Les médias réduits au silence sur le procès pour abus sexuels du cardinal Pell
Les tenants et aboutissants du procès et de la condamnation présumée pour abus sexuels du cardinal australien George Pell ne seront vraisemblablement pas connus avant plusieurs mois. A moins que le barrage érigé par la justice australienne ne s’effondre, miné par les fuites sur internet et les réseaux sociaux.
Le tribunal de Melbourne a réussi pour l’heure à imposer un silence quasi-total sur un jugement survenu le 11 décembre 2018, impliquant une personnalité de premier plan, le cardinal George Pell, préfet du Secrétariat pour l’économie du Vatican. En juin, le tribunal a prononcé une ordonnance (suppression order) qui interdit la publication de toute information sur la procédure en cours. Menacés par des peines de prison et de lourdes amendes, les médias australiens et les agences de presse étrangères n’ont eu d’autres choix que de respecter cette injonction. Le Saint-siège lui-même n’a rien pu y redire.
Garantir un projet équitable et protéger les témoins
Ces ordonnances restrictives peuvent être rendues en Australie pour diverses raisons – dans l’intérêt de la sécurité nationale, pour protéger la sécurité des témoins ou pour garantir un procès équitable. Elles peuvent être totales, comme pour le procès Pell, ou partielles en occultant uniquement le nom d’une ou plusieurs personnes impliquées dans un procès. Elles sont régulièrement prononcées dans les cas d’abus sexuels.
Lorsqu’une personne est jugée, le jury populaire n’est pas autorisé à connaître des renseignements délicats, comme les preuves rejetées ou les condamnations antérieures de l’accusé. Si de telles nouvelles sont largement diffusées, elles peuvent influencer injustement les jurés. Cela signifie que le procès peut être déclaré nul et la personne acquittée.
Les ordonnances sont également utilisées lorsque l’accusé fait face à plusieurs procès – ceci afin d’éviter que le premier procès ne donne lieu à un vice de procédure dans le second. C’est en l’occurrence le cas pour le cardinal Pell qui doit répondre de deux séries d’accusations. Il devrait repasser devant la justice en février 2019. La première série remonte aux années 1970, alors qu’il était simple prêtre, et la seconde à 1997, peu après sa nomination comme archevêque de Melbourne.
Il faut préciser encore que ces ordonnances sont temporaires. Elles sont levées généralement à l’issue de la procédure.
Les rumeurs courent sur internet
Ce silence imposé aux médias, a provoqué le déplacement du débat sur internet et sur les réseaux sociaux, principalement américains, qui bruissent de rumeurs invérifiables. L’agence catholique d’information CNA, sur la foi de «personnes ayant assisté au procès», livre toute une série d’éléments factuels, sur les dates, les lieux, les horaires ou les personnes, pour la défense du cardinal Pell. Le média conservateur ne semble pas craindre les foudres de la justice australienne et se protège en indiquant en bas de l’article qu’elle n’a pas publié, diffusé ou distribué ce reportage en Australie.
A l’opposé, le commentateur du National Catholic Reporter (NCR) relève que la tentation de faire une blague sur les tribunaux ‘kangourous’ est trop facile. «L’Australie n’est pas la Somalie. La primauté du droit existe, et personne ne devrait rejeter à la légère un verdict rendu par un jury dans un pays où l’indépendance de la magistrature est établie de longue date. Et encore moins se précipiter vers le jugement avant de voir au moins les transcriptions du procès», souligne Michael Sean Winters.
«J’avoue une préférence pour que les médias aient carte blanche, mais je ne suis pas dépourvu d’autocritique au point de reconnaître que même les médias ont parfois besoin d’être contrôlés. Il fut un temps où l’on pouvait compter sur l’éthique journalistique pour effectuer ce contrôle, mais aujourd’hui, l’éthique est trop souvent remise en question», conclut-il.
Juger en toute connaissance de cause
Lucie Morris-Marr, journaliste envoyée au procès par la chaîne TV CNN, a posté sur son compte Twitter : «Il est intéressant de voir à quel point tant de journaux étrangers s’intéressent si soudainement à un sujet australien auquel aucun d’entre eux n’a dépensé un seul dollar pour envoyer du personnel. Et maintenant, ils essaient de s’immiscer, d’interférer et de juger sans aucune connaissance ou expérience.»
Du cardinal Pell, le débat passe aussi au pape François. Certains lui reprochent d’avoir toléré trop longtemps un tel personnage parmi ses proches collaborateurs. Les autres jugent au contraire qu’il a fait preuve d’équité et de bon sens en laissant la justice des hommes faire son travail. Le procès Pell: nouvelle bombe ou pétard mouillé, il faudra attendre encore quelques mois pour le savoir. (cath.ch/mp)