Les confidences du pape François à Dominique Wolton
Le pape François a accordé douze entretiens très libres, pendant plus de deux ans, au chercheur français Dominique Wolton. Ils sont rassemblés dans un livre, Pape François Rencontre avec Dominique Wolton Politique et société, un dialogue inédit (Editions de L’Observatoire).
Le Figaro a publié le 1er septembre 2017 des extraits exclusifs de cet ouvrage à paraître le 6 septembre prochain. Sans conformisme ni langue de bois, ce livre illustre la vision du pape pour l’Eglise et la société: abattre les murs et construire des ponts.
Migrants
«Notre théologie est une théologie de migrants. Parce que nous le sommes tous depuis l’appel d’Abraham, avec toutes les migrations du peuple d’Israël, puis Jésus lui-même a été un réfugié, un immigrant. Et puis, existentiellement, de par la foi, nous sommes des migrants. La dignité humaine implique nécessairement ›d’être en chemin’. Quand un homme ou une femme n’est pas en chemin, c’est une momie. (…) La première chose que l’on doit faire, et je l’ai dit devant les Nations Unies, au Conseil de l’Europe, partout, c’est de trouver là-bas, des sources de création d’emplois, et d’y investir».
Europe
«L’Europe peut perdre le sens de sa culture, de sa tradition. Pensons que c’est l’unique continent à nous avoir donné une aussi grande richesse culturelle, et cela je le souligne. L’Europe doit se retrouver en revenant à ses racines. Et ne pas avoir peur. Ne pas avoir peur de devenir l’Europe mère. (…) L’Europe, en ce moment, a peur. Elle ferme, ferme, ferme…»
Laïcité
«Je crois que dans certains pays comme en France, cette laïcité a une coloration héritée des Lumières beaucoup trop forte, qui construit un imaginaire collectif dans lequel les religions sont vues comme une sous-culture. Je crois que la France – c’est mon opinion personnelle, pas celle officielle de l’Eglise – devrait ›élever’ un peu le niveau de la laïcité, dans le sens où elle devrait dire que les religions font, elles aussi, partie de la culture».
Célibat sacerdotal et religieux
«Renoncer à la sexualité et choisir le chemin de la chasteté ou de la virginité, c’est toute une vie consacrée. Et quelle est la condition sans laquelle ce chemin meurt ? C’est que ce chemin porte à la paternité ou à la maternité spirituelle. (…) La virginité, qu’elle soit masculine ou féminine, est une tradition monastique qui préexiste au catholicisme. C’est une recherche humaine: renoncer pour chercher Dieu à l’origine, pour la contemplation».
Mariage
«Depuis toujours dans l’humanité, et non pas seulement dans l’Eglise, c’est un homme et une femme. On ne peut pas changer cela comme ça, à la belle étoile… (…) C’est la nature des choses. Elles sont comme ça. Appelons donc cela les ›unions civiles’. Ne plaisantons pas avec les vérités. Il est vrai que derrière cela, il y a l’idéologie du genre. Dans les livres aussi, les enfants apprennent que l’on peut choisir son sexe. Parce que le genre, être une femme ou un homme, serait un choix et pas un fait de la nature ? Cela favorise cette erreur».
Tradition et traditionalistes
«Comment grandit la tradition? Elle grandit comme grandit une personne: par le dialogue, qui est comme l’allaitement pour l’enfant. (…) En dialoguant et en écoutant une autre opinion, je peux, comme dans le cas de la peine de mort, de la torture, de l’esclavage, changer mon point de vue. Sans changer la doctrine. La doctrine a grandi avec la compréhension. Ça, c’est la base de la tradition. (…) En revanche, l’idéologie traditionaliste a une foi comme ça (il fait le geste des œillères): la bénédiction doit se donner comme ça, les doigts pendant la messe doivent être comme ça, avec les gants, comme c’était le cas avant… Ce qu’a fait Vatican II de la liturgie a été vraiment une très grande chose. Parce que cela a ouvert le culte de Dieu au peuple. Maintenant, le peuple participe».
L’islam et les musulmans
«Ils n’acceptent pas le principe de la réciprocité. Certains pays du Golfe aussi sont ouverts, et nous aident à construire des églises. Pourquoi sont-ils ouverts? Parce qu’ils ont des ouvriers philippins, des catholiques, des Indiens… Le problème, en Arabie saoudite, c’est que c’est vraiment une question de mentalité. (…) Je pense que cela leur ferait du bien de faire une étude critique du Coran, comme nous l’avons fait avec nos Ecritures».
Sainteté
«Il y a tellement de sainteté. C’est un mot que je veux utiliser dans l’Eglise aujourd’hui, mais au sens de la sainteté quotidienne, dans les familles… (…) Quand je parle de cette sainteté ordinaire, que j’ai appelée l’autre fois la ›classe moyenne’ de la sainteté… vous savez ce que cela m’évoque? L’Angélus de Millet. C’est cela qui me vient à l’esprit. La simplicité de ces deux paysans qui prient. Un peuple qui prie, un peuple qui pèche, et puis se repent de ses péchés. Il y a une forme de sainteté cachée dans l’Eglise. Il y a des héros qui partent en mission. Vous, les Français, vous avez fait beaucoup, certains ont sacrifié leur vie. C’est ce qui me frappe le plus dans l’Eglise: sa sainteté féconde, ordinaire. Cette capacité de devenir un saint sans se faire remarquer».
Amoris laetitia
«Au sujet des familles blessées, je dis dans le huitième chapitre qu’il y a quatre critères: accueillir, accompagner, discerner les situations et intégrer. Et ça, ce n’est pas une norme figée. Cela ouvre une voie, un chemin de communication. On m’a tout de suite demandé: ›Mais peut-on donner la communion aux divorcés ?’ Je réponds: ›Parlez donc avec le divorcé, parlez avec la divorcée, accueillez, accompagnez, intégrez, discernez !’ Hélas, nous, les prêtres, nous sommes habitués aux normes figées. Aux normes fixes. (…) Les grands de l’Eglise sont ceux qui ont une vision qui va au-delà, ceux qui comprennent: les missionnaires».
Vatican
«Je suis libre. Je me sens libre. Ça ne veut pas dire que je fais ce que je veux, non. Mais je ne me sens pas emprisonné, en cage. En cage ici, au Vatican, oui, mais pas spirituellement. Je ne sais pas si c’est ça… A moi, rien ne me fait peur. C’est peut-être de l’inconscience ou de l’immaturité !» (cath.ch/imedia/be)