Les «Reichsbürger» sont «un mouvement messianique»
Un vaste coup de filet de la police allemande contre le réseau d’extrême droite des «Reichsbürger» (citoyens du Reich), le 7 décembre 2022, a révélé des projets d’attentats, voire de coup d’Etat. Le philosophe des religions Ansgar Martins décrypte la dimension religieuse qui agite ce type de mouvements.
Les forces de l’ordre allemandes ont mené une large série de raids dans 16 Länder pour démanteler le réseau des «Reichsbürger». Ses membres sont soupçonnés d’avoir planifié des attentats, notamment contre le Parlement. Parmi les personnes arrêtées, une juge, ancienne députée au Bundestag et ancienne membre du parti d’extrême droite AfD, ainsi que plusieurs anciens soldats et policiers. Ils sont accusés d’avoir tenté de porter au pouvoir par la force Heinrich XIII, un descendant d’une famille royale de Thuringe.
Le service de protection de la Constitution allemande estime qu’environ 23’000 personnes pourraient graviter en 2022 dans cette sphère «putschiste-complotiste», soit une augmentation d’environ 9,5% par rapport à l’année précédente. Une hausse attribuée en premier lieu aux activités de protestations contre les mesures d’endiguement de la pandémie de Covid-19, qui ont popularisé le discours complotiste.
QAnon et propagande russe
Dans ce mouvement, que l’on pourrait penser uniquement politique, la dimension religieuse tient une place importante. C’est ce que relève le philosophe des religions Ansgar Martins, dans une interview au journal allemand Die Welt du 12 décembre 2022. Pour celui qui mène des recherches sur l’ésotérisme d’extrême droite, le mouvement des «Reichsbürger» se fonde sur «le modèle de base de l’idéologie apocalyptique religieuse, selon laquelle la catastrophe est imminente et ne fait qu’un avec le salut». Un schéma sur lequel se superposent de nouveaux aspects, tels que les théories du complot délivrées par QAnon, aux Etats-Unis, ou encore la campagne de désinformation russe en lien avec la guerre en Ukraine.
L’attente du New Age
A l’instar de QAnon, l’ennemi est associé par les «Reichsbürger» à un «Etat profond», perfide, tirant les ficelles du pouvoir, en l’occurrence de la République fédérale. Une entité fantasmée selon une logique antisémite, même si les juifs ne sont pas toujours explicitement mentionnés, note Ansgar Martins.
Pour l’universitaire allemand, ces mouvements ne constituent pas une religion «de substitution», mais une religion à part entière. «Il s’agit d’un mouvement messianique, au sein duquel se rejoignent deux éléments: l’attente d’un New Age, d’une nouvelle ère spirituelle, et la lutte contre la prétendue conspiration qui veut empêcher l’accomplissement de cette nouvelle ère». Dans la recherche anglosaxonne, le phénomène est identifié par le terme de «conspirituality», contraction de conspiration et de spiritualité. Une combinaison qui existe en fait dans les cercles ésotériques depuis le 19e siècle, mais qui tend à se profiler davantage en temps de crise et de guerre.
La création du «nouvelle religion internationale»
Ansgar Martins relève toutefois la grande hétérogénéité à l’intérieur de ces groupes, autant au niveau de leur orientation religieuse que de leur niveau d’extrémisme. Il y aurait ainsi des «citoyens du Reich» ésotériques, d’autres chrétiens. Parmi eux se trouveraient «des soi-disant autogestionnaires», «des marginaux classiques», mais également «des radicaux de droite voulant renverser le système par la force des armes».
Ansgar Martins estime que les actions policières ne feront pas disparaître le problème. «Je pense plutôt que nous assistons à la création d’une nouvelle religion au niveau international, comme pour QAnon aux Etats-Unis». Même s’il admet la présence de «personnes dangereuses» au sein des «Reichsbürger», le philosophe des religions voit une plus grande menace du côté des «antidémocrates» au sein de l’appareil de sécurité et ailleurs, qui pourraient s’allier avec de tels extrémistes. (cath.ch/diewelt/ag/rz)