En octobre 2024, le pape recevait en audience des femmes déléguées au synode sur la synodalité. Tout à gauche: la Suisse Helena Jeppesen  | © Vatican Media
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Les femmes dans l’Église et le monde, la logique du pape François

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«On ne peut pas imaginer une Église sans femmes actives (…) Il faut une profonde théologie de la femme», déclarait le pape François en 2013, lors de la conférence de presse dans l’avion qui le ramenait de Rio. Si son pontificat a effectivement été marqué par de claires avancées en matière de participation des femmes au sommet de l’Église, sur le plan théologique, par contre, les lignes ont peu bougé.

Le pape François s’est attelé à remédier à la longue invisibilisation des femmes dans l’Église en leur confiant des postes-clés. Cette série de nominations (voir encadré), introduite en 2016 par celle de Barbara Jatta en tant que directrice des Musées du Vatican, a trouvé son apogée en janvier 2025, avec celles, coup sur coup, de Sœur Simona Brambilla à la tête du dicastère pour les Instituts de vie consacrée et de Sœur Raffaela Petrini à la présidence du Gouvernorat de la Cité du Vatican.

Avant son pontificat, très rares étaient les femmes à occuper des postes de haute responsabilité au sein de l’État de la Cité du Vatican et de la Curie. Et quand c’était le cas, leurs fonctions ne dépassaient pas le grade de sous-secrétaire, soit de «numéro 3» sur une échelle allant de 1 (le plus haut) à 10.

Des femmes dans les processus décisionnels

De fait, le pape François a répété en de multiples occasions la nécessité d’intégrer davantage les femmes dans les processus décisionnels de l’Église. Il a été le premier pape à nommer des femmes comme membres d’organes de la Curie, leur donnant un droit de vote réservé jusque-là aux prélats. Elles peuvent aussi devenir «préfètes», la constitution apostolique Praedicate Evangelium de 2022 autorisant la nomination de laïcs à la direction de dicastères.

L’objectif de François était clair: la féminisation des instances de pouvoir dans l’Église devrait mener celle-ci, peu à peu, à transformer de l’intérieur sa vision du rôle des femmes dans l’Église et dans le monde et, plus largement, son regard sur le monde lui-même.

Un droit pour les baptisées

Les propos tenus par le pape François le 12 mai 2016, lors de son entretien avec les membres de l’Union internationale des supérieures générales (UISG), sont révélateurs. On y trouve à la fois cette visée, et à la fois une vision plus traditionnelle des charismes propres à la femme dans l’Église et la société.

Le pape y expliquait combien il était important que les femmes participent à l’élaboration des décisions, qu’elles «entrent dans la réflexion du processus (…) Car la femme regarde la vie avec ses propres yeux et nous, les hommes, ne pouvons la regarder ainsi. (…) Le rôle de la femme dans l’Église n’est pas du féminisme, c’est du droit! C’est un droit de baptisée avec les charismes et les dons que l’Esprit a donnés.»

Un engagement auprès des plus fragiles

Son engagement concret à valoriser les femmes dans les organes de direction de l’Église lui a valu la reconnaissance des milieux catholiques féministes. De même pour sa dénonciation constante des maux et injustices affectant les femmes dans le monde, plus particulièrement dans les pays du Sud: traite, violences, paupérisation, disparités salariales…

La protection des femmes a toujours tenu spécialement à cœur au pape François | © AP Photo/Alessandra Tarantino/Keystone

Dans la préface du livre Plus de leadership féminin pour un monde meilleur, sorti le 8 mars 2023 (éditions Vita e Pensiero), François réaffirmait cette préoccupation, s’inquiétant que le «chemin de l’affirmation féminine» soit «tourmenté» et que l’on puisse «facilement faire des pas en arrière». Il y souhaitait «des opportunités égales pour les hommes et les femmes», que les femmes «soient rémunérées sur un pied d’égalité avec les hommes à parité de rôle, d’engagement et de responsabilité», qualifiant les disparités de «grave injustice». 

Des propos parfois maladroits

Certains de ses propos sur les femmes, par contre, ont heurté les milieux féministes catholiques européens et américains, plus focalisés sur les questions de genres et d’inclusion. Ils y ont vu l’empreinte de la société patriarcale d’Argentine, où François est né et a professé avant de devenir pape, et de celle de l’Église.

Si François a souvent dénoncé «une culture d’oppression patriarcale et machiste», comme lors de la Journée internationale des femmes de 2023, son emploi d’expressions trahissant un sexisme «bienveillant» a laissé des traces. Ainsi de son: «Les femmes sont comme les fraises dans un gâteau, il en faut toujours plus», lancé en décembre 2014 devant les membres de la Commission théologique internationale.

Un adepte du «génie féminin»

Mais c’est surtout son approche de la complémentarité des sexes – qui l’a mené à confiner les femmes à un rôle de mère et d’épouse sur le plan théologique – qui lui a été reproché. François est resté attaché au discours sur le «génie féminin» développé par Jean Paul II. Celui-ci avait assigné les femmes à une exclusivité du dévouement et à une spécialisation dans le service, sans qu’il soit question du ministère d’un diaconat féminin et encore moins d’ordination.

À sa suite, dans Evangelii Gaudium (n°103) François écrivait en 2013: «L’Église reconnaît l’apport indispensable de la femme à la société, par sa sensibilité, son intuition et certaines capacités propres qui appartiennent habituellement plus aux femmes qu’aux hommes. Par exemple, l’attention féminine particulière envers les autres, qui s’exprime de façon spéciale, bien que non exclusive, dans la maternité (…) Mais il faut encore élargir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Église. Parce que le «génie féminin» est nécessaire dans toutes les expressions de la vie sociale.»

L’ordination ministérielle reste réservée aux hommes

François a insisté à diverses reprises sur cette différentiation (hors échelle de valeurs) des rôles entre les hommes et les femmes, et il a utilisé cet argument pour justifier son «non» à l’ordination des femmes. Comme le 11 juillet 2023, dans sa réponse à une interpellation de cinq cardinaux conservateurs, où il s’est référé à la «déclaration définitive» de Jean Paul II sur la question. De même, le 28 novembre 2022, dans un entretien remarqué avec des journalistes de la revue jésuite America Magazine, il avait brandi le vieux principe pétrinien comme argument théologique à l’encontre de l’ordination des femmes.

Faisant référence à la succession épiscopale héritée des apôtres de Jésus, tous des hommes, le pape proposait d’approfondir une autre voie que celle de l’ordination ministérielle (sacerdotale ou diaconale), à savoir une voie rattachée au «principe marial, qui est le principe du féminin dans l’Église (…) dans laquelle l’Église se reflète parce qu’elle est femme et épouse (…) Ainsi, la dignité de la femme est reflétée de cette manière.»

François a néanmoins laissé une porte ouverte à la possibilité de revoir le non «définitif» de Jean Paul II à l’ordination des femmes. Il déclare, dans sa lettre du 11 juillet 2023: «Nous reconnaissons qu’une doctrine claire et faisant autorité sur la nature exacte d’une «déclaration définitive» n’a pas encore été élaborée de manière exhaustive.»

Le diaconat féminin, d’étude en étude

De la même façon, la possibilité d’un diaconat féminin, évoqué un temps, puis oublié, a fait une timide réapparition. En 2016, à l’occasion de l’audience avec l’UISG, François s’était interrogé sur l’existence des diaconesses. Il avait créé alors une commission visant à étudier le diaconat féminin, sous un angle historique en premier lieu.

Mais l’étude rendue par la commission n’ayant pas répondu à ses interrogations, comme le déclarait le pape dans l’avion de retour de Macédoine du Nord, en mai 2019, la commission avait été dissoute. En 2020, après le Synode sur l’Amazonie, une deuxième commission a été créée pour «pour continuer à étudier» la chose.

En Europe, des signes d’impatience en ce qui concerne la possible ordination des femmes dans l’Église se donnent à voir. Photo: concélébration par Monika Schmid d’une messe à Effretikon (ZH) | © Seraina Boner

Les attentes à ce sujet ont été une nouvelle fois déçues lorsque François a retiré le diaconat féminin des sujets de discussion de la deuxième assemblée synodale d’octobre 2024, pour le confier à un groupe de travail qui doit rendre ses conclusions en juin 2025. Néanmoins, en acceptant dans son intégralité le Document final voté par l’assemblée, et donc l’article 60 qui traite de la question, le pape François a laissé la porte ouverte.

Seule avancée pour les femmes dans le domaine des ministères, le pape François a officialisé en 2021, par un Motu proprio modifiant le Code de Droit canon, l’ouverture aux femmes des ministères du Lectorat et de l’Acolytat (le service de la Parole et de l’autel). De fait, celui-ci était déjà largement pratiqué en Église.

Plus logique qu’il n’y paraît

La politique de François à l’égard des femmes a pu paraître ambivalente. Elle suit pourtant une logique imparable. Marqué par sa forte volonté de décléricalisation de la Curie, le pape a voulu différencier responsabilités dans l’Église et ministère de l’ordination. C’est cette logique qui permet à des laïcs, et donc à des femmes, de diriger aujourd’hui certaines instances au Vatican. Et peut-être de faire évoluer demain, plus en profondeur et sans coup de force, la vision anthropologique des sexes portée par l’Église. (cath.ch/lb)

Des femmes nommées à des postes-clefs (liste non exhaustive)
En 2016, Barbara Jatta devient directrice des Musées du Vatican;
en janvier 2021, Francesca Di Giovanni, une laïque, est désignées par le Vatican vice-ministre de la Secrétairerie d’État;
le 6 février 2021, la religieuse xavière française Nathalie Becquart est nommée sous-secrétaire du Synode des évêques, devenant la première femme à obtenir le droit de vote au sein de cette assemblée chargée d’étudier les grandes questions doctrinales de l’Église catholique;
en août 2021, la religieuse salésienne Alessandra Smerilli devient secrétaire du Dicastère pour le développement humain intégral (numéro 2);
le 4 novembre 2021, Sœur Raffaella Petrini est nommée secrétaire générale du gouvernorat de la Cité du Vatican, un poste traditionnellement réservé aux hommes et a fortiori aux évêques, avant d’en devenir la présidente le 19 janvier 2025;
le 18 février 2022, la théologienne Elmice Cuda est choisie comme secrétaire de la Commission pontificale pour l’Amérique latine;
le 1er avril 2023, l’économiste Helen Alford op est nommée présidente de l’Académie pontificale des sciences sociales;
en octobre 2023, Sœur Simona Brambilla devient secrétaire du dicastère pour les Instituts de vie consacrée, puis rentre dans l’histoire en tant que première préfète du Vatican, du même dicastère, le 6 janvier 2025.
D’autres nominations féminines encore ont marqué le pontificat de François. Six femmes sur sept laïcs ont ainsi été nommées en août 2020, par exemple, au Conseil pour l’économie du Vatican.LB

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En octobre 2024, le pape recevait en audience des femmes déléguées au synode sur la synodalité. Tout à gauche: la Suisse Helena Jeppesen | © Vatican Media
23 avril 2025 | 12:27
par Lucienne Bittar

La nouvelle de la mort du pape François a été annoncée à 9h45, par le cardinal Kevin Farrell, Camerlingue de la Chambre apostolique, depuis la Maison Ste Marthe. Le pape François est décédé en ce lundi de Pâques, 21 avril 2025.

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