Genève: Spécialiste des Eglises orientales, Christine Chaillot craint pour l’avenir des coptes

Les chrétiens égyptiens ont peur de l’influence salafiste

Genève, 6 septembre 2011 (Apic) Depuis la chute du régime Moubarak, qui a laissé le champ libre aux courants islamistes fondamentalistes, les coptes ont de vives craintes pour leur avenir en terre égyptienne. Crainte que partage l’écrivaine genevoise Christine Chaillot. Spécialiste des Eglises d’Orient, elle sort le 22 septembre un ouvrage intitulé «Les Coptes d’Egypte. Discriminations et persécutions (1970-2011)», aux Editions de l’Oeuvre à Paris, avec une préface d’Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient.

Les chrétiens coptes, dont l’origine remonte à l’Eglise d’Alexandrie fondée par l’évangéliste saint Marc, forment une population d’environ 7 à 8 millions de fidèles. Cette Eglise, l’une des plus anciennes au monde, possède ses propres rites et constitue la plus importante communauté chrétienne du Moyen-Orient. Aujourd’hui, estime Christine Chaillot, l’influence salafiste (*) se fait dangereusement sentir en Egypte.

La presse internationale évoque depuis quelques semaines le problème posé par les groupes militants islamistes opérant dans le Sinaï, depuis que l’appareil de sécurité égyptien s’est effondré dans le sillage de la chute du régime Moubarak.

Certes, la présence des islamistes purs et durs dans la région remonte déjà au milieu des années 1980, lorsque des prédicateurs salafistes et autres ont commencé à répandre la «da’awa» (l’appel à l’islam avant tout). La presse égyptienne montrait alors du doigt des groupes militants, en particulier le Djihad islamique et la Gama’a Islamiya, groupes qui réclamaient déjà l’instauration d’un «émirat islamique» dans la région…

Apic: Depuis des années, vous publiez des ouvrages sur les Eglises orientales…

Christine Chaillot: Depuis 1993, j’ai publié des livres sur la vie et la spiritualité des Eglises orientales, traduits dans diverses langues nationales (arabe, amharique) et autres (anglais, russe). Ils offrent une présentation générale de ces Eglises: histoire, spiritualité, vie liturgique, vie monastique, littérature, pour qu’on apprenne à mieux connaître ces très anciennes communautés chrétiennes.

Ce printemps, j’ai publié aux Editions du Cerf, à Paris, le livre intitulé «Vie et spiritualité des Eglises orthodoxes orientales des traditions syriaque, arménienne, copte et éthiopienne», avec une préface du Père Boris Bobrinskoy.

Apic: Dans votre prochain livre, «Les Coptes d›Egypte. Discriminations et persécutions (1970-2011)», vous dressez un tableau des 40 dernières années d’attaques, de discriminations, voire de persécutions…

Christine Chaillot: Je documente dans cet ouvrage les attaques visant les coptes depuis 1970, qui ne sont pas toujours relatées par la presse. On nous dit souvent de ne pas en parler, pour ne pas aggraver la situation des chrétiens locaux, qui vivent sous la menace.

Mon livre a été motivé par le massacre de six coptes et d’un policier musulman, le 6 janvier 2010, à la sortie d’une église, à Nag’a Hamadi, en Haute-Egypte, la veille du Noël copte. Une dizaine d’autres personnes avaient été blessées. Puis survint l’attentat du 1er janvier 2011 à Alexandrie, lors duquel vingt-et-un coptes furent tués et soixante-dix-neuf blessés. Ces deux attentats ne sont que les plus graves d’une longue liste dont le massacre de 22 chrétiens coptes dans le village d’el-Kosheh, dans le gouvernorat de Sohag, en Haute-Egypte (à 450 km au sud du Caire), aux premiers jours du mois de janvier 2000.

Dans mon prochain livre, le 1er chapitre est intitulé «Noël sanglant pour les coptes en Egypte». J’aborde ensuite notamment l’histoire des violences contre les coptes, les problèmes principaux qu’ils rencontrent en Egypte où ils sont discriminés dans de nombreux domaines. D’autres chapitres traitent de la diaspora copte et des associations créées en diaspora et en Egypte pour soutenir les droits des coptes en Egypte, ainsi que de la politique de l’ONU et de l’Union européenne concernant les droits des coptes. Je fais finalement des propositions de changements.

Apic: En quoi consistent les discriminations dont sont victimes les coptes ?

Christine Chaillot: Elles sont multiples: pour trouver un logement et un travail, pour leur promotion professionnelle, etc. Au niveau de la fonction publique, les chrétiens sont sous représentés dans la police, l’armée, les services civils et juridiques, les fonctions gouvernementales et le système éducationnel, ainsi que dans les hauts postes des universités et les médias, sans parler des services de sécurité.

Quant aux attaques contre les chrétiens, les observateurs relèvent qu’elles augmentent depuis deux ou trois ans. Pour reprendre l’analyse du Père Henri Boulad, jésuite égyptien d’ascendance syrienne, l’»âge d’or», où en Egypte chrétiens et musulmans vivaient en bonne harmonie tant sur le plan politique que social, s’étend de 1850 à 1950. Durant cette période, les chrétiens étaient devenus des citoyens pour ainsi dire égaux aux musulmans. Depuis les années 1970, sous le règne du président Anouar el-Sadate, la montée de l’islamisme a malheureusement marginalisé les chrétiens. C’est lui qui a fait appliquer en 1980 l’amendement constitutionnel concernant l’article 2 de la Constitution égyptienne, qui dit que la charia (la loi islamique) est la source principale de la législation.

La pression sur les chrétiens se fait sentir dans toute l’Egypte, plus particulièrement dans certaines zones sensibles de la Haute-Egypte où les chrétiens ont connu des persécutions, en particulier dans les années 1990 lorsque les milices fondamentalistes, des groupes comme le Gama’a Islamiya ou la Djihad Islamique faisaient régner la terreur, surtout dans la région d’Assiout, au sud du pays. Ces derniers ont alors tenté d’imposer l’»impôt de protection», la jizya (**), dû en Egypte jusqu’en 1855 par les non musulmans!

Non seulement des chrétiens coptes sont attaqués, mais aussi leurs églises. Commerces et magasins leur appartenant sont dévalisés, parfois brûlés. A l’école, on présente l’islam comme étant le socle religieux de la nation égyptienne; on n’enseigne pas les autres religions.

En histoire, on fait un saut de l’époque pharaonique à l’implantation de l’islam, en faisant l’impasse sur le passé chrétien de l’Egypte: six siècles et demi d’histoire égyptienne sont ainsi omis! Notons tout de même qu’il y a en Egypte des ONG comptant des musulmans dans leurs rangs qui prennent la défense de la minorité chrétienne.

Apic: La chute du régime Moubarak annonce-t-elle un regain de discrimination contre les chrétiens ?

Christine Chaillot: Pour le moment, on note une ouverture. Par exemple, le gouvernement de transition a adopté une loi le 26 juin dernier permettant aux chrétiens devenus musulmans pour différentes raisons de retourner dans leur communauté de foi chrétienne. Chaque année, des milliers de chrétiens se font musulmans pour des raisons économiques, professionnelles, également pour divorcer – car les coptes orthodoxes et catholiques divorcés ne peuvent se remarier.

Concernant les constructions et réparations des lieux de culte, le gouvernement de transition parle de la possibilité que les mêmes règles s’appliquent aux mosquées et aux églises.

C’est positif, mais on doit se poser la question de l’avenir: il est possible que les Frères musulmans aient la majorité lors des prochaines élections parlementaires, prévues pour novembre prochain. Pour eux, il ne faut rien changer en ce qui concerne l’article 2 de la Constitution. On dit de ne pas s’inquiéter, car l’armée égyptienne fait barrage à l’islamisme, mais en réalité, l’armée égyptienne est truffée de Frères musulmans et de fondamentalistes.

Apic: Les fondamentalistes risquent-ils de prendre le pouvoir par les urnes ?

Christine Chaillot: Le 20 juin 2011, lors d’une conférence de presse, Ahmed al-Tayeb, imam d’Al-Azhar a dit «soutenir l’établissement d’un Etat national constitutionnel, démocratique et moderne». Il a souligné la nécessité de la séparation des pouvoirs, de l’égalité des droits entre tous les citoyens, de la protection des lieux de culte des trois religions monothéistes. Mais par ailleurs il a confirmé son attachement à l’article 2 de la Constitution actuelle, qui fait de la charia la source principale de la législation.

En Occident, il nous faut être solidaires des chrétiens d’Orient; tout Etat est responsable de tous ses citoyens, sinon certains sont des «dhimmis», des protégés, des citoyens de seconde zone. Actuellement, l’arme la plus meurtrière consiste à attiser les dissensions confessionnelles.

Alors que les partis libéraux se multiplient et ne se rassemblent pas (ce qui en ferait une véritable force d’opposition), les Frères musulmans risquent d’être les gagnants. Les dés semblent jetés, mais il reste à savoir jusqu’à quel degré ces possibles vainqueurs des élections voudraient alors appliquer la charia! JB

Encadré

#Chrétiens d’Orient, témoins vivants d’un christianisme très ancien

Dans son dernier ouvrage «Vie et spiritualité des Eglises orthodoxes orientales des traditions syriaque, arménienne, copte et éthiopienne», paru en mars 2011, Christine Chaillot rappelle que ces chrétiens souvent oubliés sont les témoins vivants d’un christianisme très ancien. La Mésopotamie fut le berceau des Syriaques orthodoxes qui pratiquent encore une langue voisine de l’araméen que parlait le Christ. Les Arméniens furent les premiers à fonder un Etat-royaume chrétien au tout début du IVe siècle. Les Coptes orthodoxes ont répandu le christianisme en Egypte dès le temps de l’évangéliste saint Marc.

Quant aux Ethiopiens, rattachés juridiquement à l’Eglise copte jusqu’au milieu du XXe siècle, ils ont christianisé officiellement leur région dès le IVe siècle.

Ce livre peut aussi servir au dialogue œcuménique entre chrétiens, et également au dialogue interreligieux, en particulier avec les musulmans, autres enfants d’Abraham. «Le dialogue passe aussi par la découverte de la spiritualité. Et c’est bien cette spiritualité profonde et vivifiante des Eglises orthodoxes orientales que ce livre nous permet de découvrir», note dans sa préface le Père Boris Bobrinskoy, ancien professeur de dogmatique à l’Institut Saint-Serge à Paris.

Ce volume est une compilation de livres précédemment publiés par l’auteure en langue anglaise, consacrés aux Eglises non chalcédoniennes du Kerala (The Malankara Orthodox Church, Genève, 1996), de Syrie et d’ailleurs au Moyen-Orient (The Syrian Orthodox Church of Antioch, Genève, 1998), d’Ethiopie (The Ethiopian Tewahedo Church Tradition, Paris, 2002), d’Egypte (The Coptic Orthodox Church, 2005) à laquelle s’ajoute une étude inédite sur l’Eglise arménienne. JB

(*) Salafisme: mouvement sunnite revendiquant un retour à l’islam des origines, fondé sur le Coran et la sunna. Aujourd’hui, le terme désigne une mouvance très fondamentaliste, constituée en particulier d’une tendance traditionaliste et d’une autre qualifiée de «djihadiste». Ce mouvement affirme constituer la continuation sans changement de l’islam des premiers siècles.

(**) Jizya: impôt spécial à payer par les non musulmans, chrétiens et juifs, pour soi-disant assurer leur protection. Cette taxe, prescrite par le Coran (9,29), fut abolie en Egypte en 1855 par le pacha Saïd. En Egypte, dans les années 1990, certains musulmans fondamentalistes ont exigé de certains chrétiens qu’ils la payent à nouveau, sous peine de mort.

Des photos de Christine Chaillot (prix CHFR 80.– pour la première, CHFR 60.– pour les suivantes) peuvent être commandées auprès de l’Apic: apic@kipa-apic.ch, Tél. 026 426 48 11 (apic/be)

6 septembre 2011 | 11:20
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
Egypte (289), Genève (410)
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