sous le pontificat de Pie XI et sous la férule épiscopale de Mgr Marius Besson. A ce jour, j’ai donc connu huit papes et seulement six évêques, ce qui prouve que ces derniers ont une vie plus relaxe que les premiers…
J’ai toujours été un catholique pratiquant, très souvent critique… Ce qui a fait dire à un de mes amis, l’abbé Jules Bulliard, qu’au Moyen Age, je serais certainement passé sur le bûcher, comme lui d’ailleurs. Par contre, j’ai toujours été des plus intéressés par la vie de notre Eglise.
Et comment la voyez-vous évoluer?
Je peux témoigner de son évolution positive au cours des décennies. Cela prouve qu’elle n’est pas figée sur le passé, mais qu’elle évolue, pour certains avec trop de prudence, mais – il faut le reconnaître – avec pas mal de sagesse.
L’Eglise doit être ante et retro oculata, comme l’a dit un éminent théologien actif au concile Vatican II, le Père Yves Congar. Ça veut dire une Eglise qui regarde simultanément en avant, vers l’avenir, et en arrière pour garder ce qui est immuable. Si l’on observe attentivement son évolution, les raisons d’espérer dépassent largement nos critiques parfois justifiées.
Quels sont les signes de cette évolution?
En premier lieu la papauté. Je suis de la génération qui a connu Pie XII. Et j’ai suivi avec passion l’évolution de l’Eglise depuis les années 1950.
En 1955, lors d’un voyage à Rome, j’avais assisté, à la basilique Saint-Pierre, à l’entrée triomphale de Pie XII, coiffé de la tiare et assis sur la «sedia gestatoria» portée par de nobles romains. Il était entouré par un fourmillement, incompréhensible de nos jours, d’éventails de plumes d’autruches et de paons, de Gardes suisses avec hallebardes, de gendarmes pontificaux en képi et de bipèdes costumés et galonnés. Une décennie plus tard, Paul VI envoyait promptement la tiare et la sedia au musée.
J’ai aussi en mémoire le concile Vatican II. Il a marqué un changement profond et décisif dans la vie liturgique de l’Eglise. Il y a eu, peut-être, une certaine impréparation dans le passage du plain chant ou grégorien, dans sa mystérieuse beauté, à des cantiques dotés d’une musique trop souvent sans grande émotion.
Et sur le plan des relations avec les autres Eglises?
Le 16 octobre 1967, j’ai eu la chance d’être invité à Rome par Mgr Salzmann, un ami valaisan, qui travaillait au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, dirigé à l’époque par le cardinal Béa, un des grands artisans des progrès réalisés dans l’œcuménisme. Il m’avait convié pour assister à la visite de l’archevêque de Constantinople, le patriarche œcuménique Athénagoras Ier au pape Paul VI.
C’était la première rencontre entre les primats de Rome et de Constantinople depuis le concile de Florence en 1439. Je me souviens encore avec émotion de ce moment extraordinaire. Avec simplicité, main dans la main, le frêle pape Paul VI, en soutane blanche, et l’imposant patriarche Athénagoras, en soutane noire, ont parcouru sous les applaudissements l’allée centrale de la basilique St-Pierre. Au cours de la cérémonie qui suivit les deux personnalités siégeaient sur des fauteuils similaires.
Cette cérémonie fut l’initiatrice des bonnes relations qui existent depuis lors entre catholiques et orthodoxes. Cette douloureuse division est qualifiée de schisme de 1054 par les historiens, ou bien «grand schisme d’Orient» par les catholiques et «schisme de Rome» par les orthodoxes. A en perdre son latin…
Cela vous réjouit?
Oui, car il y a eu une très grande évolution au sein de l’Eglise depuis les années 1960 au sujet de l’œcuménisme. Il y a eu un progrès gigantesque dans nos relations avec nos frères protestants sur ce lent chemin vers l’unité des chrétiens. «La division des chrétiens est une grande souffrance, contraire à la volonté du Seigneur. Il faut vaincre cette injustifiable division» disait, il y a quelques jours, le cardinal suisse Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens. Quel immense progrès et quel changement incroyable en un demi-siècle de vie de notre Eglise.
Avez-vous des souvenirs concernant les relations avec les protestants…
En 1940, pendant la guerre, un paysan de mon village catholique de Rossens, propriétaire d’une ferme à la périphérie, avait engagé un domestique vaudois, donc protestant. L’instituteur ou le curé de la paroisse, je ne sais plus, nous avait mis en garde de ne pas trop nous approcher de cette ferme de peur de perdre notre âme.
La curiosité fut plus forte que les recommandations… Nous nous sommes aventurés jusqu’aux abords de la ferme pour voir comment était constitué un protestant. Nous avons été surpris qu’il n’eût pas un œil sur le front, comme les cyclopes, ni une tête avec des cornes à l’image des guerriers Waldstätten, mais qu’il était simplement un de nos semblables, un homme sympathique d’ailleurs, qui est resté longtemps au service de ce paysan.
Avec le recul de ces années, quel sentiment vous habite au sujet des Eglises?
Quel heureux changement. On ne peut que se réjouir du progrès réalisé au cours de ces dernières décennies dans nos relations intercommunautaires. Finalement, j’aime profondément notre Eglise et je me pose la question suivante: quelle est l’attitude de chaque chrétien face à son Eglise? Il est impératif et c’est notre mission, que tous puissent agir, par la prière et par l’exemple, pour soutenir l’Eglise afin qu’elle puisse prospérer et répondre aux problèmes des chrétiens de notre temps. (cath.ch/bl)