Les cinq coups d’éclat d’un chaud pontificat
Visite à Auschwitz-Birkenau, polémique sur l’islam à Ratisbonne, tentatives de rapprochement avec les lefebvristes, trahison de son majordome: les épreuves n’ont pas manqué en presque huit ans du pontificat de Benoît XVI. Tour d’horizon.
1. Le nazisme
En mars 2006, Benoît XVI visite le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne. Il parle alors de la responsabilité du peuple allemand dans l’Holocauste. Et il se décrit comme «fils de ce peuple sur lequel un groupe de criminels a obtenu le pouvoir, moyennant des promesses fallacieuses, au nom de perspectives de grandeur, de récupération de l’honneur de la nation et de son relèvement, avec des prévisions de bien-être, et aussi avec la force de la terreur et de l’intimidation. Ainsi, notre peuple a-t-il pu être utilisé et abusé comme instrument de leur folie de destruction et de domination».
Ces propos semblant disculper le peuple allemand provoquent aussitôt une vague d’indignations, notamment de la part des milieux juifs. Selon le Grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni, le pape suggère que le peuple allemand était «lui-même victime et non pas du côté des persécuteurs». Pourtant, ces propos sont à replacer dans le contexte de la jeunesse de Benoît XVI, enrôlé de force dans les Jeunesses hitlériennes et qui a vécu la situation de l’intérieur. Pour Jean Mercier, ancien rédacteur en chef adjoint de La Vie, le pontife allemand voulait principalement «faire justice à l’humiliation subie par ces Allemands qui n’adhérèrent pas aux idées d’Hitler et durent souffrir, impuissants, l’inexorable descente aux enfers de leur nation».
2. Le discours de Ratisbonne
En septembre 2006, un discours de Benoît XVI sur les liens entre la raison et le christianisme, à l’Université de Ratisbonne, enflamme le monde musulman. Le pape cite les Entretiens avec un musulman de Manuel Paléologue, un empereur byzantin des 14e et 15e siècles, dialoguant avec un sage persan de la pertinence du djihad, la guerre sainte. L’extrait demande: «Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras sans doute rien que de mauvais et d’inhumain, par exemple le fait qu’il a prescrit que la foi qu’il prêchait, il fallait la répandre par le glaive».
Ce bref passage repris et amplifié par la presse américaine (juste cinq ans après les attentats de New York en 2001 NDLR) provoque de très fortes réactions, surtout dans le monde musulman. Des groupes islamistes manifestent violemment, des églises seront incendiées, une religieuse assassinée en Somalie. Même si le pontife se déclare «vivement attristé» par les réactions à ses propos, l’incident ternira, dans un premier temps, le lien entre les milieux musulmans et le Vatican.
Comment Benoît XVI a-t-il pu mésestimer la portée de ses paroles ? Dans le livre Lumière du monde (2010), une interview avec Peter Seewald, le pape reconnaît que son discours était «conçu comme un texte strictement académique, sans être conscient que la lecture que l’on fait d’un discours pontifical n’est pas académique mais politique». Bref, le professeur qu’il a été a piégé le pape qu’il est devenu.
Toutefois, la crise passagère avec les musulmans va donner des fruits: 138 érudits musulmans lui écriront pour entamer un dialogue avec le christianisme. Et bientôt l’option du pape en faveur du dialogue interreligieux et interculturel est reconnue sans ambiguïté. «Nous menons aujourd’hui un combat commun, dira Benoît XVI. Ce qui nous rassemble, c’est d’une part que nous défendons de grandes valeurs religieuses et que, d’autre part, nous devons trouver une juste place dans la modernité».
3. Rapprochement avec la FSSPX
En publiant le motu proprio Summorum pontificum, le 7 juillet 2007, Benoît XVI libéralise la messe d’avant Vatican II et donne des gages aux milieux traditionnalistes, provoquant l’ire des progressistes. Les principales critiques concernent l’apparition d’un bi-ritualisme, qui pourrait fragiliser l’unité de l’Eglise. La volonté de rapprochement avec les traditionnalistes se concrétise le 24 janvier 2009, par la levée des excommunications de quatre évêques de la Fraternité sacerdotale St-Pie X (FSSPX). La présence parmi ceux-ci de Mgr Richard Williamson, connu pour ses positions négationnistes, provoque un énorme scandale.
Comme préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger avait été le principal interlocuteur de Mgr Lefebvre, entre 1982 et 1988, sans parvenir à le maintenir dans le giron romain. Le prélat allemand en avait peut-être gardé un sentiment d’échec. A la tête de l’Eglise, il s’efforcera de rétablir cette unité.
Pour le chanoine Claude Ducarroz, prévôt émérite de la cathédrale St-Nicolas de Fribourg, la «germanité» de Benoît XVI a eu une grande influence sur les relations qu’il a entretenues avec les autres confessions chrétiennes et avec les fractions dissidentes de l’Eglise, en particulier la FSSPX, séparée de Rome depuis 1988. En effet, Joseph Ratzinger a, de par son héritage culturel allemand, une conscience très forte des conséquences désastreuses du schisme de la Réforme protestante sur la chrétienté. Il en résultait certainement pour le pontife le sentiment de devoir éviter à tout prix – et si possible réparer – ce genre de rupture.
Claude Ducarroz n’exclut pas que Benoît ait pu avoir quelques convergences de vues avec la FSSPX, notamment concernant la méfiance envers le monde extérieur et le sentiment de perte d’une certaine grandeur liturgique. C’est d’ailleurs dans ce domaine, principalement, que Joseph Ratzinger a donné des gages aux traditionnalistes. Il n’a cependant pas voulu aller plus loin dans le compromis. Le prévôt émérite estime que le découragement qui a résulté de l’échec des négociations avec la Fraternité a joué un rôle important dans sa renonciation. Mais l’affaire révèlera aussi les graves dysfonctionnements au sein de la Curie. Benoît XVI n’a pas été informé des positions négationnistes de Richard Williamson, signe de graves déficiences de communication dans l’entourage du pape. (Williamson finira par être exclu de la FSSPX. NDLR)
4. Le fléau de la pédophilie
Les abus sexuels au sein de l’Eglise reviennent sur le devant de la scène en 2010. Après l’énorme scandale aux Etats-Unis dans les années 2000, les révélations sur des affaires anciennes surgissent en Irlande, en Belgique et en Allemagne. « Nous avons tous été bouleversés, confie Benoît XVI dans Lumière du monde. On aurait presque dit un cratère du volcan d’où surgissait soudain un énorme nuage de poussière qui assombrissait et salissait tout, si bien que toute la prêtrise apparut comme un lieu de honte et que chaque prêtre fut soupçonné d’être l’un de ceux-là».
L’affaire ne prend pas le pape totalement au dépourvu. Comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il avait déjà eu à traiter des scandales venant Etats-Unis. Mais «dans cet ordre de grandeur, dira-t-il, ce fut un choc inouï». Le pape convoquera les épiscopats concernés et exigera que toute la lumière soit faite.
Il insiste également sur l’obligation de collaborer avec la justice civile et rencontre des victimes d’abus sexuels. De fait, le pontife allemand restera dans l’histoire comme le premier à avoir réellement fait face au fléau de la pédophilie. Devant l’ampleur du scandale qui marque encore durablement l’Eglise, le pape François lui a emboîté le pas de manière résolue.
5. «Vatileaks»
En mai 2012, le journaliste italien Gianluigi Nuzzi publie son nouveau livre, Sa Sainteté, qui révèle, à travers des documents confidentiels du Vatican, les querelles et les intrigues intestines du Saint-Siège. L’ouvrage ébranle fortement l’institution. C’est le début des Vatileaks, un feuilleton repris par les médias qui mettra en lumière de graves dysfonctionnements et une profonde crise de confiance à la tête de l’Eglise catholique.
L’ouvrage de Nuzzi dénonce pêle-mêle la prétendue corruption régnant au Vatican, son manque de transparence financière, ainsi que les négociations secrètes avec l’Etat italien pour maintenir ses exonérations fiscales. Le livre aborde également les scandales de pédophilie, les dérives de plusieurs évêques à travers le monde, ainsi que les rivalités au sein de la Curie. Si le texte ne touche pas à l’image de Benoît XVI, il met au grand jour l’ambiance délétère qui règne parmi les cardinaux.
L’auteur s’appuie sur des lettres destinées au pape et à son secrétaire particulier Mgr Georg Gänswein, des documents confidentiels de la secrétairerie d’Etat et des photographies non destinées à être diffusées. A la recherche de l’origine des fuites, la gendarmerie vaticane arrête le 23 mai Paolo Gabriele, le majordome du pape. Ce dernier sera condamné le 6 octobre par le tribunal de la Cité du Vatican à 18 mois d’emprisonnement pour vol aggravé. Le pape lui accordera sa grâce le 22 décembre.
De fait, la trahison de son majordome affectera fortement Benoît XVI, qui apparaîtra de plus en plus affaibli. L’affaire confirmera l’absence criante de communication entre les dicastères et la persistance, au sein de la Curie, d’une culture du secret. Elle montrera aussi les limites des capacités de gestion du pape allemand. Pour de nombreux observateurs, cet épisode aura été déterminant dans sa décision de renoncer à sa fonction. (cath.ch/rz)
Benoît XVI s'est éteint le 31 décembre 2022 à l'âge de 95 ans. Celui qui fut plus longtemps pape émérite que régnant a été marqué par son milieu d’origine, ancré dans la tradition catholique et hostile aux idéologies politiques extrêmes. Joseph Ratzinger a ainsi forgé sa carrière au sein de l'Eglise comme une "armure" contre les influences néfastes du monde extérieur.