Bienne: L’universalité des droits humains en question
Les droits humains, une conception occidentale?
Bienne, 12 décembre 2011 (Apic) La Fédération des Eglises africaines de Suisse et le Forum des questions actuelles de Bienne, tous deux liés à l’Eglise réformée, organisaient un débat public sur le thème «Les droits humains ne sont-ils qu’une conception occidentale?», le 10 décembre 2011 à Bienne. Un diplomate suisse, un étudiant en théologie tchadien et un anthropologue sénégalais ont apporté leur éclairage.
«La déclaration des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par les Nations unies, véhicule des valeurs universelles qui ne sont pas le fruit d’un Etat ou d’une civilisation, mais l’émanation d’une humanité commune.» Martin Michelet l’a martelé avec une inébranlable conviction: les droits humains ont une portée politique, philosophique, religieuse, éthique, existentielle qui transcende toute forme d’ethnocentrisme occidental et de relativisme culturel. «Mais l’universalité ne doit jamais être confondue avec l’homogénéité», a rappelé le chef de la section politique des droits de l’homme au Département fédéral des affaires étrangères, lors d’une table ronde animée par Liliane Lanève-Gujer, du Forum des questions actuelles, à la Maison Farel de Bienne.
«La charte des Nations unies ne crée pas des droits, elle les proclame», argumente le diplomate valaisan, lequel a œuvré en Afrique et à Washington. Et d’ajouter: «Les principes énoncés dans ce texte ont été adoptés par des nations aussi différentes que l’Inde, l’Iran, la Syrie, l’Afghanistan, l’Ethiopie ou l’Egypte. Et ils forment toujours un corpus de valeurs corrosives pour les régimes répressifs. Gardons à l’esprit qu’ils ont permis de lutter contre le colonialisme ou l’apartheid sud-africain et qu’ils ont servi d’arme politique pour les dissidents de l’ancien bloc communiste.»
La charte onusienne de 1948 demeure, dans cet esprit, une des poutres maîtresses de l’action politique de la Confédération, qui s’engage à faire respecter, dans notre pays et dans le monde, les droits humains. «La Suisse estime que ces valeurs sont nécessaires au développement d’un monde juste. Mais elle ne se considère pas comme un missionnaire. Sur le terrain, en Afrique par exemple, il appartient aux Etats africains et aux ONG locales de mettre en œuvre les principes de la déclaration universelle», précise Martin Michelet.
Un texte marqué par l’individualisme
Dans le sillage du fonctionnaire fédéral, le Tchadien Michelot Yogogombaye, un des fondateurs de la Fédération des Eglises africaines de Suisse, qualifie d’absolus et d’universels certains droits tels que le droit à la vie ou la liberté de vivre à l’abri du besoin. Il constate toutefois que la charte onusienne de 1948 heurte sur certains points la sensibilité culturelle des Africains. «Ce texte est parfois marqué par un individualisme qui ne sied guère au continent africain où l’intérêt de la communauté est une valeur prédominante, où l’individu se pense toujours par rapport au groupe, notamment pour le mariage ou dans ses relations avec les aînés», explique l’étudiant en théologie qui réside à Bienne depuis 2004.
Aux yeux de Michelot Yogogombaye, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi au Kenya et ratifiée par 25 Etats le 21 octobre 1986, vient à point nommé pour compléter la déclaration onusienne en intégrant les traditions culturelles et les particularités sociales de l’Afrique. «Avec ce texte, l’Afrique s’inscrit dans la droite ligne de l’universalisme des Nations unies tout en s’appuyant sur une conception sociale de la communauté qui lui est consubstantielle», souligne-t-il avec satisfaction.
Le Sénégalais Thiédel Camara, anthropologue et socio-économiste de confession musulmane vivant à Tours en France, a amené le «regard détaché» du spécialiste en sciences sociales. Il a esquissé des pistes pour aborder la problématique des droits humains avec les lunettes de l’anthropologie sociale. Au-delà de toute considération politique ou religieuse, la déclaration universelle de 1948 doit, selon lui, être étudiée sous trois aspects: les conditions où apparaît la conception occidentale des droits humains, les actions envisagées par les pouvoirs publics et le rôle des sciences sociales dans la mise en œuvre de ces droits par l’Etat. (apic/eda)
Encadré
Mgr Vitus Huonder, évêque du diocèse de Coire, a créé l’émoi en écrivant dans une lettre pastorale publiée le 5 décembre 2011 que «l’Eglise prend connaissance de la déclaration des droits humains et jauge les formulations et revendications de cette convention à la lumière de la révélation divine». Et d’insister: «Le droit divin prime toujours sur les droits humains.» Le prélat a été accusé de soumettre le texte onusien à la religion et de relativiser les droits humains.
L’anthropologue sénégalais Thiédel Camara considère les propos de Mgr Vitus Huonder comme très embarrassants. «Selon moi, le droit divin ne fait que compléter ou accompagner les droits humains. Il ne leur est jamais supérieur», juge-t-il. Michelot Yogogombaye, de la Fédération des Eglises africaines de Suisse, ne s’étonne guère de ces affirmations: «Il suffit de scruter l’histoire de l’Eglise catholique romaine pour constater que l’institution a eu parfois du mal à intégrer la notion même de droits humains.» Quant à Martin Michelet, il fait remarquer que «l’évêque de Coire a, comme tout un chacun, le droit d’exercer sa liberté d’opinion et d’expression, mais que, en l’occurrence, son opinion semble diverger de la position de l’Eglise catholique romaine sur le sujet telle qu’exprimée notamment par le pape Jean-Paul II.»
Plus généralement, cette polémique pose la question des relations entre foi et droits humains, que Jean-Paul II a qualifiés de véritable «pierre milliaire placée sur la route longue et difficile du genre humain». A cet égard, la doctrine sociale de l’Eglise catholique romaine est claire: les droits humains, dont la source réside dans l’homme lui-même et en Dieu son Créateur, sont «universels, inviolables, inaliénables.» (apic/eda/amc)