Les derniers travaux de Benoît XVI rassemblés dans un livre
Ce qu’est le christianisme – Un quasi-testament spirituel (Mondadori, 20 janvier 2023) – rassemble les derniers textes de Benoît XVI, dont certains inédits, écrits après sa renonciation en 2013. Ce livre témoigne de l’intérêt encore vif du pontife théologien pour la disputatio – le débat universitaire – dans ses dernières années.
C’est en 2019 que Benoît XVI a confié la publication de ses derniers écrits à un de ses proches, le théologien italien Elio Guerriero, directeur de la revue Communio et auteur d’une biographie du 265e pape (Serviteur de Dieu et de l’humanité, Mame, 2017). Mgr Georg Gänswein, secrétaire particulier du pontife, a aussi participé à l’élaboration du volume, mais n’est pas cité par le défunt pontife dans ses remerciements. En tout, le volume de 192 pages est composé de 16 textes écrits par le pontife émérite entre 2014 et 2022, dont quatre inédits.
La peur du «tintamarre assassin»
Elio Guerriero explique dans une introduction à l’édition que la publication post-mortem de ces textes résulte de la polémique qui a éclaté après la publication de la contribution du pontife émérite sur le célibat des prêtres dans le livre Des profondeurs de nos cœurs (Fayard, 2020) du cardinal Robert Sarah. Confirmant les propos du pape rapportés par Mgr Gänswein dans ses mémoires, le théologien italien explique que Benoît XVI avait alors décidé qu’il ne publierait plus aucun texte de son vivant.
Le 265e pape en explique les raisons dans une lettre datée du 13 janvier citée par Elio Guerriero : «La furie des cercles qui s’opposent à moi en Allemagne est tellement forte que l’apparition de la moindre de mes paroles provoque immédiatement de leur part un tintamarre assassin».
Si on met de côté les textes déjà connus – quelques discours officiels, deux hommages dont un à Jean Paul II, deux préfaces, un entretien avec un jésuite et une correspondance avec un rabbin -, les inédits témoignent d’une volonté forte de poursuivre le débat avec la sphère intellectuelle catholique, en particulier avec celle de son pays.
Un dernier désaccord avec Karl Rahner
C’est le cas du premier inédit intitulé Ce qu’est la religion. Il s’agit d’un bref texte de six pages terminé le 19 mars 2022. Benoît XVI y propose une réflexion sur le «mouvement» historique des phénomènes religieux dans une perspective chrétienne. Il explique comment les polythéismes, et en particulier le paganisme, ont été intégrés dans les monothéismes après avoir été combattus et «épurés». Ce mouvement, explique-t-il en citant les travaux de Henri de Lubac, est au cœur du christianisme qui, avec le Christ, vient libérer les hommes de la peur de la puissance qu’ils attribuaient aux divinités.
«Benoît XVI récuse l’accusation d’intolérance portée contre le christianisme»
Il note qu’après le paganisme s’ouvrent deux voies: celle des monothéismes abrahamiques, dans lesquels «le Dieu unique, comme personne, détermine le monde entier», et de l’autre les religions mystiques, notamment le bouddhisme himalayen. Il souligne que cette tendance mystique, qu’il décrit comme une forme de religion tournée vers «l’annihilation» a trouvé un écho dans la culture européenne et même dans la théologie chrétienne.
Benoît XVI donne en exemple une citation attribuée à un de ses plus célèbres contradicteurs sur la scène théologique, l’Allemand Karl Rahner: «Le chrétien de demain sera mystique ou ne sera pas». Reconnaissant qu’il a «renoncé à comprendre ce que Rahner voulait dire avec cette phrase», il en déplore une interprétation qui considère que les religions chemineraient vers une «dévotion impersonnelle» du divin, une tendance selon lui «en contradiction totale» avec l’intention et le déploiement historique du christianisme.
L’intolérance contre le christianisme au nom de la tolérance
Le second texte, daté de décembre 2018 et long de 17 pages, est intitulé Monothéisme et tolérance. Il se présente comme une réponse à Corpora. Le pouvoir anarchiste du monothéisme, un essai écrit en 2018 par Eckhard Nordhofen, un théologien allemand qui souligne les liens entre l’affirmation du Dieu unique et l’intolérance. Benoît XVI conteste cette démonstration et déplore dans le même temps que le christianisme est aujourd’hui «victime précisément d’une intolérance croissante au nom de la tolérance».
Retraçant plusieurs épisodes de l’histoire du peuple juif dans l’Ancien Testament, Benoît XVI souligne la diversité des conceptions du monothéisme dans le récit biblique. Il récuse ensuite l’accusation d’intolérance portée contre le christianisme – parce qu’il prétendrait détenir la vérité -, assurant que le Christ crucifié est bien au contraire «le contrepoids authentique à toute forme d’intolérance».
Le christianisme n’est pas une «religion du Livre»
Suscité par une publication cette fois-ci d’un livre du théologien protestant Adolf von Harnack, le troisième texte inédit, Le dialogue islamo-chrétien, est une brève réflexion de quatre pages, terminée le 1er mars 2018. Dans ce texte, le pontife émérite souligne le malentendu qu’il voit dans l’expression «religion du Livre».
«Benoît XVI souligne le sens sacramental de la communion»
S’il la considère adaptée à l’islam et son rapport au Coran, que les musulmans décrivent comme révélé par Dieu au Prophète, il estime en revanche qu’elle ne l’est pas du tout pour le christianisme. Il met en garde contre une lecture erronée du dialogue interreligieux qui découlerait d’une conception idolâtre du texte biblique.
Un essai contre l’intercommunion
Le dernier texte inédit, La signification de la Communion, achevé le 28 juin 2018, se penche sur la question de l’intercommunion, c’est-à-dire la possibilité pour des chrétiens de différentes confessions de communier ensemble. L’Église catholique n’autorise pas l’intercommunion dans certains cas.
Dans les 22 pages de l’essai, au fil d’une longue réflexion sur le sens de l’eucharistie, Benoît XVI souligne le sens sacramental de la communion. Ce dernier, affirme-t-il, rend impossible de concevoir l’intercommunion avec les Églises protestantes. Il prône au contraire un «vrai œcuménisme» qui serait capable de ne pas nier les différences importantes qui existent entre confessions chrétiennes sur la question de la communion.
Benoît XVI a corrigé son essai publié dans le livre du cardinal Sarah
Les douze autres textes du livre sont connus et intouchés, sauf celui publié en 2020 dans Des profondeurs de nos coeurs, que Benoît XVI décrit comme «l’ouvrage du cardinal Sarah» dans sa préface. Il explique avoir repris la version alors publiée et lui avoir «donné un nouveau centre de gravité». Si l’objectif du texte initial – la défense des fondements théologiques du sacerdoce du prêtre – ne varie pas, la structure a en effet été largement réorganisée et enrichie de plusieurs paragraphes. (cath.ch/imedia/cd/rz)
Benoît XVI s'est éteint le 31 décembre 2022 à l'âge de 95 ans. Celui qui fut plus longtemps pape émérite que régnant a été marqué par son milieu d’origine, ancré dans la tradition catholique et hostile aux idéologies politiques extrêmes. Joseph Ratzinger a ainsi forgé sa carrière au sein de l'Eglise comme une "armure" contre les influences néfastes du monde extérieur.