Les mages, ces grands inconnus
Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les mages! Qui sont en réalité ces personnages mystérieux? Comment la tradition s’est-elle développée autour de ces mages présentés dans l’évangile de Matthieu et devenus des santon incontournables de nos crèches de Noël?
Sophie Delhalle, journal Dimanche
Si l’historicité des mages est incertaine, elle correspond cependant au motif littéraire bien attesté, tant dans la littérature juive que romaine (chez Pline l’Ancien et Suétone) d’après lequel des devins interviennent à la naissance d’un enfant important.
Pourquoi les mages sont-ils trois?
Le seul récit biblique qui évoque les mages est l’évangile de Matthieu. Il ne mentionne pas leur nombre, mais bien leur qualité: des Mages venus d’Orient (Mt 2, 1). La tradition a retenu le nombre de trois probablement en raison de la présence de trois cadeaux: or, encens et myrrhe. Ce nombre est notamment repris par Origène, au IIIe siècle.
Cependant, au cours de l’histoire, le nombre des mages reste fluctuant; dans certaines traditions orientales, les mages sont au nombre de huit, douze, et parfois accompagnés d’une importante troupe.
Les mages sont-ils des rois?
Avant toute chose, c’est quoi un mage ? Les Mages, du persan magis, constituent en fait une tribu mède qui fournit les prêtres et les devins chez les Perses. Ils sont réputés pour exercer magie, astrologie, divination, oniromantie (interprétation des rêves NDLR). Platon nous apprend que les Mages enseignent au nouveau-né royal le culte des dieux et l’art de régner. Les plus anciennes mentions des mages dans la Bible se trouvent chez Jérémie. Mais celle-ci ne les qualifie jamais de rois.
L’origine royale des mages semble avoir été forgée par la tradition à partir de divers passages de l’Ancien Testament: cette idée apparaît en premier lieu chez Tertullien, au début du IIIe siècle, qui les décrit comme fere reges, »presque rois» A sa suite, d’autres Pères de l’Eglise ont attribué aux mages le titre de roi: Melchior aurait été roi des Perses, Balthazar roi des Arabes, et Gaspard roi en Inde, trois attributions symboliques pour manifester la reconnaissance et l’ouverture aux nations païennes du message christique.
Melchior, Gaspard et Balthazar sont-ils leurs vrais noms?
La Bible n’attribue pas plus de prénoms aux mages. Ceux-ci apparaissent probablement aux alentours du VIe siècle, et la tradition chrétienne va durablement les populariser. Dans un écrit apocryphe, l’Evangile arménien de l’Enfance, daté du VIe siècle, leurs noms sont mentionnés comme étant Balthazar, Melkon et Gathaspar. Plusieurs ouvrages syriaques anciens donnent également leurs noms. En akkadien, Balthazar ou Balat-shar-usur signifie «Bel protège le roi» mais peut aussi se traduire par «Dieu protège le roi». En hébreu, Melkon signifie roi de lumière. Enfin, Gaspard peut quant à lui être interprété comme «celui qui vient voir» ou «gardien du trésor».
Pourquoi apportent-ils des cadeaux à l’Enfant-Jésus?
Les cadeaux apportés par les mages à Bethléem sont avant tout d’une grande richesse symbolique: l’or désigne Jésus comme «roi des Juifs»; l’encens identifie le nourrisson comme Fils de Dieu; la myrrhe renvoie à la mortalité de Jésus. On y retrouve donc la symbolique de la triple nature du Christ: royale avec l’or, divine avec l’encens, humaine avec la myrrhe.
En Espagne, le souvenir de cette offrande se perpétue puisque les enfants reçoivent leurs cadeaux des mains des »Tres Reyes» le 6 janvier. En Italie aussi, les enfants reçoivent des cadeaux le 6 janvier, mais c’est la sorcière Befana – dérivé du mot «Epiphanie» – qui les leur apporte. La légende raconte que Gaspard, Melchior et Balthazar ont rencontré une vieille femme sur leur chemin vers Bethléem. Celle-ci refuse de les accompagner mais le regrette aussitôt. Malheureusement, elle ne parvient pas à les retrouver. Depuis ce jour, la nuit du 5 au 6 janvier, elle laisse un cadeau dans chaque maison où se trouvent les enfants sages au cas où Jésus serait l’un d’eux. (cath.ch/dimanche/sd/mp)
La myrrhe, parfum d’amour et de mort
Parmi les cadeaux des mages, on connaît bien l’or, qui brille, l’encens, qui parfume, mais beaucoup moins la myrrhe.
Méconnue à notre époque, la myrrhe est, au temps de Jésus, un article de luxe. La myrrhe est la résine d’un arbre épineux qui ne pousse que dans des climats particulièrement secs. On la trouvait ainsi à l’époque surtout en Somalie, en Ethiopie et au sud de l’Arabie.
Les Égyptiens utilisaient la myrrhe en fumigations pour embaumer les morts de haut rang. Dans le judaïsme ancien également, les défunts étaient enduits d’un mélange d’aloès et de myrrhe.De nos jours, la myrrhe entre dans la composition du Saint Chrême. Du baptême à l’onction des malades, elle accompagne ainsi les rituels catholiques.
Ses vertus désinfectantes, hémostatiques et antispasmodiques ont été confirmées par la science moderne et elle est encore utilisée aujourd’hui en médecine. La myrrhe a d’ailleurs été élue plante médicinale de l’année 2021!
Les cadeaux des trois mages renvoient ainsi au parcours de Jésus: la myrrhe comme symbole de la royauté, mais aussi de sa souffrance sur la croix: la plante a un goût amer, en même temps qu’elle apaise la douleur.
La myrrhe fait aussi référence à la force d’attraction ultérieure des paroles et des actes de Jésus. En effet, en raison de son odeur intense, la résine de myrrhe servait de parfum enivrant, voire aphrodisiaque. RZ
Pour Benoît XVI: Un mystère de lumière
En 2006, le pape Benoît XVI commentait dan son homélie de la fête: «L’Epiphanie est un mystère de lumière, représentée de manière symbolique par l’étoile qui a guidé le voyage des Rois mages. Toutefois, la vraie source de lumière, l’»Astre d’en haut qui vient nous visiter» (cf. Lc 1, 78), c’est le Christ.
Dans le mystère de Noël, la lumière du Christ rayonne sur la terre, en se diffusant comme par cercles concentriques. Tout d’abord sur la sainte Famille de Nazareth: la Vierge Marie et Joseph sont illuminés par la présence divine de l’Enfant Jésus. La lumière du Rédempteur se manifeste ensuite aux bergers de Bethléem qui, avertis par l’ange, accourent immédiatement à la grotte et y trouvent le «signe» qui leur avait été annoncé: un enfant enveloppé de langes et couché dans une mangeoire (cf. Lc 2, 12). Les bergers, avec Marie et Joseph, représentent ce «reste d’Israël», les pauvres, les anawim, auxquels est annoncée la Bonne Nouvelle. L’éclat du Christ parvient enfin jusqu’aux Rois mages, qui constituent les prémices des peuples païens.»