Les oratoires de Champéry: un patrimoine religieux bien vivant
Posé à l’orée du village de Champéry dans le val d’Illiez (VS), l’oratoire des Ravines porte bien son nom. Il protège les lieux des ravines, ces laves torrentielles qui déferlent régulièrement sur le village valaisan. La dernière est descendue en 2023.
Le groupe d’une trentaine de randonneurs qui participent, le 26 juillet 2024, à la 9e marche des oratoires de Champéry écoute religieusement les explications de Gabriela Anderson qui a lancé le projet. L’édifice coiffé d’un élégant toit d’ardoises à quatre pans a été érigé en 1830. La niche, fermée par une jolie grille en fer forgé, abrite un tableau de la Sainte Famille peint probablement au début du XIXe siècle. «En 2021, nous avons pu le faire restaurer» relève avec fierté Gabriela.
Placés le long des chemins, dans les pâturages ou près des maisons, ces oratoires témoignent de la dévotion des habitants du village valaisan. Une tradition qui a perduré au long des siècles.
Venu avec sa guitare, l’abbé Pierre-Yves Pralong, curé du secteur d’Illiez, invite dans ce magnifique jour d’été à louer la création. «Par toutes les montagnes et toutes les vallées, par l’ombre de forêts et par les fleurs des champs, je veux crier ›Mon Dieu tu es grand tu es beau. Tu es le Dieu d’amour.»
A peine quelques pas plus loin, la petite troupe fait halte devant une grotte de Lourdes construite à côté du chalet l’Anémone, bâti en 1790 par une des familles du dernier village tout au fond du val d’Illiez. Champéry n’avait alors rien de la localité touristique qu’elle est devenue avec l’arrivée du chemin de fer en 1908.
Le Pont du Moulin
La Marche des oratoires
Gabriela Anderson-Alvarez avec son mari Keith sont à l’initiative de la marche des oratoires. Gabriela d’origine argentine et son mari méthodiste anglais se sont installés à Champéry il y a quinze ans. «Au cours de mes excursions dans la région, j’ai découvert peu à peu les divers oratoires et j’ai eu envie de les faire davantage connaître. J’en ai parlé au curé de l’époque qui m’a encouragée à développer le projet. L’idée est double: sauvegarder et entretenir le patrimoine des oratoires tout en proposant une démarche spirituelle à des personnes qui ne viennent pas forcément à l’église.» D’entente avec la paroisse, la commune, l’association du patrimoine champérolain et l’office du tourisme elle a mis sur pied cette marche des oratoires. Les visiteurs sont des gens de la paroisse ou de la vallée, mais aussi des étrangers en vacances dans la région. Gabriela est devenue la gardienne des oratoires qu’elle se plaît à entretenir et à fleurir.
La promenade se poursuit en amont du village. Une fois franchi le pont du Moulin, sur la Vièze qui dégringole de la montagne, il faut gravir quelques marches pour atteindre le prochain oratoire. Celui-ci est récent. Il a été érigé en 1994, sur le voeu d’une paroissienne. Là aussi c’est la Vierge Marie qui garde les lieux. «Je lui ai adjoint une statue en bois probablement de sainte Thérèse que j’ai découverte au village», explique Gabriela. La grande croix commémorant la mission de 1952 a été déplacée ici il y a quelques années. «Ce passage nous invite à construire des ponts plutôt que des murs», relève l’abbé Pierre-Yves. Qui appelle à faire taire les papotages pour marcher en silence vers le Grand Paradis.
L’oratoire des clous
Une petite montée conduit jusqu’à l’oratoire des Clous. Placé en bordure de forêt, l’édicule construit au début du 20e siècle, surmonté d’un toit de bardeaux, fait référence aux clous de la crucifixion du Christ. Sa niche contient une pieta du début du 19e siècle. L’inscription sur son socle accorde quarante jours d’indulgence aux fidèles qui prieront dévotement devant cet oratoire.
Pour les marcheurs, c’est l’occasion de confier à Dieu les moments difficiles de leur vie en priant le Psaume 114: «Le Seigneur entend le cri de ma prière; il incline ver moi son oreille: toute ma vie je l’invoquerai».
Le soleil commence à taper plus fort, mais l’ombre de la forêt vient protéger les pèlerins qui redescendent vers la Souflaz qui se jette dans la Vièze, pour passer sur l’autre rive au pied de la masse imposante des Dents du Midi. L’oratoire de La Luy est le plus spectaculaire du parcours. Recouvert d’un buisson de lierre taillé en forme de champignon, il surgit d’un monticule à côté d’une ferme. «C›est mon père et moi qui l’avons déplacé et reconstruit dans les années 1960 . Il était auparavant juste à côté de la maison mais il menaçait ruine», explique Ulysse Avanthay. «C’est ma mère qui a planté le lierre à ses pieds.» Comme les autres oratoires et les croix, il a été érigé pour demander la protection du ciel contre les dangers naturels fréquents dans la région. L’entrepreneur de travaux publics s’est passionné pour ces petits monuments qui parsèment le paysage champérolain: il en possède une collection complète de maquettes et de peintures.
La vocation du chrétien, c’est d’être ›recouvert’ de la présence de Dieu, enchaîne l’abbé Pierre-Yves. «Seigneur tu as éclairé notre nuit, Tu es lumière et clarté sur nos pas, Tu affermis nos mains pour le combat, Tu nous affermis dans la foi. Que ma bouche chante ta louange. «
Une grotte de Lourdes contemporaine
Pour la fin du parcours, retour à travers les pâturages vers le Grand Paradis. Le dernier oratoire est dû à Annick. Cette brancardière de Lourdes avait ramené une statue de la Vierge de Massabielle à qui elle a voulu donner une maison. L’oratoire, réalisé en pierres sèches en forme de pyramide, a été béni en 2020. La tradition se perpétue ainsi.
«En parlant de paradis, nous pouvons nous rappeler que la vie la plus longue c’est après! commente Pierre-Yves Pralong. Nous ne devons pas passer à côté du bonheur promis, donc nous devons nous y préparer. Notre cité se trouve dans les cieux.»
Des participants ravis
«Nous avons tout de même marché sept kilomètres», se félicite Christiane en consultant sa montre connectée. Odile, ancienne enseignante domiciliée à Fully (VS), participe pour la première fois à la marche des oratoires de Champéry. «J’étais venu au Grand Paradis comme jeune scout! Mais je ne connaissais pas ces oratoires.» La marche, la découverte, l’animation, les chants tout lui a plu! Elle reviendra c’est sûr.
Rita et Christiane sont des filles de la vallée. «Nous sommes nées ici et nous sommes attachées aux traditions. Enfants nous faisions trois jours de rogations dans les près et les forêts. Nous aimions beaucoup cela, pas tant pour l’aspect religieux qui nous passait un peu par-dessus, mais pour la nature et les copains et copines.» Elles voient très positivement le fait que des personnes de l’extérieur aient contribué à entretenir la flamme de ce patrimoine religieux. Le fait de mêler ainsi foi et marketing touristique n’est pas du tout antinomique. Pierre-Yves Pralong, curé du secteur d’Illiez, y participait pour la deuxième fois. Il apprécie beaucoup ce type de démarche qui se distingue des liturgies ordinaires. «Faire ce lien entre patrimoine histoire et foi des anciens apporte quelque chose de plus». MP