Les couvents de la vallée séparés, d’un côté de l’autre de la nouvelle «frontière»
Jérusalem: Le mur de séparation à Crémisan «ne sert qu’à saisir des terres palestiniennes»
Jérusalem, 19 février 2013 (Apic) «Le but est de saisir autant de terres palestiniennes que possible et de relier les deux colonies israélienne de Gilo et Har Gilo, bâties sur des terres confisquées, tel est le véritable motif derrière la construction du mur de séparation». C’est ce qu’estime Me Ghiath Nasser, avocat des propriétaires fonciers de la Vallée de Crémisan, menacés par le mur de séparation israélien.
Le mur qui traverse les terres palestiniennes dans la zone de Bethléem-Beit Jala, est «illégal au plan du droit international», rappellent les évêques catholiques de Terre Sainte. Ce nouveau segment du mur de séparation qu’Israël s’apprête à construire va non seulement sectionner les terrasses verdoyantes et le vignoble de Crémisan, mais également séparer les Sœurs salésiennes, dont le couvent va se retrouver du côté palestinien, des moines salésiens, qui se retrouveront sur des terres annexées par Israël.
En octobre 2012, dans un communiqué, l’Assemblée des chefs des Eglises catholiques de Terre Sainte (AOCTS) avait déjà condamné l’itinéraire prévu par le projet d’un mur de séparation dans la vallée de Crémisan. Le communiqué indiquait alors que les confiscations de terres allaient affecter le village d’Al Walaja, ainsi que la vie de 58 familles chrétiennes de Beit Jala, «dont la subsistance dépend essentiellement de cette terre». Les deux congrégations locales salésiennes qui s’y trouvent «seront négativement affectées dans leur travail missionnaire envers la communauté locale».
Une bagarre qui dure depuis 7 ans
Me Ghiath Nasser l’a rappelé le 12 février dernier devant la cour d’appel de Tel Aviv. Cette dernière devait en effet se prononcer sur les recours présentés contre le projet de construction du mur de séparation israélien, coupant la vallée de Crémisan de Bethléem et des villages voisins.
Cette dernière audience, à laquelle participait également l’avocate Manal Hazzan-Abou Sinni, de la Société Saint-Yves, organisation catholique des droits de l’homme basée à Jérusalem et intervenant au nom du couvent des Sœurs salésiennes, a eu lieu après une série d’audiences qui ont débuté en 2006. C’est à cette époque qu’ont été présentés les plans de construction du mur de séparation et que les ordonnances de saisie militaires pour les terres de la vallée de Crémisan ont été prises.
Une stratégie pour s’emparer des terres et pour l’expansion des colonies
Me Ghiath Nasser a rappelé au Comité spécial d’appel du Tribunal de première instance de Tel-Aviv que la Cour suprême israélienne avait confirmé les verdicts précédents selon lesquels la construction du mur devait servir «à des fins de sécurité» et ne pouvait pas être utilisée comme une stratégie pour s’emparer des terres et pour l’expansion des colonies.
Lors de la séance qui a duré sept heures, la salle d’audience était bondée en raison de l’importance critique de la situation. L’évêque auxiliaire et vicaire général du Patriarcat latin de Jérusalem, Mgr William Shomali, le prêtre de la paroisse de Beit Jala, le Père Ibrahim Shomali, et le maire de Beit Jala, le Dr Nael Salman, étaient présents. Plusieurs des propriétaires fonciers de Beit Jala étaient présents eux aussi, accompagnés par l’architecte de la municipalité de Beit Jala.
Dans le public, on notait encore la présence des représentants de l’ambassade de France et d’Allemagne, un représentant du ministère allemand des Affaires étrangères et plusieurs organisations, dont l’UNRWA, CICDSE, Kairos Palestine et l’Applied Research Institute-Jerusalem (ARIJ).
Me Ghiath Nasser a relevé à cette occasion que le ministère israélien de la Défense n’a pas mené d’enquêtes suffisantes à Crémisan et ne tenait pas compte des dommages que le mur allait apporter à la vallée et à ses habitants. Par conséquent, le ministère devrait modifier l’itinéraire dans la région et construire plus loin, là où les dommages à la structure de la vie de la société palestinienne seraient moindres.
La cour a ensuite procédé à l’audition des plaidoiries finales de l’avocate Manal Hazzan-Abu Sinni au nom des religieuses qui risquent d’être spoliées. Me Hazzan a fondé ses arguments sur le droit humanitaire international et des droits de l’homme. Elle a souligné que les religieuses salésiennes étaient dans une position très délicate. Par conséquent, les religieuses, représentées par la Société Saint-Yves, avaient décidé de joindre les procédures judiciaires afin que justice leur soit rendue.
Israël a pourtant signé des conventions internationales
Me Hazzan-Abu Sinni a expliqué que la construction du mur allait porter atteinte à la qualité de vie des habitants en limitant la liberté de religion pour la communauté chrétienne, en portant atteinte au droit à l’éducation et en entravant le développement économique de la minorité chrétienne de Crémisan. La construction du mur isolera les gens de leurs terres et menacera l’existence du couvent des Sœurs salésiennes et de leur école.
Le couvent, créé il y a 60 ans, et l’école Don Bosco, servent la communauté locale, de manière tout à fait unique et contribuent à éduquer une jeunesse qui valorise l’amour et le respect. Elle a souligné que la construction du mur autour du couvent l’empêchera de poursuivre sa mission, ce qui détériorera la situation dans la communauté chrétienne de Beit Jala. Les 450 enfants qui fréquentent l’école des sœurs salésiennes devront aller dans une école «à l’aspect carcéral». En effet, selon l’AOCTS, le mur devrait venir buter sur les locaux du couvent, de telle sorte que des tours de guet militaires surplomberont la cour de récréation et la cantine.
L’avocate a rappelé que le droit international protège les minorités religieuses, en particulier la Convention pour les droits économiques et sociaux et la Convention relative aux droits de l’enfant. Depuis qu’Israël a signé ces conventions, il est tenu de respecter ces droits. Par conséquent, il doit s’abstenir de la construction du mur dans son tracé actuel et trouver une alternative qui permettra de protéger ces droits fondamentaux. La construction du mur autour de l’école, avec une porte sur le côté, mettrait les enfants en danger au cas où des confrontations et des heurts se produiraient avec l’armée, et conduira à la fermeture progressive de cette institution d’enseignement qui offre gratuitement l’enseignement primaire.
Le procureur israélien minimise l’importance de l’Eglise et du Vatican
Au cours de l’audience, le procureur de l’Etat d’Israël a tenté à plusieurs reprises de sous-estimer l’importance de l’Eglise et des représentants des ambassades dans la salle d’audience. Il a même affirmé que si le Vatican était en cause, il ne l’était qu’en tant que parti. Le procureur a également essayé de minimiser l’importance du couvent salésien en doutant que tous les membres de la communauté locale s’en servaient comme d’un lieu de prière. Il a également déclaré que les propriétaires fonciers avaient d’ores et déjà agi illégalement «en accédant à ce qu’ils prétendaient être leurs terres».
Il a même affirmé que ces terres palestiniennes étaient situées à l’intérieur de l’Etat d’Israël, et que les gens devaient déjà disposer de permis pour y accéder. Le procureur a enfin évoqué la construction du mur autour du couvent et de l’école salésienne en lâchant, de manière cynique, que le chemin de l’école reste ouvert et «que toutes les écoles sont entourées de clôtures! Pourquoi toute cette agitation autour du mur ?»
Le tribunal n’a pas pris de décision pour le moment, car le Comité spécial d’appel doit encore finir d’examiner les documents des sept dernières années, depuis que l’affaire a débuté. (apic/lpj/be)