Série d’été: Rencontre avec les catholiques indiens

Les Syro-malabares: chrétiens par la foi, Indiens par la culture

Berne, 21 juin 2011 (Apic) Lorsqu’on parle d’Inde, les premières images sont celles de l’hindouisme avec ses brahmanes, ses sâdhus vêtus d’orange, ses vaches sacrées, ses parfums d’encens et de fleurs de lotus. On ignore que ce pays abrite des communautés chrétiennes très anciennes. Les Syro-malabares, qui se réclament de l’apôtre Thomas, sont l’une d’entre elles. On ignore encore plus qu’ils forment la majorité des quelque 15’000 personnes d’origine indienne vivant en Suisse. Rencontre pour la messe du dimanche à Berne-Bümpliz.

Après avoir enfilé son aube, le Père Thomas Plappallil embrasse la croix brodée sur l’étole qu’il va revêtir pour célébrer la messe. «C’est la croix de saint Thomas, le symbole principal de l’Eglise syro-malabare. Elle montre que nous sommes chrétiens par la foi, Indiens par la culture et orientaux dans notre liturgie», explique-t-il. La croix figure aussi sur les manchons ornés de bandes rouges qu’il passe autour de ses poignets. Quant à sa chape, elle est décorée de symboles eucharistiques sur fond rouge : l’hostie, la coupe, le raisin, la lampe à huile et des guirlandes de fleurs.

Dans la chapelle de la crypte de l’église saint Antoine de Berne-Bümpliz, la quarantaine de fidèles présents ont entonné depuis quelques instants le chant d’entrée en malayalam, la langue du Kerala, au sud de l’Inde. La petite communauté syro-malabare catholique, une trentaine de familles dans la région bernoise, s’est réunie comme une fois par mois pour célébrer la messe dans son rite et dans sa langue. Le prêtre précédé de quatre servants de messe, dont une jeune fille, entre dans la chapelle baignée d’une lumière dorée filtrée par la verrière aux tons jaunes.

Une messe peu «exotique»

Les gens sont venus en famille avec les bébés, les enfants et les jeunes. Pour ce dimanche ordinaire, la liturgie est sobre, chantée sans instruments de musique, et ne semble, hormis la langue, pas très «exotique» pour un catholique de rite latin. Accueil, liturgie de la parole, homélie, prière universelle, présentation des dons, prière eucharistique, Notre Père et communion, les diverses parties sont repérables aux gestes du prêtre, et à trois mots hébreux quasiment universels dans l’Eglise catholique : amen, alléluia, hosanna.

Les fidèles participent à l’action liturgique par les chants et les nombreux répons entonnés par un lecteur qui remplace le diacre. Le débit est rapide, le ton plutôt monocorde, pour une oreille occidentale, mais le rythme et la ferveur communautaire entraînent à la prière. Comme les plus jeunes ne savent pas tous lire l’alphabet malayalam, les textes ont été transcrits en alphabet latin dans une petite brochure, mais sans traduction.

Ce n’est pas la messe dite «indienne» célébrée assis par terre avec châle orangé, encens, fleurs de lotus, et décor hindouisant. Les Syro-malabares n’apprécient pas cette forme moderne d’inculturation, pour eux trop influencée par l’hindouisme. Ils se réclament d’une tradition liturgique antique remontant au IVe siècle, ce qui fait peut-être qu’elle est relativement proche de la liturgie romaine rénovée après le Concile Vatican II. D’autres y voient davantage l’influence latine depuis le rattachement des Syro-malabares à Rome au XVIe siècle.

Le caractère oriental se révèle dans quelques gestes comme la manière pour le prêtre de croiser ses bras sur la poitrine, les nombreuses bénédictions, ou le geste de paix : mains jointes devant le visage avec une inclinaison de la tête. Une concession est faite à l’intégration en Suisse, le Notre Père est récité en allemand.

La croix de «Mar Thomas»

La croix de «Mar Thomas» placée sur l’autel est le précieux symbole de l’identité syro-malabare. Cette croix, dont l’origine remonte au VIIe siècle, est plantée sur trois degrés qui rappellent le Golgotha, lieu de la mort de Jésus, et symbolisent l’appartenance à l’Eglise. Au dessus sont figurés des feuillages ou des fleurs, que l’on retrouve dans les autres religions de l’Inde, images de la création et du paradis. Elles expriment l’enracinement dans la culture indienne. Les bras de la croix elle-même s’épanouissent en fleurs ou en fruits qui indiquent la nouvelle création dans la résurrection du Christ. Enfin la croix est surmontée d’une colombe, symbole de l’Esprit-Saint. Sur cette croix, à l’inverse des crucifix occidentaux, ne figure pas le corps du Christ. Elle est avant tout symbole de la résurrection, note le père Thomas.

La messe syro-malabare insiste sur le caractère pascal, raison pour laquelle le rite, contrairement au latin, ne connaît pas de couleurs liturgiques variant selon les périodes de l’année. «Nous avons évidemment l’avent, Noël, le carême, ou le temps pascal, mais nous célébrons toujours avec des vêtements blanc et dorés, symboles de la résurrection.»

Comme dans les autres confessions chrétiennes, l’Eglise est celle des vivants et des morts. A l’issue de la messe, on chante et on récite encore d’assez longues prières pour les défunts. Histoire aussi de rappeler combien on reste attaché à la terre de ses ancêtres. La célébration se prolongera encore par une petite rencontre communautaire dans le foyer, autour de beignets indiens, de cake aux amandes et de café au lait «à la bernoise». (apic/mp)

ENCADRE

L’Eglise syro-malabare fondée par l’apôtre Thomas

Selon la tradition, l’Eglise syro-malabare aurait été fondée entre 50 et 70 par l’apôtre Thomas, venu par mer d’Alexandrie en Egypte. La chose n’est pas prouvée, mais si les apôtres Pierre et Paul ont voyagé en Asie mineure et jusqu’à Rome, il reste plausible que l’apôtre Thomas ait abordé les côtes indiennes. La tombe supposée de l’apôtre à Mylapore, près de Chennai, est un important lieu de pèlerinage.

Cette Eglise fut placée assez tôt sur la juridiction de l’Eglise de Perse dont elle adopta le rite syriaque oriental, et de qui elle recevait ses évêques. Bien que liée à l’Eglise d’Orient, elle ne l’a pas suivi dans son rejet du concile d’Ephèse de 431, restant fidèle à Rome. Elle fut latinisée à partir de 1552 par les Portugais, passant sous la juridiction de l’archevêque latin de Goa en 1599. Ce rattachement ne se fit cependant pas sans résistance puisque qu’une partie de l’Eglise la refusa et se plaça sous la juridiction de l’Eglise syriaque orthodoxe. Une division qui perdure aujourd’hui.

En 1919, l’Eglise syro-malabare retrouva son rite araméen oriental, puis Rome rétablit sa hiérarchie propre en 1923. Le pape Jean Paul II l’a élevée en 1992 au rang d’Eglise archiépiscopale majeure dont le siège a été fixé à Ernakulam (Cochin). L’Eglise syro-malabare catholique regroupe environ quatre millions de fidèles dans le monde répartis en 29 éparchies (diocèses) au Kerala, mais aussi dans d’autres Etats indiens et un aux Etats-Unis. Ce dernier, l’éparchie Saint-Thomas de Chicago, est le seul diocèse établi hors de l’Inde : érigé en 2001, il rassemble une importante communauté sur le territoire américain et canadien.

En mai 2011, pour la première fois, l’Eglise syro-malabare a désigné elle-même son archevêque en la personne de Mgr George Alencherry. Cet événement est d’une portée historique importante. C’est en effet par un synode rassemblant ses divers responsables que l’Eglise syro-malabare, rompant avec des siècles de nomination des évêques par Rome, a élu son dirigeant. Une élection qui a été officiellement confirmée le 26 mai 2011 par le pape Benoit XVI. (apic/mp)

ENCADRE 2

L’Eglise catholique en Inde

En Inde coexistent les trois Eglises catholiques de rites latin, syro-malabare et syro-malankar. La première se conforme à la liturgie romaine introduite en Inde par les missionnaires à partir du XVe siècle, les deux autres se réclamant de la tradition de l’Eglise syriaque et faisant remonter leurs origines à l’apôtre Thomas. L’Eglise syro-malabare appartient au rite chaldéen et l’Eglise syro-malankar au rite antiochien. Sur les 170 diocèses catholiques en l’Inde, on compte 134 diocèses de rite latin, 8 diocèses syro-malankars et 28 diocèses syro-malabares. (apic/mp)

ENCADRE 3

Les Syro-malabares en Suisse

Sur les quelque 15’000 personnes d’origine indienne vivant en Suisse, environ 7’000 sont chrétiens, la plupart syro-malabares, indique le Père Thomas Plappallil. Les communautés les plus nombreuses se trouvent à Zurich avec quatre lieux de culte et à Bâle avec deux centres. Des célébrations ont lieu régulièrement à Berne, Aarau, Olten, Fribourg, Bellinzone et Schaffhouse. Une dizaine de prêtres célèbrent selon le rite syro-malabare. Mais faute de moyens, les Syro-malabares de Suisse ne sont pas constitués en mission linguistique financée dans le cadre de la Conférence des évêque suisses, explique le directeur de Migratio, Marco Schmid. «L’idéal serait de financer un poste d’aumônier pour la Suisse, mais actuellement nous ne pouvons leur offrir que quelques soutiens ponctuels pour leur pastorale.» (apic/mp)

Des photos de ce reportage peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch. Prix de publication 80.– francs la première, 60.– francs les suivantes.

21 juin 2011 | 09:31
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
Berne (152), Inde (266), Kerala (16), Syro-malabare (25)
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