Les «épouses» de Boko Haram, libres mais stigmatisées
Abuja, 27.09.2015 (cath.ch-apic) Le calvaire des centaines de femmes et de filles enlevées par la secte islamiste Boko Haram au Nigeria ne se termine pas une fois qu’elles sont libérées. IRIN, le réseau d’information de l’ONU, explique comment ces femmes, parfois enceintes de leurs ravisseurs, sont stigmatisées à cause de leurs prétendus liens avec les djihadistes.
Au lieu d’être admirées pour leur bravoure, bon nombre d’entre elles sont rejetées par leur communauté, assure IRIN. Celles qui se sont retrouvées enceintes après avoir été violées par leurs ravisseurs sont pointées du doigt et accusées de vouloir donner naissance à de futurs combattants de Boko Haram. «Elles ont vécu une expérience terrifiante, mais Boko Haram fait l’objet d’un tel mépris que tous ceux qui sont identifiés au mouvement sont victimes du même dénigrement», a expliqué à IRIN Mausi Segun, chercheuse pour l’organisation Human Rights Watch (HWR) qui s’est entretenue avec plusieurs de ces femmes.
Obligées d’assister à des massacres d’enfants
Sans qu’il existe de chiffres précis, le gouvernement nigérian a indiqué qu’un pourcentage «alarmant» de filles enlevées par Boko Haram étaient enceintes.
Lami (prénom d’emprunt) se souvient du jour où elle a été capturée, alors qu’elle avait 19 ans: «Ils ont attaqué notre village, brûlé les maisons et les églises, alors nous avons décidé de partir, en laissant derrière nous nos parents âgés (…) Nous nous sommes enfuis dans la brousse, mais ils [Boko Haram] se sont lancés à notre poursuite avec leurs motos et nous ont menacés de nous tuer si quelqu’un résistait». Lami raconte que, comme les autres captives, on l’a obligée à assister au massacre d’hommes, de femmes et d’enfants. Bon nombre de filles ont été forcées de se marier et de s’occuper de «maris» qu’elles ne connaissaient pas. Après plusieurs tentatives d’évasion infructueuses, Lami avait presque perdu l’espoir de rentrer chez elle un jour. Mais la vigilance des gardiens s’est relâchée et, un jour, elle a réussi à s’enfuir. Elle est rentrée dans son village et a appris que son père avait été tué par Boko Haram. Elle a vite découvert qu’elle était enceinte de son «mari».
Aujourd’hui au huitième mois de grossesse, Lami assure faire l’objet de menaces constantes, rapporte IRIN en septembre 2015. Les hommes du village lui ont fait savoir qu’ils ne tolèreraient pas les enfants de Boko Haram. «Bon nombre d’entre eux disent même que je devrais me faire avorter. Ils ont menacé de me tuer et de tuer le bébé», affirme-t-elle.
Les groupes d’auto-défense rendent «justice»
Certains habitants du nord-est du Nigeria ont pris les armes pour protéger leur communauté de Boko Haram. Ils ont aussi estimé qu’il était de leur responsabilité d’appliquer la loi islamique qui considère que la grossesse hors mariage est illégitime, à moins que la mère ne soit en mesure de démontrer qu’elle est tombée enceinte contre sa volonté. Malheureusement, bon nombre de membres de la communauté refusent de croire que les filles enlevées ont été forcées de se marier, et ils continuent de se méfier de ces femmes et de leurs enfants à naître.
Asabe (prénom d’emprunt), âgée de 20 ans, a été enlevée lors d’une attaque de Boko Haram, alors qu’elle assistait au service religieux du dimanche. Elle a été retenue captive pendant cinq mois. Une fois libérée, personne n’a voulu croire qu’elle avait épousé son ravisseur pour sauver sa vie. «Ils ont tué toutes celles qui ont refusé leurs demandes. J’ai été mariée à l’un de leurs chefs, ils l’appelaient Ameer», assure la jeune femme. Elle a réussi à s’enfuir lors d’une attaque de l’armée. Comme Lami, elle s’attendait à recevoir un accueil chaleureux en rentrant chez elle, au lieu de cela, elle a subi la stigmatisation et la rancœur.
Stigmatisation des autorités locales
En collaboration avec d’autres agences locales et étrangères, le gouvernement nigérian fournit un soutien et des soins médicaux aux femmes et aux filles enceintes qui ont retrouvé leur liberté. Il encourage également les communautés à accueillir ces femmes dans la paix. Certains responsables locaux continuent cependant de perpétuer la stigmatisation, affirme IRIN. C’est le cas du gouverneur de l’Etat de Borno, au nord-est du pays, Kashim Shettima, qui a publiquement déclaré que les femmes et filles enceintes risquaient de donner naissance à une nouvelle génération de terroristes. Il plaide pour la mise en œuvre d’un programme de mentorat à destination des futures mères pour s’assurer qu’elles ne donneront pas naissance à de «futurs insurgés». (apic/irin/rz)