Les dirigeants chrétiens s'engagent pour un autre monde
Du 17 au 20 mars 2022, les Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens (EDC) ont organisé leurs Assises dans la cité portuaire du Havre (Normandie). 1’800 membres – dont quelques Suisses – ont partagé leurs expériences de chefs d’entreprise, à la lumière de la pensée sociale chrétienne. Echos de deux responsables du mouvement.
Bernard Litzler, pour cath.ch
Philippe Royer, 56 ans, est le président sortant du mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens (EDC). Depuis le 20 mars, il a cédé sa responsabilité à Pierre Guillet, patron d’Hesion, une PME présente en France et en Suisse. Un passage de témoin réalisé dans le cadre des Assises organisées au Havre.
Après quatre ans de présidence, le bilan de Philippe Royer impressionne. De 1’000 membres il y a dix ans, les EDC sont actuellement 3’500. La France n’est plus seule: 23 autres pays ont rejoint la famille. Et la moyenne d’âge des membres diminue: de 80 âgés de moins de 40 ans, ils sont passés à près de 500. Ce passage générationnel sautait aux yeux durant la rencontre normande: l’image du patron masculin, plutôt âgé, est aujourd’hui bousculée par les jeunes générations, avec une présence féminine plus marquée.
Le Christ au cœur du mouvement
Fondé en 1926, l’ancien Centre français du patronat chrétien a évolué depuis le début du siècle pour devenir le mouvement des EDC. Ses axes actuels: «Comprendre et éclairer le monde, grandir dans la foi et être acteur de la transformation du monde», explique Philippe Royer. Avec un préalable: «Nous avons remis le Christ au cœur du mouvement, ce qui a généré une belle fécondité. Et le nombre de nos membres a augmenté, malgré la crise sanitaire».
«Il faut réveiller l’indifférence des bons»
Martin Luther King
Les questions du sens du travail, de la dynamique interne aux entreprises, de la finalité de l’engagement sont aujourd’hui cruciales: «Dans notre monde en mutation, il est important de former les EDC à la pensée sociale chrétienne. Ce ne sont pas des discussions du Café du Commerce, mais une parole transformante pour le monde, qu’on traduit dans l’économie du bien commun», indique l’ancien président.
Co-créateurs de l’histoire
«Nous portons un nouveau mode de société. Car le monde ne changera que si nous changeons. Beaucoup de personnes sont d’accord pour une économie du bien commun, mais ils voudraient que les autres changent», explique Philippe Royer, issu du milieu agricole et chef d’entreprise dans l’agro-alimentaire. «En se transformant lui-même, le dirigeant d’entreprise génère une dynamique de transformation de son entreprise et de son écosystème.»
De fait, la doctrine sociale de l’Eglise irrigue profondément les options des EDC: «Nous militons pour redonner à la personne sa dignité, car on est passé de la personne à l’individu et de l’individu à l’individualisme et, plus loin, au consommateur avide de consommation. Et la somme de ces plaisirs ne fait pas le bonheur. Martin Luther King disait: ‘Il faut réveiller l’indifférence des bons’».
Or, «les personnes doivent réaliser qu’elles sont co-créatrices de l’histoire. Et cette dimension est liée à notre devoir d’espérance. Quand beaucoup pensent que ‘tout est foutu’, avec une guerre en Ukraine et dans d’autres pays, le chrétien a ce devoir d’espérance qui doit être encore plus important quand il n’y a plus d’espoir».
Le bien commun
Les EDC se forment à la pensée sociale chrétienne, notamment dans le sens du bien commun. «Par exemple, 2’000 de nos membres sont engagés auprès des plus fragiles et des jeunes sortis du système scolaire. En France, nous avons déployé 45 ‘Ecoles de production’ pour remettre dans le circuit les jeunes ‘décrocheurs’, ceux qui abandonnent en cours de formation.»
La pensée du pape François stimule la réflexion des EDC, détaille Philippe Royer: «Dans l’encyclique Laudato si’ de 2015, il nous invite à entendre le cri de la planète. Il faut avoir pour les pauvres la compassion que le Christ avait à leur égard».
Une fois par mois
Emmanuel Blin, 50 ans, est le fondateur et PDG de Tech Care for All (TC4A). Sa conviction, partagée aux Assises: «Soyez des dirigeants chrétiens!». «Tout seul, on n’y arrive pas. Il est important d’être dans des communautés de dirigeants qui ont les mêmes paradoxes et les mêmes fragilités. Une fois par mois, on se retrouve pour réfléchir de manière honnête en s’inspirant de la pensée sociale chrétienne».
TC4A est une entreprise à impact social fondée pour promouvoir la santé numérique en Afrique et en Asie en améliorant la santé de populations mal desservies. Durant 20 ans – jusqu’en 2017 –l’entrepreneur a travaillé dans l’industrie pharmaceutique dans un grand groupe mondial, en Asie, en Europe et aux Amériques.
«Mes esclavages»
Aujourd’hui installé à Bruxelles, Emmanuel Blin indique: «Notre boussole, la pensée sociale chrétienne, pose des principes de gouvernance d’une entreprise. Et, parmi ces principes, il y a la dignité, la solidarité, la destination universelle des biens, la participation, etc.». Il importe de «s’assurer que ces principes deviennent le quotidien des collaborateurs». «Car le Christ nous invite à nous interroger sur la dignité au travail. Et à partir de la réalité du vécu de nos collaborateurs pour y répondre en tant que dirigeant.»
«J’ai pu créer de l’adhésion quand j’ai décidé d’affronter la question de mes esclavages personnels, à l’argent, au pouvoir, à mon ego»
Emmanuel Blin
«Dans mon groupe pharmaceutique, je distillais des choses dont je savais qu’elles n’étaient pas le quotidien de nos salariés. Et ça me revenait en boomerang. En revanche, lorsque je vivais une relation authentique avec les personnes en discutant honnêtement les enjeux, cela a créé de l’énergie. Quand j’étais dans le discours, la posture, je percevais des résistances au changement. Et lorsque j’étais humblement à l’écoute, dans la réalité de ce que vivaient les personnes, j’arrivais à créer du changement et de l’énergie.»
«Dans ma carrière, je me suis parfois mis devant mon équipe, en vérité. J’ai pu créer de l’adhésion quand j’ai décidé d’affronter la question de mes esclavages personnels, à l’argent, au pouvoir, à mon ego. Et j’ai trouvé le courage de changer de vie.»
«Trop de spectateurs du monde»
Auteur du récent ouvrage S’engager pour le bien commun (Editions de l’Emmanuel), Philippe Royer invite à l’action: «Il y a trop de commentateurs et de spectateurs du monde. Il faut des acteurs. L’Évangile nous appelle à aller auprès des plus fragiles: en agissant ainsi, on change son propre regard, mais on révèle aussi notre fragilité. Et alors on grandit en humanité, en capacité et en intelligence».
Pierre Guillet, le nouveau président des EDC, s’est inscrit dans la ligne de son prédécesseur. Devant les 1’800 participants aux Assises, il a annoncé son programme: «Vivre la fraternité entre nous, rencontrer le Christ et engager ses talents au service du monde». Et de finir avec une injonction chère à Jean Paul II: «Nous bâtirons tous ensemble une civilisation de l’amour». (cath.ch/bl)
En Suisse
Actuellement, quatre équipes des EDC existent en Suisse, deux à Genève et deux à Lausanne. Comme en France, elles se réunissent une fois par mois, pour prier et réfléchir aux enjeux éthiques du monde de l’entreprise, à la lumière de la pensée sociale chrétienne. BL