Les Orsini, une lignée faite et défaite par les papes (1/5)
Certaines familles romaines sont si profondément enracinées dans l’histoire de la Ville Éternelle qu’il est parfois difficile de démêler la réalité de la légende. La famille Orsini, une des plus puissantes de toute la péninsule italienne, est de celles-là, même si son ascension au sein du panthéon des grandes lignées de Rome est plus une histoire faite de conquêtes que de fondations.
I.MEDIA
Les origines romaines des Orsini remontent au 4e siècle: le général Orsicino, au service de Constantinople, est démis de ses fonctions par l’empereur Constant Ier pour diffamation. Il fuit la capitale d’Orient, siège de l’Empire, et va se réfugier à Rome. Ainsi naissent les «Orsi» – les ours en italien – plus tard «Orsini», dont l’emprise sur la Ville éternelle va prendre peu à peu une importance phénoménale. Si certains affirment que Stéphane II (752-757) et son frère Paul Ier (757-767) étaient des Orsi, l’origine de la fortune et de la grandeur de la famille Orsini est indubitablement liée à la papauté. L’élection sur le trône de Pierre à l’âge de 85 ans de Célestin III (1191-1198), né sous le nom de Giacinto di Pietro di Bobone Orsini, en est la première étape.
Ce dernier pratique un népotisme très intense, nommant cardinaux deux de ses neveux et permettant dès son élection à son cousin Giovanni, dit ‘Giangaetano’, de s’emparer des fiefs de Licenza, Nettuno, Roccagiovine et Vicovaro, des bourgs situés à proximité de Rome. Ces terres riches et convoitées seront le noyau du pouvoir territorial de la famille, qui abandonne à la même époque le nom Bobone pour celui d’Orsini.
L’art du népotisme
L’ascension est stupéfiante: le fils de Giangaetano, Matteo Rosso, devient sénateur de Rome en 1241, et chasse de la capitale une puissante famille concurrente, les Colonna. En soutenant sans faille le parti guelfe – partisan du pape – contre les gibelins – qui soutiennent l’empereur, il voit son prestige et son territoire augmenter. Au point de permettre au fils de Matteo Rosso, Giovanni Gaetano, dans un premier temps habile nonce au service des pontifes, de se constituer un solide réseau dans toute la chrétienté de l’époque, notamment auprès de Charles d’Anjou. Grâce à celui-ci, il se fait élire pape sous le nom de Nicolas III (1277-1280), profitant de la charge pour donner encore plus de pouvoir à sa famille.
En tant que citoyen romain, il se fait élire sénateur, profitant du prestige de son statut de pape, et offre la charge à son neveu. Mais son emprise devient encore plus importante, puisqu’il est à l’origine de l’institutionnalisation du passage d’une noblesse traditionnelle à une noblesse pontificale, où le pape seul peut faire et défaire les aristocraties. Évidemment, il renforce ainsi le pouvoir du pape, seul vrai souverain à Rome, et des cardinaux, en profitant pour offrir la pourpre à son neveu. Dante, qui fut son contemporain, lui donne la parole dans le huitième cercle de l’Enfer, dans des vasques enflammées réservées aux simoniaques (ceux qui vendent des biens spirituels):
«Je fus vraiment fils de l’Ourse [en référence au nom Orsini], et si avide que, pour enrichir les oursons, je mis là-haut l’or, et ici moi-même dans la bourse. Sous ma tête sont couchés les simoniaques qui me précédèrent, tirés par la fente de la pierre. Là aussi je tomberai, quand viendra celui que je te croyais être, lorsque je fis la soudaine demande. Mais plus de temps il y a déjà que mes pieds brûlent et que j’ai été ainsi renversé, qu’il ne le sera lui-même, et que ses pieds ne brûleront ; car, souillé de plus laides œuvres, après lui viendra du Couchant un pasteur sans loi, tel que lui et moi il convient qu’il recouvre.»
La main mise sur la Ville éternelle
La mort rapide du pontife n’empêche en rien l’essor stupéfiant de ses proches, qui sont alors alliés aux Colonna, leurs anciens ennemis. À la tête d’une faction qui domine à la fois l’État et l’Église, et fournit régulièrement d’importants cardinaux, leur territoire s’étend et des branches apparaissent. Les Orsini de Monte, pour ceux régnant sur le cœur de la ville, les Orsini de Campo, qui administre le Campo de’ Fiori, plus au sud, et les Orsini de Ponte qui résident au château Saint-Ange, tiennent de fait une grande partie de la Ville éternelle.
La politique d’expansion ne s’arrête pas là, et, s’implantant en Romagne, dont ils sont devenus les comtes, il s’installent à Naples avec le soutien de la dynastie angevine, puis en Calabre, par un mariage habile avec une grande dynastie locale. Cependant, l’Église reste leur vecteur principal d’expansion, grâce aux charges ecclésiales de vicaire ou de cardinal qu’ils reçoivent à loisir, leur permettant d’intégrer des terres diocésaines à leur empire. Leur puissance s’étend même jusqu’à l’actuelle Albanie, au 14e siècle, et comprend le duché de Bari.
Arrive le 15e siècle, et les différentes branches des Orsini dominent l’Italie du Sud. Seigneurs versés dans l’art de la guerre, ils se mettent au service des grandes dynasties tout en gardant un ancrage à Rome. Ils bataillent contre Milan pour Naples et pour Florence, face à la puissante famille Visconti. Une de leurs filles, Clarice, épouse Laurent le Magnifique.
Contre les Borgia
Mais le prestige principal vient une nouvelle fois du Saint-Siège, par le Collège des cardinaux. le cardinal Giovanni Battista Orsini, élevé à cette charge en 1483, s’oppose au pape Innocent VIII et va œuvrer avec succès à l’élection de Rodrigo Borgia, qui prend le nom d’Alexandre VI, en 1492. Cependant, l’ambition du pontife espagnol, qui tente de tailler un royaume à son fils César dans les terres pontificales, va pousser les Orsini à un premier et terrible revers.
Complotant avec d’autres grands seigneurs dans ce qui est retenu comme la «Conspiration de la Magione», lieu où fut scellé la forfaiture, ils tombent sur plus forts qu’eux. Les conspirateurs sont démasqués, capturés et tous mis à mort. Le cardinal et le reste de la famille subit le courroux des Borgia, au point qu’au début du 16e siècle, les Orsini de Rome disparaissent peu à peu. Signe d’un changement d’époque, le domaine familial est finalement vendu à une autre grande famille romaine, les Barberini, en 1641.
Un dernier pape
Benoît XIII (1724-1730), né Pietro Francesco Orsini, n’a plus rien de l’ambition de ses prédécesseurs: il est doux, vit très frugalement et soutient les arts et les sciences. Un procès en béatification de celui que l’Église reconnaît déjà comme vénérable est d’ailleurs en cours depuis le dépôt de son dossier à la Congrégation pour la cause des saints en 2017 par le cardinal Augusto Vallini.
Avec trois papes et une vingtaine de cardinaux, les Orsini, dont la lignée existe encore, sont toujours aujourd’hui des princes de Rome, mais leur puissance a largement décru après le 16e siècle. Ces authentiques créateurs de l’autorité papale au 12e siècle auront, ironiquement, subi le courroux du trône de Pierre qu’ils avaient pourtant tant renforcé. (cath.ch/imedia/cd/rz)
Les familles romaines
Certaines familles romaines sont si profondément enracinées dans l’histoire de la Ville Éternelle qu’il est parfois difficile de démêler la réalité de la légende. Certaines ont compté plusieurs papes dans leurs rangs. D'autres faisaient ou défaisaient les papes.