Les Borghese, politiques et mécènes dans le sang (3/5)
Connue comme l’une des grandes lignées romaines, la famille Borghese puise pourtant ses origines près de Sienne. C’est un homme dont le prénom était Borghese, petit-fils d’un marchand de laine du 13e siècle nommé Tiezzo de Monticiano, qui aurait donné son nom à cette illustre descendance. Ambassadeurs, capitaines, magistrats ou encore juristes, ses membres font donc partie de l’intelligentsia de la cité toscane à la fin du Moyen-Âge. Et c’est la domination de la famille Médicis à Sienne qui va leur ouvrir les portes de la Cité Éternelle entre 1551 et 1554.
Claire Guigou, I.MEDIA
Premier chef de famille à s’installer à Rome, Marcantonio Borghese est considéré comme le fondateur de la «dynastie Borghese» romaine. Quelques années plus tard, la famille, pourtant bien loin des ors du Vatican, est bouleversée par un événement de taille : le 16 mai 1605, Camillo Borghese, le fils de Marcantonio, est élu pape sous le nom de Paul V (1605-1621). Son pontificat est marqué par une application stricte du droit canon, s’inscrivant dans le courant de la Contre-Réforme, mais qui témoigne également d’une grande richesse artistique.
Paul V est en effet connu pour avoir achevé la basilique Saint-Pierre de Rome et avoir fait graver la frise qui surplombe la loge des bénédictions – la loge centrale de la basilique, qui domine la place Saint-Pierre. Fondateur des Archives apostoliques du Vatican, ce pape à la fibre mécène agrandit également la bibliothèque du petit État. S’il laisse condamner les travaux de Copernic en 1616, il nourrit indéniablement une grande passion pour la science et confie au botaniste Jean Faber la tâche d’enrichir les jardins du Vatican de plantes rares. Enfin, il embellit Rome de nombreuses fontaines, dont une, l’Acqua Paola, sur le Janicule, porte encore son nom.
Le pape place ses proches à des postes-clés
Pratiquant le népotisme, le seul pape de l’illustre famille siennoise effectue une série de nominations qui marquent le début de l’ascension des Borghèse à Rome. Il commence tout naturellement par ses propres frères : l’un est nommé général de l’armée papale et le second gouverneur du Borgo, le «bourg» situé au pied de la colline du Vatican. Mais l’une des nominations les plus significatives de son pontificat reste celle de son neveu, Scipione Caffarelli-Borghese (1577-1633), qu’il créé cardinal.
Considéré comme l’une des plus grandes figures de l’art baroque, celui-ci est connu pour avoir «découvert» le Bernin dont il favorise allègrement l’ascension. Répondant à ses multiples commandes, le sculpteur conçoit pour ce féru d’art de multiples chefs-d’œuvres dont le célèbre David (1623). Il soutient encore Michel-Ange et tous les plus grands : Le Caravage, Le Dominiquin, Pierre Paul Rubens ou encore Guido Reni bénéficient chacun à un moment de leur carrière de son immense influence.
On ne dit pas non aux offres d’un Borghese : afin de mettre la main sur les œuvres qu’il convoite, le cardinal n’hésite d’ailleurs pas à utiliser la coercition. C’est ainsi qu’il jette le Cavalier d’Arpin derrière les barreaux pour qu’il peigne les œuvres exigées. Et la célèbre Déposition de Raphaël est, quant à elle, secrètement enlevée de la chapelle Baglioni de l’église de San Francesco de Pérouse où elle se trouvait, et transportée à Rome pour être donnée à Scipione qui confirme cette acquisition grâce à un Motu proprio du pape. Afin d’abriter son incroyable collection, le neveu du pontife fait construire la célèbre Villa Borghèse, dont il conçoit lui-même les plans, et aménage tout autour un parc immense, le plus important construit à Rome depuis l’époque antique.
Le prince de Sulmona
Cette passion pour les arts semble être la ligne directrice qui guide bon nombre de membres de la famille Borghèse et contribue à leur incroyable enrichissement au 17e siècle. À côté des grandes lignées ancestrales que sont les Savelli et les Colonna qui croulent à l’époque sous les dettes, les Borghèse parviennent petit à petit à bâtir leur fortune. Grâce à l’élection de Paul V, la famille bénéficie en outre de nombreux titres. Marcantonio II Borghèse, autre neveu du pontife et grand amateur d’art, est successivement anobli par la République de Venise puis celle de Gênes. Et, encore grâce à la médiation de son cher oncle, il devient le premier prince de Sulmona, titre créé spécifiquement pour lui par Philippe III d’Espagne le 14 janvier 1610.
Le népotisme pratiqué avec ferveur par Paul V contribue à ancrer pour longtemps cette nouvelle famille romaine dans les arcanes du Vatican. Deux autres cardinaux portent le nom de cette illustre lignée: Francesco Scipione Maria Borghese (1697-1759), créé cardinal par le pape Benoît XIII en 1729 et Scipione Borghese (1734-1782), qui obtient la barrette rouge des mains du pape Clément XIV en 1770.
Au 18e siècle, le cinquième prince de Sulmona, Marcantonio Borghese (1730-1800) continue quant à lui de nourrir le lien que la famille entretient historiquement avec le monde de l’art. Collectionneur invétéré, il restaure la Villa Borghèse et fait appel à de nombreux sculpteurs, peintres et marbriers pour réaliser de nouvelles décorations spectaculaires.
Mais les temps changent: alors que Marcantonio s’oppose hautement aux principes de la Révolution française, ses fils Camille et François décident quant à eux de rejoindre les rangs de l’armée révolutionnaire. Lorsque les Français se rendent maîtres de Rome (1798), les deux frères se joignent à la population qui brûle les titres de noblesse familiale sur la place publique.
Pauline et Camille, ou l’alliance Borghèse-Bonaparte
Cet amour pour la France conduit Camille Borghèse à rejoindre Paris en 1803 pour y rencontrer le Premier Consul. Frappé par l’enthousiasme que lui démontre le jeune prince et soucieux d’allier les membres de sa famille avec les grandes familles d’Europe, Napoléon le marie avec Pauline Bonaparte, sa sœur préférée. Si ce mariage n’est pas connu pour être heureux, Pauline multipliant les amants, la beauté légendaire de la sœur du premier Consul ajoute au prestige de la famille. Loin d’être pudibonde, la belle Pauline pose nue pour le grand Canova. Représentée sous les traits de Vénus, la princesse immortalise ainsi sa beauté dans le marbre. C’est aussi à cette époque que Pauline Bonaparte acquiert la villa du même nom, aujourd’hui ambassade de France près le Saint-Siège.
À Camille, qu’il nomme chef d’escadron dans la Garde impériale, puis prince français et duc de Guastalla, Bonaparte confie de nombreuses missions. Cette alliance conduira le prince romain à vendre une grande partie de ses sculptures et œuvres d’art pour huit millions de francs au Premier Consul. Une acquisition encore perçue comme un pillage par les Italiens aujourd’hui.
Du mécénat à la politique
Après cette alliance avec l’empereur français, l’illustre famille continue de s’éloigner des arcanes du Vatican pour peu à peu investir d’autres sphères notamment celles de la politique.
L’Histoire italienne reste ainsi marquée par la figure de Scipione Borghese, député de la circonscription d’Albano Laziale (1871-1927). Ce dernier siège alors au sein du Parti radical et de l’extrême-gauche historique et fonde avec le socialiste Errico De Marinis la revue Lo Spettatore. L’homme politique s’est encore illustré comme explorateur et pilote d’automobiles.
Bien plus controversé est Junio Valerio Borghèse (1906-1974), partisan convaincu du régime fasciste. Celui qu’on surnomme aussi le «Prince noir» est à l’origine d’une tentative mystérieuse de coup d’État avorté, le Golpe Borghese, qui aurait dû avoir lieu dans la nuit du 7 au 8 décembre 1970. L’opération est finalement arrêtée par Borghese lui-même sans raison apparente, et constitue la dernière action en date de cette famille qui a bâti l’Italie. (cath.ch/imedia)
Les familles romaines
Certaines familles romaines sont si profondément enracinées dans l’histoire de la Ville Éternelle qu’il est parfois difficile de démêler la réalité de la légende. Certaines ont compté plusieurs papes dans leurs rangs. D'autres faisaient ou défaisaient les papes.