Les chrétiens libanais, héritiers d’une histoire complexe 1/2
Difficile de démêler l’imbroglio libanais sans évoquer la place des chrétiens au Pays du Cèdre. Explications sur le rôle des Eglises chrétiennes et leurs relations avec les autres communautés religieuses.
Le nombre des chrétiens du Liban est habituellement estimé à 45% des Libanais. «Je dirais plutôt qu’ils sont entre 25% et 30% à l’heure actuelle, sur les 4 millions de Libanais, auxquels se sont ajoutés plus d’un million de réfugiés syriens, sunnites», indique Luc Balbont, journaliste et spécialiste du Moyen-Orient. Ce pourcentage est le plus élevé des pays du Proche-Orient. Au Liban, les chrétiens sont bien implantés, selon une configuration d’Eglises diverses, fruit d’une riche histoire.
Saint Charbel
La première confession chrétienne est incontestablement l’Eglise maronite qui représente environ 60% des chrétiens du pays. Rattachée à Rome, elle est placée sous la houlette du patriarche d’Antioche des Maronites (c’est son titre officiel), Mgr Béchara Boutros Raï. L’Eglise maronite est née dans le sillage de l’ermite Maroun al-Qorashi, qui vécut dans le nord de la Syrie au 4e siècle.
Elle compte de grandes figures spirituelles et plusieurs communautés religieuses, très investies dans l’éducation et les soins. A côté de saint Maroun, l’ermite saint Charbel Makhlouf (1828-1898) est une figure dominante du panthéon religieux national. Saint thaumaturge, sa tombe au monastère d’Annaya, dans la montagne libanaise, ne cesse d’attirer les pèlerins et les malades de toutes les religions. C’est là que l’ermite, reclus, a vécu jusqu’à sa mort. Des guérisons qui s’y sont produites ont conduit aux procès de béatification en 1965 et de canonisation en 1977.
Eglises unies à Rome
Dans les communautés chrétiennes libanaises qui «viennent ensuite», la représentation numérique place en tête l’Eglise grecque-orthodoxe, puis l’Eglise grecque-catholique melkite (catholiques de rite byzantin), c’est-à-dire ralliée à Rome. Les Eglises arméniennes, apostolique et catholique, sont ensuite représentées.
Au Liban existent aussi les Eglises catholiques orientales, possédant chacune un rite propre, tout en étant rattachées à Rome. C’est le cas de l’Eglise syriaque et de l’Eglise chaldéenne. Elles sont numériquement minoritaires en dépit des titres retentissants de leurs chefs spirituels : «patriarche d’Antioche et de tout l’Orient» pour les syriaques, et «catholicos-patriarche de Babylone des Chaldéens» pour ces derniers.
L’Eglise assyrienne
Les Eglises protestantes sont également présentes sur le territoire. Et l’Eglise catholique romaine, très minoritaire, figure en propre parmi les communautés religieuses libanaises. Reste une autre curiosité au Pays du Cèdre: l’Eglise apostolique assyrienne, dite Eglise nestorienne. Celle-ci, placée sous la houlette du catholicos-patriarche de la sainte Eglise apostolique assyrienne, est l’héritière directe de l’Apôtre Thomas, avec siège à Erbil, au Kurdistan irakien. Les connaisseurs du panorama libanais précisent toujours que le bouquet d’une dizaine de communautés chrétiennes ne serait pas complet sans l’Eglise copte. Celle-ci est la filiale directe de l’Eglise basée en Egypte.
La montée de Daech
Les communautés s’entendent entre elles, mais cela n’empêche pas les faux pas. «Un jour, raconte Luc Balbont, le patriarche maronite Béchara Raï avait invité les autres Eglises pour la fête de saint Charbel, une démarche habituelle car les patriarches s’invitent toujours pour leurs fêtes propres. Et il a oublié de convier les syriaques catholiques, qui en ont été vexés.»
Pourtant, de manière générale, les Eglises jouent la carte de la solidarité entre elles… Avec la montée de Daech, le prétendu Etat islamique, un vrai danger du côté musulman, les chrétiens se sont serré les coudes. Les mariages intercommunautaires sont également plus fréquents aujourd’hui. Un melkite peut épouser une chaldéenne, sans difficultés.
Pourtant les communautés vivent aussi des jalousies, parfois. Les maronites, les plus nombreux, «sont souvent perçus comme arrogants par les autres chrétiens. Mais il faut bien dire que sans les maronites, il n’y aurait pas de Liban, dit Luc Balbont. Car ils ont défendu l’identité libanaise au moment des virages politiques.»
«Sans les chrétiens, on est foutus»
De fait, dans l’histoire religieuse du pays se côtoient des périodes plus ou moins harmonieuses ou orageuses, entre chrétiens et druzes (avec des massacres de chrétiens en 1860), chrétiens et sunnites, chrétiens et chiites. Lorsque les chrétiens étaient présents sur la plus grande partie du territoire, notamment en 1943, au moment de la naissance de la République du Liban, les relations entre communautés étaient plus pacifiques.
Aujourd’hui, la présence chrétienne s’érode: les jeunes diplômés quittent le pays de plus en plus fréquemment. Et ils viennent souvent de familles chrétiennes, plus éduquées. La fragilité politique du pays, illustrée par les manifestations existant dès octobre 2019, l’explosion au port de Beyrouth et la démission du gouvernement, ne facilite pas la cohabitation. «Mais les musulmans eux-mêmes sont favorables à la présence chrétienne au Liban, martèle le spécialiste Balbont, au service de l’ONG L’Œuvre d’Orient à Paris. ‘Si les chrétiens s’en vont, on est foutus’, disent les musulmans modérés. Il faut donc bien connaître les chrétiens et connaître leur mentalité. Ils sont profondément religieux. Et j’admire le travail formidable des écoles chrétiennes qui éduquent ensemble les jeunes chrétiens et les jeunes musulmans. Quand on grandit côte à côte dès l’enfance, on voit l’autre autrement.» Espoirs d’un pays au bord du gouffre. (cath.ch/bl)
Difficile de démêler l’imbroglio libanais sans évoquer la place des chrétiens au Pays du Cèdre. Explications sur le rôle des Eglises chrétiennes et leurs relations avec les autres communautés religieuses.