Les racines pas si païennes du sapin de Noël
Le sapin fait depuis des siècles partie intégrante de l’imagerie de Noël. Aujourd’hui considéré comme un symbole profane, il plonge néanmoins ses racines dans le terreau de la religion, notamment chrétienne.
Depuis quelques années, le sapin de Noël le plus cher du monde (11,4 millions de dollars), et certainement l’un des plus spectaculaires, est installé à….Abou Dabi. Sa présence pleinement acceptée, dans un pays musulman tel que les Emirats arabes unis, est le signe que ce symbole a atteint un statut complètement profane. Difficile d’imaginer une crèche ou un crucifix dans le hall d’un grand hôtel d’un pays du Golfe.
Les amis d’Obélix
La coutume du sapin de Noël est pourtant étroitement liée à la religion. Elle remonte tout d’abord aux croyances des peuples d’Europe dans l’Antiquité. Vivant dans un continent alors fortement boisé, les arbres avaient pour ces populations une importance majeure. Très souvent, elles les ont sacralisés, voire divinisés.
Les Nordiques rendaient notamment un culte à Ygdrassil, un arbre sacré dont les racines sont ancrées dans le monde obscur tandis que ses branches supportent la voûte céleste. Elles forment un passage entre le royaume des dieux et la terre. Lors de la fête traditionnelle de Yule (qui correspond au solstice d’hiver), le soleil revient sur terre par ce passage (un peu comme le Père Noël qui descend par la cheminée).
On sait également par Astérix à quel point les Celtes aimaient les arbres. Dans les albums, Obélix fait toujours un sort aux Romains qui ont le malheur de les couper. Les Gaulois dédiaient ainsi un épicéa au jour de renaissance du soleil. Ils l’appelaient «l’arbre de l’enfantement». Ce qui fait dire à beaucoup de Bretons qu’ils ont inventé non seulement le sapin, mais aussi la crèche.
Plus au sud, d’autres peuples qui avaient moins de conifères à disposition utilisaient des arbres à feuilles persistantes comme le pin pour symboliser la vie éternelle. Les Egyptiens, les Chinois et les Hébreux les décoraient de couronnes et de guirlandes. Lors des Saturnales, fêtées au solstice d’hiver, les Romains ornaient leurs maisons de branches de laurier de buis ou d’olivier.
Réappropriation chrétienne
Cette symbolique de l’arbre comme image de la vie et de la renaissance est également bien présente dans le christianisme. La Bible parle par exemple de «l’arbre de vie» dans le jardin d’Eden.
Soucieuse de faire oublier les anciennes religions, l’Eglise a pourtant commencé par combattre le culte des arbres chez les peuples païens. Un récit emblématique de cette démarche est l’exploit de saint Boniface de Mayence. Connu comme «l’apôtre des Germains», il aurait abattu d’un seul coup de hache, au 8e siècle, le «chêne de Thor», un arbre sacré situé dans l’actuelle Allemagne occidentale. L’histoire dit que le marteau de Thor n’écrasa pas Boniface (ce qui convainquit nombre de Germains de se convertir). En tombant, le chêne écrasa tout ce qui se trouvait sur son passage à l’exception d’un jeune sapin. Boniface décréta qu’il faudrait désormais appeler cet arbre, «l’arbre de l’Enfant Jésus». Et c’est depuis lors qu’on planterait, en Allemagne, de jeunes sapins pour célébrer la naissance du Christ.
Un autre épisode de recyclage chrétien de la tradition païenne est attribuée à saint Colomban. Le moine irlandais du 6e siècle, qui a entre autres évangélisé des populations d’Helvétie, aurait emmené, un soir de Noël, quelques religieux de ses amis vers un épicéa sacré pour les Celtes, au sommet d’une montagne des Vosges. Ils auraient accroché des lanternes à ses branches, de manière à dessiner une croix lumineuse. «Convertissant» ainsi le végétal et lançant la mode millénaire de décorer des arbres à Noël.
Les mystères de Sélestat
Ces récits n’ayant laissé aucune trace écrite, ils sont habituellement placés dans la catégorie des légendes et ne sont pas pris en compte dans l’histoire officielle de l’arbre de Noël.
Les historiens considèrent généralement que la tradition a vu le jour au 15e siècle, dans les pays germaniques. La première trace écrite de cette coutume a été trouvée dans un livre de comptes de la ville alsacienne de Sélestat, qui faisait à l’époque partie du Saint-Empire romain germanique. L’ouvrage indique, qu’en 1521, des garde-forestiers ont été payés pour empêcher l’abattage sauvage des «mais». Ce mot, venant de l’alémanique ‘meyen’ désignait un «arbre festif». Il semblait donc courant, à cette époque, que l’on aille chercher des arbres dans la forêt pour les décorer.
Le Père Emile Hennart explique, dans un article publié sur le site de la Conférence des évêques de France (CEF), que cette coutume trouve son origine dans la pratique des mystères. «Au cours du Moyen Age, la présentation des mystères sur les parvis des cathédrales jouait devant le peuple chrétien des scènes bibliques, et parmi elles l’histoire d’Adam et Eve avec l’arbre du jardin d’Eden», assure le prêtre du diocèse d’Arras. Devant la difficulté de trouver un pommier avec ses fruits en plein décembre, on choisit alors un sapin. Cet arbre symbolisait notamment la croix du Christ dont l’Incarnation sauve l’humanité.
Un succès mondial
Aux 16e et 17e siècles, la coutume du sapin se répand surtout dans l’Alsace et l’Allemagne protestantes. On raconte que c’est le Père de la Réforme, Martin Luther, qui a offert un sapin à ses enfants la veille de Noël pour qu’ils se souviennent des merveilles de Dieu. Les protestants avaient surtout à cœur de se démarquer des catholiques qui arboraient des crèches. Ils choisirent de célébrer Noël avec des sapins symbolisant l’arbre du jardin d’Eden et l’histoire d’Adam et Eve. Les pommes qui ornent traditionnellement le conifère seront progressivement remplacées par des boules de verre.
La pratique se popularise ensuite peu à peu dans le reste de l’Europe, notamment par le biais de Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, qui fait installer un conifère à Versailles en 1738. En 1837, la belle-fille de Louis-Philippe, Hélène de Mecklembourg-Schwerin, fait décorer un sapin au Tuileries. Les Alsaciens qui s’expatrient suite à la guerre franco-prussienne de 1870 apportent dans le reste de la France la tradition de l’arbre de Noël.
Les colons allemands greffent la coutume en Amérique du Nord dès le 17e siècle. Mais la tradition du sapin ne s’enracine réellement en Allemagne qu’au 19e siècle.
Actuellement, qu’il soit vivant ou «made in China», pratiquement chaque foyer occidental possède un arbre de Noël. Rien qu’en Suisse, entre 1,2 et 1,4 million de conifères sont vendus chaque année.
Symbole chrétien ou commercial?
Aujourd’hui, la tradition catholique associe la crèche de François d’Assise et le sapin de Noël, héritier de l’arbre des mystères du Moyen-âge, rappelle le Père Hennart. La crèche n’est donc pas un accessoire au sapin. «On pourra regretter de voir s’estomper ces dernières années l’association de ces deux éléments lors des festivités de fin d’année pour ne garder que le sapin…», note le prêtre français.
De façon évidente, le sapin a perdu, au cours des siècles, de son aura symbolique et sacrée. Son association avec cette autre coutume que sont les cadeaux l’a peut-être assimilé, dans la conscience collective, à la surconsommation et au matérialisme.
Peu de personnes sans doute se souviennent que sa forme conique renvoie au mystère de la sainte Trinité. Que des racines à la cime, il fait le lien entre le ciel et la terre. Ou encore que ses aiguilles, toujours vertes au cœur de l’hiver et de la nuit, redisent que la Vie du Christ est plus forte que la mort. Si l’on garde cela à l’esprit, le sapin a davantage sa place dans les églises que dans les magasins. (cath.ch/rz)